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Aux Oscars, ces trois films illustrent les rapports insidieux entre Hollywood et la politique

«The Irishman», «Ford v. Ferrari» et «Joker», nommés aux Oscars 2020, correspondent aux trois catégories d'une classification imaginée pour décoder les messages politiques des films américains.
«Ford v. Ferrari», «The Irishman» et «Joker», trois films nommés aux Oscars emprunts de politique
Twentieth Century Fox / Netflix / DC Comics
«Ford v. Ferrari», «The Irishman» et «Joker», trois films nommés aux Oscars emprunts de politique

Vous êtes vous déjà demandé à quel point les cinéastes sont libres à Hollywood? Et dans quelle mesure leurs films sont encore un instrument privilégié pour transmettre les valeurs américaines? L’essayiste et cinéphile Claude Vaillancourt, aussi militant altermondialiste et président d’Attac-Québec, s’est posé ces questions dans son ouvrage Hollywood et la politique, paru aux éditions Écosociété.

Los Angeles s’apprête à accueillir ce dimanche 9 février la 92e édition des Oscars, sa grand-messe du cinéma scrutée par des millions de cinéphiles à travers le monde. À cette occasion, Le HuffPost a demandé à l’auteur son avis sur trois œuvres en compétition dans la catégorie reine du meilleur film: Ford v. Ferrarri, The Irishman et Joker. Ils illustrent parfaitement les trois grandes catégories dans lesquelles on peut ranger les films traitant de politique au sens large, «de la propagande parfois subtile» à la «véritable subversion» en passant par la critique «superficielle et inoffensive».

Car si les films qui parlent directement de politique (et mettent en évidence des présidents américains par exemple) occupent une place très grande à Hollywood, la «fabrique du consentement» passe aussi par des œuvres qui portent sur des sujets sociaux ou sur les rapports entre dominants et dominés, «bref ce qui touche à la place de l’individu dans la société.»

Ford v. Ferrari et le cinéma du statu quo

Pour Claude Vaillancourt, le cinéma du statu quo définit «des films qui n’ébranlent rien, qui nous font dire que les États-Unis sont un pays merveilleux, que les valeurs et les choix politiques y sont bons.» Ces films laissent à penser que le devoir du citoyen est d’approuver ce système-là et mettent souvent en avant des valeurs individualistes «où la personne est importante, et la société l’est moins». Sans oublier la transmission du mythe américain qui dit que «toute personne élevée dans cette société, avec une volonté, peut tout réaliser.»

Christian Bale dans le rôle du pilote Ken Miles dans «Ford v. Ferrari»
Twentieth Century Fox
Christian Bale dans le rôle du pilote Ken Miles dans «Ford v. Ferrari»

Dans la grande majorité des cas, le cinéma américain se conforme à cette catégorie-là et c’est le cas de Ford v. Ferrari. Le réalisateur James Mangold y raconte le combat qui a opposé les écuries Ford et Ferrari sur le circuit des 24h dans la Sarthe en 1966. «C’est d’abord un placement de produit évident pour la marque américaine Ford, souligne l’auteur de l’ouvrage, et sa victoire sur une marque européenne».

Si Claude Vaillancourt concède que le film est «bien fait, réussi et séduisant», il insiste sur le message véhiculé par cette œuvre. «À l’heure où l’on s’interroge sur l’idée d’entreprendre une transition écologique pour combattre le réchauffement climatique, ce film met en valeur l’usage de l’automobile», décrit-il. Un propos raccord avec les valeurs américaines traditionnelles et la politique des États-Unis, «dirigés par un climatosceptique notoire, Donald Trump, qui défend l’industrie automobile et du pétrole.»

The Irishman et le cinéma du questionnement

Deuxième catégorie et deuxième définition: le cinéma du questionnement. «Ce sont des films qui donnent l’impression d’être critiques, de remettre en cause certains aspects de la société américaine ou certaines décisions politiques, mais en restant superficiels», développe Claude Vaillancourt. Bien souvent ces œuvres mettent le doigt sur un problème ponctuel et non majeur, lié à un individu en particulier. «Et une fois qu’on l’a chassé du système, tout recommence à bien aller», décrit l’essayiste.

