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Les patriotes de 1837: le Richelieu héroïque

La mobilisation derrière les patriotes n'est pas unanime dans Richelieu. Dès 1836, les élites seigneuriales se dissocient, pavant la voie à la répression. La tension monte d'un cran en septembre 1837, quand ces «chouayens» sont victimes de charivaris fomentés par les «Septembriseurs».
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La Journée nationale des patriotes a lieu cette année le 19 mai autour du thème « À la grandeur du Québec ». Loin de se limiter au Richelieu et à St-Eustache, le mouvement patriote avait de profondes racines dans pratiquement toutes les régions du Québec. D'ici la mi-mai, 17 articles retraceront l'histoire des patriotes de 1837 dans autant de régions, de l'Outaouais à la Gaspésie.

Dans Richelieu en 1837, patriotisme rime certainement avec prospérité : moulins à cadrer, à fouler, à l'huile de lin, brasserie, briqueterie, fabrique de voitures et même une distillerie, propriété du docteur Wolfred Nelson. L'industrie de la poterie domine à St-Denis, tandis qu'on retrouve à St-Charles une petite fonderie, une tannerie et même un journal, L'Écho du pays, rédigé entre 1833 et 1836 par le patriote Pierre Boucher-Belleville. Avec 3000 habitants, Saint-Ours est le principal centre d'échange du Richelieu. En 1830, on y entreprend même la construction d'une écluse devant permettre aux plus gros bateaux de remonter la rivière jusqu'au bassin de Chambly.

Dès le 17 mars 1834, une assemblée pour appuyer les 92 Résolutions réunit à Saint-Denis les principaux leaders de Richelieu : Wolfred Nelson, Siméon Marchessault, François Chicou-Duvert et Pierre-Dominique Debartzch. On y crée un comité de correspondance de 15 membres, représentant toutes les paroisses de Saint-Hilaire à Sorel. Le 17 août suivant, 1000 citoyens s'assemblent à Saint-Ours pour fonder une « association de réforme » afin d'assurer la mobilisation et de collecter des fonds.

Célébrés en 1836 devant 79 convives et, en 1837, devant 113 autres, les banquets de la Saint-Jean-Baptiste tenus à l'hôtel de François-Toussaint Mignault de Saint-Denis sont certainement parmi les plus importants de l'époque. Wolfred Nelson inaugure alors un obélisque en l'honneur de son ami Louis Marcoux, assassiné à Sorel lors de l'élection de 1834. Le geste est clairement une provocation, puisque Mgr Lartigue avait formellement défendu à Nelson d'ériger un tel monument. L'obélisque sera d'ailleurs détruit par l'armée lors du saccage de Saint-Denis, en décembre 1837.

Figure emblématique du mouvement patriote, Wolfred Nelson demeure, jusqu'à la fatidique bataille de novembre 1837, un leader régional, enraciné dans sa communauté rurale de Saint-Denis, où il est médecin et entrepreneur, allié à une famille seigneuriale. Nelson est en fait l'archétype du professionnel entreprenant, mêlé à une foule d'activités au village, où il jouit d'une grande respectabilité. Il préside donc l'assemblée des Six Comtés où il prononce un discours sans équivoque : « Eh bien! moi, je diffère d'opinion avec monsieur Papineau. Je prétends que le temps est arrivé de fondre nos plats et nos cuillères d'étain pour en faire des balles. » Le 16 novembre, un mandat d'arrêt est émis contre lui et, le 23, il mène les patriotes de St-Denis à une victoire inouïe contre la première armée du monde.

De juin à octobre 1837, Nelson anime une dizaine de réunions du Comité du comté. Elles visent à assurer le respect du boycottage, à collecter des fonds, à encourager les démissions des magistrats pro-patirotes, à appuyer ceux démis par le gouvernement et à préparer la grande assemblée prévue à St-Charles en octobre. Parallèlement, les « jeunes gens de Saint-Denis » se réunissent le 10 septembre pour lancer un appel à saisir le « vent de liberté qui souffle sur le pays ». Le 23 septembre, c'est au tour des « Dames patriotes de Saint-Denis » à s'organiser. Selon La Minerve, pas moins de 149 femmes s'assemblent alors pour offrir leur soutien à leurs époux.

La mobilisation derrière les patriotes n'est cependant pas unanime. Dès 1836, les élites seigneuriales se dissocient, pavant la voie à la répression. Elles sont notamment dénoncées lors d'assemblées tenues à Saint-Denis et Saint-Ours. La tension monte d'un cran en septembre 1837, quand ces « chouayens » sont victimes de charivaris fomentés par ceux qu'on appelle les « Septembriseurs ». À leur tête, on retrouve Siméon Marchessault, de Saint-Charles, et Eusèbe Cartier, de Saint-Antoine.

Le seigneur de Saint-Charles et député de Richelieu, Pierre-Dominique Debartzch, est le premier ciblé par les Septembriseurs qui mènent contre lui et sa famille des charivaris effrayants. C'est ensuite le tour du seigneur et député de Yamaska, Léonard Godefroy de Tonnancour. De Tonnancour avait un temps partagé les vues de Louis-Joseph Papineau avant de s'en dissocier. Les charivaristes font maintenant du tapage devant le manoir de St-Ours où il loge et pendent en effigie lord Gosford et les députés Debartzch et Pierre Sabrevois de Bleury. Une militante loyale excentrique, Rosalie Cherrier, invective alors les émeutiers. Mal lui en prit, la maison de dame Cherrier est à son tour visitée par les Septembriseurs dès le lendemain matin. Ce charivari tourne cependant mal et un malheureux coup de fusil tiré de l'intérieur de la maison tue un des manifestants. Rosalie Cherrier sera plus tard acquittée au terme d'un procès truqué.

