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«La pandémie m’a donné la force de le quitter...»

Après des années de violences conjugales et sexuelles exercées par son conjoint, Annie a décidé de porter plainte et de partir.
Ponomariova_Maria via Getty Images

Histoires de la vie covidienne: ce sont des témoignages de familles qui ont vu la COVID-19 transformer leur vie, radicalement. En croisant le regard de différentes générations, cette série nous plongera dans ces parcours marqués par la pandémie.

«Au printemps dernier, je voyais tous les gens autour de moi être chamboulés et dévastés par ce qu’entraînait la COVID: ils ne pouvaient plus voir leurs amis, ils étaient coupés de leur famille. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que ma vie était déjà comme ça. Je me suis dit que j’étais en confinement depuis huit ans.»

C’est ainsi qu’Annie (*) commence le récit d’un quotidien émaillé de violences, d’emprise et d’humiliations. Une réalité dont la mère de famille a décidé de s’extirper en «prenant les choses en main» il y a environ un mois.

Commencent alors les visites d’appartements, effectuées aux côtés de sa mère. «En secret», comme elle le précise. Avec, toujours collée au ventre, cette sensation désagréable de «manigancer» quelque chose de louche dans le dos de son conjoint.

Pourtant, ça fait longtemps qu’Annie lui répète que c’est fini, qu’elle le quitte, mais lui «ne veut pas», et profère des menaces à peine voilées. «Bientôt, je vais te transformer en petit ange», ou encore «tu ferais bien de commencer à regarder le ciel et te mettre à prier.»

«Je suis restée longtemps à cause de la peur, raconte Annie. Il me menaçait beaucoup par rapport aux enfants. Parfois j’avais même peur de les laisser seuls avec lui.»

Une séparation qui tourne mal

La journée où la jeune femme lui annonce avoir trouvé un bail, tout bascule: «la chicane a pogné et je me suis ramassée à terre», dit-elle.

Plus exactement, son conjoint l’a attrapée par l’arrière et lui a fait «une prise de kung-fu», raconte-t-elle au HuffPost.

«Je voulais passer mais il ne voulait pas. Il m’a fait voler à terre. J’ai encore mal au dos depuis. Heureusement, la couette dans mes cheveux a un peu amoindri le choc sur le derrière de ma tête. J’ai été chanceuse.»

Plus tôt, cette journée-là, Annie avait téléphoné à la police, déjà apeurée par le comportement de son conjoint. En vain.

«Ils m’ont dit: “Madame, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse? On ne peut pas l’obliger à quitter le domicile.” J’avais l’impression qu’ils me prenaient pour une petite conne.»

Le pire, pour elle, est que cette scène de violence se soit déroulée sous les yeux de ses jeunes enfants.

C’est son «grand» qui est sorti chercher de l’aide chez le voisin. Cette fois, la police se déplacera et arrêtera son ex. Elle porte plainte contre lui pour voie de fait.

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Au début: des «drapeaux rouges»

L’emprise de son conjoint a commencé par des «choses ridicules», confie la jeune femme. Des «drapeaux rouges» qu’elle a choisi d’ignorer, à l’époque très amoureuse.

Annie se souvient par exemple du temps où elle aimait avoir les cheveux courts, puis de ce moment où son ex n’a plus voulu qu’elle se les fasse couper.

«Ensuite, il n’a plus aimé ma cousine alors elle ne pouvait plus venir à la maison. Après ça, c’était mes parents, ma soeur. Il me disait qu’ils ne m’aimaient pas. Mais c’est faux! Mes parents m’aiment, et ma soeur aussi.»

“Il m’avait coupé de mon monde. Je crois qu’il ne voulait pas que je me débrouille, que je sois autonome.”

- Annie

Petit à petit, il prend le contrôle, décide des repas, du comportement que doivent adopter les enfants, et la décourage même de lancer sa propre entreprise. Durant son suivi de grossesse, elle n’a pas le droit de voir son médecin seule.

«Il avait peur que je parle. Je ne l’ai réalisé qu’après, il m’avait coupé de mon monde. Je crois qu’il ne voulait pas que je me débrouille, que je sois autonome.»

