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Obama et Bamako: l'implication discrète, mais croissante des États-Unis en Afrique

Les Américains étant avant tout des gens très pragmatiques, ils cherchent maintenant à juger de l'efficacité de la "French way of war" combinée à leur propre préférence actuelle pour une approche indirecte, minimisant la présence américaine sur place. En ce sens, le conflit malien ouvre de nouvelles voies de coopération franco-américaine.
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US President Barack Obama speaks during a meeting with United Nations Secretary-General Ban Ki-moon in the Oval Office of the White House on April 11, 2013 in Washington, DC. AFP PHOTO/Mandel NGAN (Photo credit should read MANDEL NGAN/AFP/Getty Images)
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US President Barack Obama speaks during a meeting with United Nations Secretary-General Ban Ki-moon in the Oval Office of the White House on April 11, 2013 in Washington, DC. AFP PHOTO/Mandel NGAN (Photo credit should read MANDEL NGAN/AFP/Getty Images)

L'Afrique subsaharienne est longtemps restée absente, ou bonne dernière, des priorités stratégiques américaines. Il faut attendre les attentats de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, puis surtout les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, pour voir l'Afrique figurer parmi les intérêts américains en devenant un front de la "guerre globale contre la terreur". Cette évolution est entérinée en 2007 avec la création d'un commandement militaire pour l'Afrique, pour la première fois dans l'histoire américaine, AFRICOM.

Le positionnement militaire américain en Afrique repose sur la coopération avec les pays partenaires (la quasi-totalité des États africains), à travers des programmes régionaux et des accords bilatéraux. L'objectif principal est d'aider les armées locales à développer leurs capacités. Les effectifs américains déployés en Afrique représentent environ 5000 hommes, avec des variations en fonction des opérations en cours. L'essentiel de ces moyens est déployé à Djibouti sur la base de Camp Lemonnier (2500 hommes), également la principale base de drones américains (il en existe aussi aux Seychelles et en Éthiopie ; d'autres bases plus "classiques" pourraient accueillir des drones dans l'avenir). Mais le continent africain est également parsemé de "mini-bases" que l'on retrouve dans un grand nombre d'États africains, en particulier dans la zone qui va du golfe de Guinée à la Corne de l'Afrique. Emblématiques du changement d'époque, d'adversaire et de conflit que nous vivons actuellement, elles se résument le plus souvent à un hangar quelconque, une poignée de soldats et quelques petits avions de tourisme truffés d'électronique. Le Pentagone a baptisé ces nouveaux avant-postes de la présence américaine globale de "lily-pads", nénuphars - un doux nom qui en dit long, si l'on songe qu'en général, quand il y a des nénuphars, il y en a beaucoup et ils finissent par tout recouvrir.

La mission principale du Pentagone en Afrique est la lutte contre les groupes terroristes islamistes de la Corne de l'Afrique (Somalie) et de la péninsule arabique (Yémen), à travers deux types d'actions : formation et entraînement des forces africaines locales et actions directes des forces américaines par l'emploi des drones armés et des forces spéciales. Le Sahel est également un enjeu depuis 2002 : le Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership, sous la bannière de l'opération Enduring Freedom, vise à combattre et défaire les organisations terroristes opérant au Maghreb et au Sahel, en partenariat avec une dizaine de pays de la région (Mali, Tchad, Niger, Mauritanie, Algérie, Burkina Faso, Maroc, Nigeria, Sénégal, Tunisie), pour un budget annuel d'environ 100 millions de dollars ; le Mali constituait jusqu'en 2012 une pièce maîtresse de ce dispositif. Par ailleurs, le programme américain IMET (International Military Education and Training) forme les militaires des pays partenaires dans les académies américaines : le Mali en a bénéficié, y compris l'auteur du coup d'État de l'an passé, le Capitaine Amadou Sanogo, fait abondamment relevé dans les médias.