Parmi les neuf films en compétition pour l’Oscar du meilleur film, The Irishman représente le mieux cette catégorie. Avec Robert de Niro, Al Pacino et Joe Pesci en héros, Martin Scorsese signe une saga dans le monde de la mafia américaine, marquée par l’assassinat du (vrai) syndicaliste Jimmy Hoffa. «Ce qui intéresse davantage le réalisateur dans The Irishman, c’est la psychologie du personnage plus que sa dimension politique, analyse-t-il. On ne nous dit pas du tout comment un syndicaliste a pu s’approcher à ce point-là de la mafia... Une question essentielle dont on n’a pas la réponse.»

Le syndicaliste Jimmy Hoffa (Al Pacino) et le tueur à gages Frank Sheeran (Robert de Niro)
Netflix
Le syndicaliste Jimmy Hoffa (Al Pacino) et le tueur à gages Frank Sheeran (Robert de Niro)

Au-delà du contenu d’un film, il convient de s’interroger sur le potentiel attachement du réalisateur à une tendance politique. Si Scorsese est un habitué des films sur la mafia, le crime organisé et la corruption, il n’est pas pour autant un cinéaste politique. «Il s’intéresse en général plus à la psychologie du personnage, aux excès, à la mégalomanie, à la folie, mais la dimension politique n’est jamais très présente – à l’exception de Gangs of New York où apparaît la notion d’un combat entre riches et pauvres», avance Claude Vaillancourt.

Quant à savoir si le studio de production d’un film – ici Netflix pour The Irishman – est à prendre en compte, l’auteur a préféré exclure cette question «complexe et pas forcément significative» de ses recherches: «De grandes majors peuvent produire des films assez subversifs, et des studios indépendants des films très conformes», avance-t-il.

«Joker» et le cinéma subversif

Place à la troisième catégorie, le cinéma subversif. Plus faciles à reconnaître, ces films sont «ceux qui dérangent et qui vont jusqu’à porter un jugement négatif sur le système américain». L’exemple le plus marquant de cette catégorie-là, c’est le cinéaste Michael Moore, cite Claude Vaillancourt. Le réalisateur à qui l’on doit Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11 a pour habitude de s’intéresser au capitalisme et aux inégalités sociales, de remettre en question les mythes américains.

Et cette classe-là est parfaitement illustrée par le film Joker de Todd Philipps. «À ma grande surprise», avoue l’auteur qui ne s’attendait pas «à une charge si forte» de la part de ce long-métrage conçu dans le moule hollywoodien: «Dans les films de superhéros et la majorité du cinéma du statu quo, le Mal est sans raison. On nous demande simplement d’admettre que les personnages sont méchants, raconte-t-il. Ici, on comprend que c’est un individu qui devient potentiellement dangereux parce qu’on le néglige et qu’on ne veut pas donner l’argent nécessaire pour s’occuper des démunis. Un suivi aurait peut-être permis d’empêcher ce psychopathe de devenir ce qu’il est devenu.»

Et le côté subversif du film porté par Joaquin Phoenix ne s’arrête pas là. Claude Vaillancourt souligne aussi le fait que les premières victimes du Joker dans la scène du métro sont de jeunes courtiers en bourse, «les grands responsables des inégalités sociales». «Plutôt que de subir les réprobations du public, le Joker est encouragé dans ce sens-là. S’attaquer aussi fortement au système financier, cœur du système américain, c’est très significatif», conclut l’essayiste.

“Un certain message parvient toutefois à passer, des idées qui s’incrustent en douceur, ou au contraire, une ouverture d’esprit...”

Si la part du divertissement dans le cinéma hollywoodien augmente du point de vue de Claude Vaillancourt, le cinéphile reste optimiste: «Les cinéastes sont des personnes assez difficiles à contrôler, ils ont des idées, veulent exprimer des choses et trouvent des moyens pour le faire. Il va continuer à y avoir des films subversifs, car Hollywood croit à la liberté d’expression.»

Tous les films n’ont cependant pas vocation à être politiques. Cette classification imaginée par Claude Vaillancourt entend néanmoins fournir des clés pour interpréter les films et leurs messages politiques. «Les spectateurs peuvent ne pas y réfléchir, n’y voir qu’un pur divertissement, se laisser happer par l’histoire et ses revirements sans s’attarder aux détails de la trame politique (...) Un certain message parvient toutefois à passer, des idées qui s’incrustent en douceur, des préjugés peut-être, ou au contraire, une ouverture d’esprit, des opinions que l’on vient à formuler sans en connaître la source», alerte-t-il dans son ouvrage.

Le livre «Hollywood et la politique» de Claude Vaillancourt, romancier, essayiste, conférencier, musicien, enseignant, militant altermondialiste, cinéphile et président d’Attac-Québec est paru aux éditions Écosociété.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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