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Normand Baillargeon et les miracles

Baillargeon regarde les récits évangéliques « miraculeux » au travers de la lorgnette du rationalisme.
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Les athées et agnostiques de tout poil n'apprécient guère la période des fêtes, en particulier la fête chrétienne de Noël. C'est le cas de Normand Baillargeon, ex-professeur en sciences de l'éducation, qui se mêle de philosophie et qui la mobilise en vue de pourfendre la foi chrétienne.

À l'occasion de Noël, le bon athée se fend d'une petite chronique pour mettre à mal la notion de miracle. Il en appelle au philosophe écossais David Hume (1711-1776), le prédécesseur sceptique de Bertrand Russell, l'un des mentors de Baillargeon. Hume est célèbre, entre autres, pour sa critique des miracles.

Pour ma part, je ne crois pas que Hume soit le meilleur critique à brandir touchant les miracles, car, en contrepartie, Hume critiqua l'idée des soi-disant « loi de la nature ». En effet, par sa critique radicale que Hume fit de la notion de causalité, qui la réduit à l'habitude, et puisque les lois de la nature énoncent bel et bien des relations causales, il s'ensuit que le fondement des lois de la nature, toujours selon Hume, ne sont que des régularités dont on a pris l'habitude d'enregistrer. Au-delà donc de l'habitude, les lois de la nature n'ont pas de fondement dans la réalité.

Jamais Hume n'aurait acquiescé à l'assertion du pape contemporain de la science, Stephen Hawking, successeur de Newton dans la chaire de physique à Cambridge, qui déclare sans broncher que « Parce qu'une loi comme la gravitation existe, l'Univers peut se créer et se créera spontanément à partir de rien... (dans The Great Design, le dernier chapitre). Avec raison, Hume hurlerait d'horreur devant cette assertion parfaitement loufoque, Hawking expliquant un miracle par un autre miracle ! Hawking est un rationaliste; Hume, un sceptique. Et ce n'est pas un secret de Polichinelle pour personne si Baillargeon est lui aussi partisan du rationalisme.

Et ce n'est pas un secret de Polichinelle pour personne si Baillargeon est lui aussi partisan du rationalisme.

Depuis le siècle des Lumières, où l'on assista au triomphe du rationalisme, le soi-disant « miracle » comporte un sens « négatif », c'est-à-dire qu'il implique une exception à la règle, quelque chose de bizarre et d'étrange, une sorte de dérogation à l'ordre naturel des choses, précisément aux lois de la nature qui sont inviolables. Hume ne souscrit en aucune manière au rationalisme des Lumières. Encore une fois, les soi-disant lois de la nature n'ont, pour lui, aucun fondement; en tout cas, rien dans la réalité, mais uniquement dans l'habitude selon l'expérience répétée des hommes.

Il ne s'agit donc pas d'aller à l'encontre des lois naturelles. D'ailleurs, celles-ci n'existent pas au-delà des phénomènes naturels, comme le pense erronément le rationaliste Hawking. Comme si les phénomènes devaient se plier aux lois de la nature préexistant à eux. C'est une erreur rationaliste de concevoir ainsi les lois de la nature comme opérant au-delà ou indépendamment des phénomènes.

Hawking, Baillargeon, et bien d'autres, sont victimes de cette illusion funeste qui conçoit les lois de la nature comme sous-jacentes aux phénomènes naturels. Les lois de la nature sont normatives, pas factuelles.

Si j'ai deux pommes dans une poche et deux autres dans une autre, et que, finalement, j'en dénombre cinq pommes, ce n'est pas une impossibilité factuelle, mais une impossibilité normative : il est impossible que je compte 5 pommes. Dire : il ne se trouvera jamais cinq pommes lorsque deux se trouvent dans une poche et deux autres dans l'autre, c'est dire quelque chose, non pas de factuel, mais de normatif. L'impossibilité en question des « miracles » est donc de type normatif, et non factuel.

Dans les évangiles, rédigés en grec, on parle de dunamis, puissance, et de sêmion, signes : les prodiges de Jésus de Nazareth témoignent ou sont le signe de la puissance (dunamis) de Dieu visant à restaurer, voire regénérer la création. Le mot « miracle », du latin miraculum, prodige, merveille, objet d'étonnement, etc., a reçu, bien plus tard, à partir du siècle des Lumières, le sens négatif de dérogation aux lois de la nature. En fait, avant le siècle rationaliste des Lumières, il fut toujours question de dérogations aux habitudes humaines qui se traduisaient par l'émerveillement, le prodige, qui, dans les évangiles deviennent des manifestations de la puissance (dunamis) divine ou des signes (sêmion) de ces manifestations. C'est le sens « positif » du miracle qui fut discrédité à partir du siècle des Lumières. Tout comme Hume, les gens d'avant les Lumières se fondaient sur leur expérience, et n'avaient pas la prétention de dire que les lois de la nature valaient partout et toujours.

Le sens des prodiges de Jésus n'était pas celui d'un magicien à la Luc Langevin en quête de popularité.

Le sens des prodiges de Jésus n'était pas celui d'un magicien à la Luc Langevin en quête de popularité. Jésus voulait ainsi témoigner de la puissance (dunamis) de son Père, le Dieu des juifs, Yahvé. Jésus le Christ, le Verbe de Dieu, venait restaurer sa création.

Évidemment, nos bons rationalistes ne croient pas un mot de ses histoires à dormir debout. Ils se replient donc désormais avec Hawking sur les lois de la nature. Mais comment expliquer leur existence qui précéderaient la création (ou le Big Bang) ? Voilà une sacrée question à laquelle les adeptes du rationaliste ne peuvent répondre.

Baillargeon regarde donc les récits évangéliques « miraculeux » au travers de la lorgnette du rationalisme. À telle enseigne que, du moins d'après, Hawking, les seuls matériaux constituants de l'univers, ce n'est plus Dieu, évidemment, mais les Lois de la nature. Mais je répète ce que j'ai dit précédemment : les lois de la nature n'ont rien de factuel, mais des normes d'explication. En fait de mythologue, le penseur rationaliste comme Baillargeon est sans égal.

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