Viols conjugaux

Bien vite, la violence physique et sexuelle a commencé.

«Je me rappelle qu’il me collait la tête contre le miroir. Des bleus, j’en ai eus. Sur les bras puis toute. Une fois il m’a craché au visage pour une histoire de jalousie. Puis, il fallait qu’on fasse ce qu’il voulait quand il voulait...», dit-elle, la voix étranglée par l’émotion.

Après une trentaine de minutes d’entrevue, Annie fond en larmes et parvient à évoquer le plus douloureux: les agressions sexuelles qu’elle a subies.

«C’est intime ce que je vous dis là, mais ce n’était plus le fun. Le nombre de fois que je lui disais non puis qu’il s’en c*lissait… Ça, c’est plus dur à admettre. Car du moment où tu dis non, et qu’il le fait pareil, c’est là qu’il y a agression. C’est dur. C’est dur. Puis t’as pas besoin d’être malade ou dans ta semaine, t’as le droit d’être fatiguée, de juste pas avoir envie, t’as le droit, tu n’es pas sa chose. Mais c’est ce que j’étais: sa chose. Sexuellement, j’étais son objet.»

À ce moment, Annie croit pourtant qu’il peut changer.

«Tu espères qu’il guérisse, t’espères qu’il change. Il avait des épisodes délirants. J’ai essayé de l’aider pendant longtemps, en essayant de lui faire voir la réalité, que ses comportements n’étaient pas normaux. Mais dans sa tête, il n’y en avait pas de problème.»

“Je n’ai pas honte de ce que j’ai vécu. La pandémie m’a donné la force de le quitter.”

- Annie

La trentenaire essaie même de l’emmener en thérapie de couple, espérant qu’il rencontre un psychologue. Il n’a pas voulu. Quand elle-même dit souhaiter consulter, il refuse. «Il ne voulait pas que je raconte mes problèmes, quelque part je crois qu’il est à moitié conscient que ce qu’il faisait n’était pas correct.»

Elle se tourne également vers des refuges qui viennent en aide aux femmes violentées par leur conjoint.

«Mais j’avais peur qu’on me prenne mes enfants. Sans ça, je pense que je serais partie plus tôt. J’avais peur aussi de me retrouver toute seule. Je me demandais qui allait vouloir d’une mère qui a eu ce type de problèmes.»

L’avenir devant soi

Le jour de l’entrevue, Annie a confiance en l’avenir: l’un de ses enfants n’a plus peur d’aller se coucher tout seul. Traumatisée, la maman garde toutefois deux bâtons de baseball à portée de main.

«Je n’ai pas honte de ce que j’ai vécu. La pandémie m’a donné la force de le quitter. Depuis qu’il n’est plus là, les choses commencent à se placer, à aller dans le bon sens. Je veux inculquer les bonnes valeurs à mes enfants, leur dire d’être gentils avec leur blonde ou leur chum, peu importe.»

Mais bien qu’elle soit heureuse, elle ne peut s’empêcher de se sentir «niaiseuse» d’être restée aussi longtemps.

«Plus les jours passent et plus je me dis: “Mais mon dieu, voir que j’ai enduré tout ça!” Je n’aurais pas dû avoir peur comme ça. Mais ça te joue vraiment dans le cerveau. Il avait réussi à faire que je n’avais plus aucune confiance en moi.»

Si elle avait un conseil à donner à une femme qui se retrouve dans une situation similaire, ce serait de ne pas «croire aux mauvaises pensées» qui l’assaillent.

«Parles-en à ton voisin, à ta voisine, ils vont t’ouvrir leur porte. Je sais que ce n’est pas facile, mais on n’est pas aussi isolée qu’on le pense. Il ne faut pas hésiter à faire appel aux ressources qui existent. On est plus forte que ce que notre conjoint veut nous faire croire.»

(*) Annie est un prénom fictif. Nous avons choisi de préserver l’anonymat de la jeune femme qui craint des représailles de son ex-conjoint.

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