Washington est l'un des plus importants donateurs d'aide bilatérale au Mali, notamment (mais pas seulement) militaire, assistance interrompue depuis le coup d'État de mars 2012 en vertu d'une loi du Congrès (247 millions de dollars d'assistance bilatérale américaine au Mali suspendus, 119 millions d'aide humanitaire versés). Officiellement toute assistance militaire américaine à Bamako a cessé depuis. Mais pendant l'été 2012, un accident sur le fleuve Niger a provoqué la mort de trois militaires américains, au profil très "forces spéciales" et dont la présence au Mali n'a pas réellement été expliquée par Washington. Toujours pendant l'été, une frappe (de drones ?) aurait provoqué la mort de plusieurs djihadistes dans le nord du pays. Une réunion "secrète" a d'ailleurs eu lieu à la Maison-Blanche à l'automne 2012 pour envisager des frappes contre AQMI au nord Mali, alors qu'au même moment Susan Rice qualifiait de "crap" ("foutaises") les propositions françaises pour le Mali à l'ONU.

Au début de l'opération Serval (François Hollande a informé Barack Obama la veille du début des opérations), le soutien américain a d'abord été qualifié de "minimal" des deux côtés. Certes, le secrétaire à la Défense d'alors, Leon Panetta, a fermement déclaré dès le début de l'opération française qu'il était "de la responsabilité américaine de soutenir la France dans sa lutte contre les islamistes". Et au Congrès, plusieurs voix, notamment républicaines, et non des moindres (en l'occurrence les présidents des puissantes commissions du renseignement et des affaires étrangères), se sont élevées pour appeler à un soutien plus ferme de la France et condamner l'attitude jugée trop timorée de la Maison Blanche. Mais le frein est venu de la Maison-Blanche avec en particulier l'interdiction faite à Panetta de faire escale à Paris en janvier, alors même qu'il était en tournée en Europe, de peur que ce passage ne soit interprété comme un soutien américain trop appuyé à la France. Au-delà de l'argument légal mis en avant par le département d'État (en raison du gouvernement non légitime à Bamako, car issu d'un coup d'État), la réticence américaine est celle du président Obama, qui n'entend pas engager militairement l'Amérique dans un nouveau conflit, alors que le retrait d'Afghanistan est à peine engagé (plus de 60 000 soldats américains sont encore sur place) et que le président a déclaré avec force lors de son discours d'inauguration en janvier 2013 "qu'une décennie de guerre allait prendre fin".

Le faux pas de la non-visite de Panetta a été réparé par le vice-président Joe Biden, venu le 3 février à Paris féliciter le président Hollande pour son "action décisive" au Mali, et réaffirmer le soutien de Washington à l'opération Serval (ravitailleurs, carburant, avions-espions, renseignement). Depuis, le nouveau secrétaire d'État John Kerry s'est également rendu deux fois à Paris pour évoquer, entre autres sujets, la question du Mali. Entre-temps aussi, la prise d'otages d'In Amenas en Algérie a conduit à une réévaluation de la menace d'AQMI outre-Atlantique, et les auditions se sont multipliées au Congrès sur les questions de sécurité africaine. L'ex-secrétaire d'État Hillary Clinton a ainsi déclaré aux sénateurs américains qu'il "devenait nécessaire d'accorder beaucoup plus d'attention à AFRICOM et aux capacités en Afrique".

Il est évident que Français et Américains ont des objectifs communs objectifs au Mali et au Sahel. Derrière le flottement initial, il faut surtout voir le souci américain de ne pas apparaître au grand jour comme un "cobelligérant" dans le conflit malien. Le soutien des États-Unis à la France n'en est pas moins conséquent, en particulier dans le domaine du renseignement avec la mise à disposition de drones non armés (Reapers) opérés depuis la nouvelle base américaine installée au Niger ; les installations américaines au Burkina Faso jouant très certainement aussi un rôle actif. Les Américains étant avant tout des gens très pragmatiques, ils cherchent maintenant à juger de l'efficacité de la "French way of war" combinée à leur propre préférence actuelle pour une approche indirecte, minimisant la présence américaine sur place, d'une crise qui les concerne aussi. En ce sens, le conflit malien ouvre de nouvelles voies de coopération franco-américaine.

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