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Parce que j’te trouve exceptionnel

Depuis déjà quelques semaines, les jeunes en centre d'hébergement sont confinés à leur unité sans aucune sortie; leurs familles ne peuvent plus rentrer pour les visiter. Moi, je leur lève bien haut mon chapeau.
Elva Etienne via Getty Images

«Miss Rebelle: mon journal en temps de pandémie», l’éducatrice et auteure Anick Claveau nous propose chaque semaine ses réflexions en cette période tout sauf normale...

Il y a tous ces jeunes en centre d’hébergement qu’il faudrait pas oublier. Ils sont déjà privés de liberté par une ordonnance de placement, ils sont déjà très limités dans leurs contacts et leurs déplacements. Depuis déjà quelques semaines, ils sont confinés à leur unité sans aucune sortie; leurs familles ne peuvent plus rentrer pour les visiter.

Toi, ton ado s’ennuie. Il voit pas ses amis, mais il écoute Netflix, maintient ses relations grâce à Messenger, écoute des vidéos, joue a des jeux en ligne, il a une Xbox, un frère peut-être pour le divertir, un chien, un chat, pis il «facetime» avec ses grands-parents de temps en temps.

Tu vois, les jeunes en centre de réadaptation, ils ont que dalle. Pas de cell, pas de réseaux, pas de streaming. Ils ne voient ni maman ni papa dans aucun écran, c’est que par téléphone qu’ils maintiennent le contact depuis des semaines. Ils vivent confinés à douze en même temps dans la même unité, ils ont le droit d’aller dans la cour une heure par jour parce que c’est interdit de partager l’espace avec les autres. On a dû fermer leur gym, leur palestre, leur salle de jeux vidéo, on a interdit l’emprunt des livres et des jeux de société. Il ne reste plus qu’un ou deux vélos stationnaires un peu démantibulés, un punching bag pour se défouler, pis quelques casse-têtes pour passer le temps.

Moi je leur lève bien haut mon chapeau.

Partout dans chaque région, c’est la même réalité. Des centaines de jeunes sont dramatiquement confinés. Il reste quoi ?

“La COVID-19 est rough pour nos jeunes en centre de réadaptation, déjà que c’est pas facile, déjà qu’ils sont tourmentés.”

Il reste un lever plus tard le matin, un temps de repas plus long, des activités improvisées comme des bricolages, des parties de Joker Rummy, du basket sur un balcon grillagé. Il reste des livres, l’écriture, le dessin, quelques entrainements, du yoga improvisé, une recette de biscuits aux brisures de chocolat qu’on apprécie en écoutant un film qu’on a vu déjà des dizaines de fois. Il reste des séries télé qu’on recommence, une vieille Wii avec Mario Kart, pis deux manettes qui marchent pas.

Chaque jour, une procédure nouvelle vient les distancer encore plus.

C’est pareil en Gaspésie, au Saguenay, à Rimouski. C’est comme ça ici, là-bas pis dans la région d’à côté. Finies les sorties à la maison les week-ends, finies les marches jusqu’à la bibliothèque de quartier, fini le déplacement en auto avec une travailleuse sociale qui prend le temps de s’arrêter au McDo pour un sundae.

“C’est à se demander qui prend soin de l’autre entre l’éducateur pis le jeune en difficulté.”

La COVID-19 est rough pour nos jeunes en centre de réadaptation, déjà que c’est pas facile, déjà qu’ils sont tourmentés. Nous, on arrive avec toutes nos restrictions, on doit les mettre à distance alors qu’ils sont déjà privés de tout contact avec leur proche. On retrouve malgré tout la solidarité, chacun fait son bout de chemin sur ce trajet trop escarpé. C’est à se demander qui prend soin de l’autre entre l’éducateur pis le jeune en difficulté.

Faites le test d’enlever à votre ado son cell, son ordi pis son réseau, enlevez-lui ses parents, ses frères et ses sœurs, confinez-le à l’intérieur avec l’obligation d’être continuellement à deux mètres de l’autre, mettez-le dans un environnement avec douze autres jeunes qu’il ne connait pas vraiment, ajoutez à ça un trouble de santé mentale, une urgence suicidaire, un trouble d’attachement sévère. Mettez un rendez-vous téléphonique avec son psy au lieu d’une vraie rencontre, faites-lui écouter des films qu’il a déjà vus pis essayez de le motiver avec un casse-tête, des crayons à colorier pis une session de beach body sur le plancher de la cuisine. Essayez ça, vous m’en reparlerez.

La réalité des jeunes en centre de réadaptation, c’est drette ça depuis des semaines. Les employés innovent sans cesse pour essayer de les divertir avec pas grand-chose, on donne tout ce qu’on peut, on reste créatifs. Nos jeunes ont des troubles d’adaptation, des troubles anxieux, des angoisses de séparation. Ils s’inquiètent tellement pour leurs parents, mais ils s’adaptent, ils se résignent, ils rient un peu quand on dit des niaiseries. On les entend rarement se plaindre, comme s’ils comprenaient que tout ça, c’est un passage obligé pour toute la société.

Je voulais quand même vous partager cette petite réalité parce qu’ils ont souvent la réputation d’être des enfants à troubles de comportements, des enfants violents, sans jugement. Vous les connaissez parce qu’ils font la une dans les reportages d’exploitation sexuelle et de fugue, ils font la une quand vient le temps de parler de Xanax ou de fentanyl.

On les critique, on les juge parce qu’ils ont du caractère. Ils sont insolents, impatients, c’est vrai. Mais là, vraiment, ils sont tellement résilients que je peux pas m’empêcher de les féliciter pis d’être fière. Ça alimente mon feu sacré pis ça me donne un peu plus envie d’aller travailler, parce que quand on se compare, on peut pas faire autrement que de se consoler.

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