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Démocratie ou mollarchie au Pakistan?

Alors que la Constitution pakistanaise prévoit une parfaite liberté de religion à l'article 20, voici que certains amendements vont venir contredire cet article qui était censé être général et absolu. Non, désormais la liberté de religion n'est plus totale, elle est contingente.
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"Mollarchie" au Pakistan. J'emprunte volontiers ce terme utilisé par mon amie Clémence Allezard dans son mémoire sur l'Iran dans l'imaginaire de l'Occident. Aujourd'hui, au Pakistan, on utilise de grands mots. Démocratie. Justice sociale. Bien qu'il soit indéniable que certaines choses avancent au Pakistan, nous pensons notamment aux avancées sociales que tente de mettre en oeuvre ce pays, il n'en demeure pas moins que l'instrumentalisation du fait religieux à des fins politiques devient nauséabonde et insupportable. Tout spécialement, en ce qui concerne les musulmans ahmadis.

La liberté de religion comme principe

Certaines des dispositions de la Constitution pakistanaise sont encore le fruit de l'administration britannique là où d'autres ont subi les aléas des coups d'Etat et des tentatives d'instauration d'un régime démocratique qui s'est souvent soldé par un retour des militaires au pouvoir. Nous pensons, bien entendu, à la transition de Bhutto à Zia ul Haq, cet homme qui, pour reprendre les termes d'un grand polémiste pakistanais, a mené le pays 25 ans en arrière. C'est d'ailleurs dans cette perspective que la FIDH a utilisé ce terme si juste de "démocratie militaire" pour qualifier le Pakistan.

Mais les choses doivent être analysées depuis la source. Muhammad Ali Jinnah, père fondateur du Pakistan et grand adepte d'un "secularism" à l'anglaise (laïcité) ne va pas vivre assez longtemps pour voir ses espoirs se noyer sous la "tempête des velléités mollarchiques". Les soi-disant oulémas du Pakistan ont, au fur et à mesure de l'évolution du pays, pris de plus en plus de pouvoir de sorte qu'ils devinrent de plus en plus incisifs contre les politiques qui osaient se dresser contre eux.

Alors que la Constitution pakistanaise prévoit une parfaite liberté de religion à l'article 20, voici que certains amendements vont venir contredire cet article qui était censé être général et absolu. Non, désormais la liberté de religion n'est plus totale, elle est contingente. La clause 260 (c) accompagnée de l'ordonnance XX ou des Hudood Ordinances sonne le glas de la liberté de religion au Pakistan; plus personne n'est libre. Les ahmadis ne peuvent plus prier, ne peuvent plus se revendiquer musulmans, ne peuvent plus voter, ne peuvent plus prononcer la profession de foi.

Certains grands mollahs vont même aller jusqu'à affirmer, lors des conférences appelant à la haine, "comment pouvez-vous dormir en paix pendant que des ahmadis mangent non loin de chez vous". Rien qu'avec ces éléments, la mollarchie est parfaite et Jinnah doit en faire des cauchemars. Mais ça n'est pas tout; on a comme l'impression que le Pakistan se laisse emporter par une tempête que désormais il ne contrôle plus. En témoigne la négociation de l'administration centrale avec le TTP, parti des talibans au Pakistan. On dit toujours que pour négocier, encore faudrait-il avoir quelques cartes entre les mains. Mais des cartes les talibans en ont, et pas des moindres.

Ce qui m'a récemment choqué, et mon oncle me l'avait d'ailleurs signalé, c'est le formulaire lié à la demande de passeport. Pour demander le renouvellement ou la première édition d'un passeport pakistanais, tous les citoyens pakistanais doivent remplir un formulaire cyniquement drôle.

Le fondamentalisme religieux comme exception

Dans un article du Friday Times de janvier 2014, un journaliste reprend les termes des déclarations que l'on fait lors d'une demande de passeport (traduction personnelle):

"J'ai regardé le formulaire, les mots se sont emmêlés devant mes yeux et ma surprise n'a fait qu'augmenter."

Le formulaire dont ce journaliste parle contient la déclaration suivante:

"Je ne reconnais, en tant que musulman, que personne ne peut se revendiquer être un prophète ou réformateur, quel que soit le sens ou la portée du mot ou de la description qui m'est soumise. Je considère Mirza Ghulam Ahmad Qadiani comme un imposteur et je considère également ses suivants, qu'ils appartiennent au groupe des Lahore ou des Qadiani, comme des non musulmans".

La boucle est bouclée. Désormais, plus aucun doute. C'est l'identité des ahmadis qui leur est enlevée. Comment un musulman ahmadi peut-il signer un formulaire qui lui demande de considérer la personne fondatrice de sa communauté comme un imposteur et un menteur? Est-ce réellement possible? C'est en cela que je dis que la situation des musulmans ahmadis est particulièrement détériorée au Pakistan. Bientôt, les ahmadis n'auront plus de carte d'identité parce qu'ils vont imposer que l'on signe une décharge de la sorte? Voici ce que j'appelle une mollarchie.

Les associations des droits de l'Homme et les hommes politiques devraient désormais prendre conscience de cette situation et arrêter de se limiter à de simples gestes symboliques. Des choses concrètes et des actions de terrain doivent être adoptées. Dans ce combat du principe contre l'exception, force est de constater qu'au Pakistan, l'exception a largement pris la relève du principe.

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