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La parole pourrait avoir émergé jusqu'à 100 fois plus tôt qu'on ne le pensait

La théorie récente la plus célèbre affirmait que c'est l'évolution de notre larynx qui a rendu la parole possible. C'est une erreur, selon une grande étude de synthèse.
Homo sapiens n'est pas le seul animal à être anatomiquement capable de parler. Des singes ont également cette capacité. La parole pourrait donc dater de plusieurs millions d'années. (photo d'illustration: Lucy)
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Homo sapiens n'est pas le seul animal à être anatomiquement capable de parler. Des singes ont également cette capacité. La parole pourrait donc dater de plusieurs millions d'années. (photo d'illustration: Lucy)

S’il y a une chose qui sépare l’être humain du reste du règne animal, c’est bien le langage, élément clé de la communication et de la transmission du savoir. Logiquement, les scientifiques se demandent depuis toujours pourquoi l’Homme est le seul animal à posséder la parole. Et depuis quand.

Pendant près de 50 ans, une théorie s’était imposée par sa simplicité: celle de la descente du larynx. C’est le fait que cet organe, qui abrite les cordes vocales, soit bas chez l’Homme et haut chez le singe qui nous permettrait de produire des paroles, notamment des voyelles diversifiées. Cette modification anatomique aurait eu lieu il y a moins de 200 000 ans chez l’homme moderne, homo sapiens. La parole, et donc le langage, ne pourrait être plus ancienne.

Mais cette théorie semble aujourd’hui clairement fausse. En conséquence, il n’y a plus de raison solide de limiter l’émergence de la parole à 200 000 ans. Elle pourrait même théoriquement être 100 fois plus vieille et dater de notre dernier ancêtre commun avec le singe.

C’est ce qu’affirme une grande étude de synthèse publiée ce mercredi 11 décembre dans Science. “Depuis une trentaine d’années, cette théorie du larynx trop élevé qui empêcherait de parler était reprise assez systématiquement dans les médias, probablement car elle est facile à comprendre et séduisante”, explique au HuffPost Jean-Luc Schwartz, chercheur CNRS et coauteur de l’étude.

Des tuyaux et des singes

Plusieurs travaux publiés ces dernières années, résumés et réanalysés par les auteurs aujourd’hui, permettent en effet de mettre à mal la théorie de la descente du larynx. Il y a, d’abord, une question toute simple d’acoustique. “Quand on étudie les sons qui sortent d’un tuyau, le fait que le tuyau soit allongé ou non ne change rien, ce qui compte, c’est de modifier la forme du tuyau”, détaille Jean-Luc Schwartz.

Deuxième point: “tous les singes n’ont pas un larynx haut et, surtout, même ceux qui présentent un larynx avec une position haute sont capables de produire des sons assez variés, des vocalisations qui ressemblent à nos voyelles”, complète le chercheur. En gros, c’est en contrôlant finement notre mâchoire, notre langue et nos lèvres que nous arrivons à créer des sons vraiment variés, base nécessaire de la parole. Ces deux éléments mettent à mal la théorie de la descente du larynx.

Cela peut sembler simple, dit comme ça, mais un primatologue n’est pas spécialiste d’acoustique et vice-versa. Pour arriver à faire le lien, une équipe pluridisciplinaire, menée par le chercheur Louis-Jean Boë et regroupant spécialistes de l’acoustique, du traitement de la parole, mais aussi des anthropologues et primatologues, a travaillé pendant des années sur ces questions.

Un puzzle encore incomplet

Mais alors quand et comment a émergé la parole? À cette question, l’étude ne donne pas de réponse, ce n’est pas son rôle.

Les théories restantes sont très foisonnantes. Certains chercheurs pensent que c’est la capacité du cerveau humain à la fois à produire, mais aussi percevoir des sons de manière précise qui est l’élément clé. D’autres parient sur notre capacité à généraliser des concepts mieux que les autres animaux.

Certains scientifiques explorent également la piste génétique, à la recherche du “gène” à l’origine du langage, quand d’autres cherchent à identifier un avantage évolutif dans le cadre de la théorie de l’évolution: en proposant par exemple que c’est la capacité à partager des informations au sein d’un groupe qui aurait fourni un avantage décisif permettant à nos ancêtres de s’adapter pour survivre.

“Il y a de nombreuses théories, mais aucune n’est dominante”, explique Jean-Luc Schwartz. “On peut faire l’hypothèse que l’émergence du langage est un puzzle évolutionnaire, nous avons simplement retiré une pièce clé de ce puzzle, sans le résoudre.”

Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a plus lieu de dire que la parole n’a pas pu émerger avant homo sapiens, il y a 200 000 ans. “On pourrait imaginer que cela remonte à 20 millions d’années, date du dernier ancêtre commun avec les singes. Nous avions déjà les capacités anatomiques nécessaires”, explique le chercheur. Le début de la parole est peut-être apparu entre ces deux dates. Reste à savoir quand, via quelles étapes et en combien de temps.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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