En octobre, le curé Blanchet de Saint-Charles dénonce « l'indécence et les conséquences fâcheuses » des charivaris, puis fait lecture du mandement de Mgr Lartigue qui « défend formellement ces assemblées nocturnes et désorganisatrices ».

Les batailles

L'assemblée qui se déroule à Saint-Charles, les 23 et 24 octobre 1837, est sans conteste la plus célèbre jamais tenue par les patriotes. La Confédération des Six Comtés y réunit des délégués de Richelieu, de Saint-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly, de Verchères et de L'Acadie, sous la présidence du docteur Wolfred Nelson et en présence de Louis-Joseph Papineau, tribun public. Tout le long de la journée du 23, des compagnies de miliciens tirent plusieurs salves, notamment pour inaugurer une colonne de la liberté marquée « 1837 : honneur à Papineau ». Près de 5000 personnes sont alors massées à Saint-Charles, dont 13 députés. Ils brandissant des drapeaux tricolores vert, blanc et rouge et des bannières laissant lire « Vive Papineau et le système électif », « Honneur aux braves Canadiens de 1813! Le pays attend encore leur secours », « Indépendance ». L'assemblée des Six Comtés aura un immense retentissement dans tout le pays et fouette l'ardeur des plus radicaux. Elle servira cependant de prétexte à l'Église pour publier, dès le lendemain, un mandement mettant en garde la population et, plus tard au gouvernement, pour lancer des mandats d'arrestation contre les chefs patriotes.

Les événements se précipitent ensuite et les prochaines rencontres visent plus à préparer la résistance armée. Apprenant que Papineau a trouvé refuge à St-Denis, 350 soldats du lieutenant-colonel Gore quittent donc Sorel sous une pluie glaciale puis marchent toute la nuit du 23 novembre jusqu'au village où ils entrent au petit matin. Trempés et épuisés, les soldats font face à 200 résistants mal armés, sous les ordres du docteur Wolfred Nelson.

Durant plusieurs heures, l'armée bombarde sans succès la distillerie et une solide maison transformées en forteresses. Vers 14 heures, des renforts providentiels arrivent de Saint-Antoine, Saint-Ours, Saint-Roch et Verchères, faisant pencher la balance du côté patriote. Une tentative d'encerclement est alors déjouée par la « compagnie des bâtons de clôture » qui, maniant des bâtons et des fourches de façon à faire croire qu'elle est bien armée, fait reculer les soldats anglais. Après sept heures de combat, Gore décide de se replier sur Sorel, laissant les défenseurs maîtres de la place.

Cette victoire inespérée sera cependant sans lendemain et est annulée deux jours plus tard par la défaite de St-Charles.

Le 18 novembre, le général des Fils de la liberté, Thomas Storrow Brown, arrive à Saint-Charles et fait aussitôt fortifier le manoir du seigneur Debartzch et ériger une tranchée faite d'arbres abattus. Brown peut compter sur des effectifs supérieurs à ceux de Nelson à Saint-Denis, incluant un contingent venu de Saint-Hyacinthe et de Varennes. Ils sont environ 250, armés d'une centaine de fusils, retranchés au matin du 25 novembre. Déjà, Bonaventure Viger et ses hommes détruisent systématiquement les ponceaux pour ralentir l'avancée des troupes anglaises, tandis que ceux de Rodolphe DesRivières sont postés à l'orée des bois pour harasser le flanc droit de l'armée.

Vers midi, les troupes anglaises atteignent la limite sud du village et sont aussitôt assailli par un feu nourri. Le lieutenant-colonel Wetherall parvient cependant à déployer son artillerie sur les hauteurs et à pilonner les positions patriotes. Les défenseurs sont finalement emportés par une charge à la baïonnette, mais non sans avoir opposé une résistance opiniâtre. Tout combat cesse au bout de quelques heures. Les pertes anglaises sont modestes, trois tués et 18 blessés, tandis que les patriotes déplorent au moins 35 morts. L'armée incendie ensuite le camp fortifié et arrête une centaine d'hommes, puis prend ses quartiers dans l'église qui sert aussi d'écurie.

En attendant l'issue de la bataille de Saint-Charles, Édouard-Élisée Malhiot avait auparavant rassemblé un millier d'hommes à Saint-Mathias pour prendre à revers les troupes anglaises revenant de Saint-Charles. Toussaint-Hubert Goddu est aussi là, avec une centaine de Maskoutains. Après avoir appris l'ampleur de la défaite de Saint-Charles, plusieurs abandonnent cependant le camp et, à l'aube du 28 novembre, il ne reste plus qu'« un corps nombreux d'habitants abusés ».

Édouard-Élisée Malhiot n'abandonne cependant pas et est de retour en novembre 1838. Il installe à compter du 3 novembre sur le mont Saint-Bruno un camp fortifié réunissant des « Frères chasseurs » de Boucherville, Beloeil et du Richelieu. Selon des dépositions, jusqu'à mille hommes armés occupent le manoir, le moulin et les autres dépendances du seigneur Bruneau de Montarville. Le plan consiste à attaquer Sorel puis à opérer une jonction vers le sud avec les patriotes de Robert Nelson, dans le Haut-Richelieu. Apprenant les défaites de Lacolle et d'Odelltown, les hommes désertent le camp à compter du 10, mais Malhiot et ses fidèles tiennent encore bon jusqu'au 14 novembre. À l'approche des troupes régulières venant de Sorel, l'évacuation est cependant ordonnée. Ainsi s'évanouit le tout dernier bastion de résistance des patriotes de 1837 et 1838.

Des patriotes de 1837

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