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«Normal»: Il faut juste y aller

C'est le public de La Licorne qui a décidé en 2013 du lieu où Jean-Philippe Lehoux, l'éternel touriste accidentel, se rendrait afin d'écrire par la suite une pièce de théâtre relatant cette expérience. Les gens ont choisi Normal, Illinois, un endroit où personne ne va jamais
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C'est le public de La Licorne qui a décidé en 2013 du lieu où Jean-Philippe Lehoux, l'éternel touriste accidentel, se rendrait afin d'écrire par la suite une pièce de théâtre relatant cette expérience. Les gens ont choisi Normal, Illinois, un endroit où personne ne va jamais, une ville universitaire de cinquante mille habitants, éclipsée en bonne partie par la proximité de Bloomington, Indiana qui se trouve à deux pas. Moi, je ne m'en suis pas mêlée, mais en fait j'aurais suggéré Bird-in-Hand, Pennsylvanie, le lieu mythique où veulent aller Tess et Jude, les personnages de Document 1 de François Blais, le roman le plus comique et le plus érudit que j'ai lu de toute ma vie.

Comique et érudit sont aussi des qualificatifs que l'on peut accoler à Jean-Philippe Lehoux, qui n'a l'air de rien comme ça, mais qui cite Barthes et Foucault et dont le charme aussi puissant qu'improbable agit pleinement sur les spectateurs. Je vous le dis tout de suite, Normal est très drôle, c'est adorable, le dosage entre le propos philosophico-sociologique et les anecdotes hilarantes est parfait, on passe vraiment un bon moment en compagnie de ce jeune homme dont le talent se précise et s'affine avec chacune de ses pièces. D'ailleurs il reprend son Napoléon voyage au Rideau vert un peu plus tard dans la saison et ça aussi c'est à voir.

Pour raconter ce séjour d'un mois, Lehoux est épaulée par Sarah Laurendeau, comédienne et DJ, excellente dans la narration, la mise en situation ou l'incarnation de divers personnages. La mise en scène de Philippe Lambert utilise parfaitement bien l'espace mis à sa disposition et où se retrouvent de multiples objets qui ont tous, on le découvre au fur et à mesure, une importante fonction. Et la proximité des comédiens permet d'apprécier pleinement les expressions de leurs visages et la subtilité de leur jeu.

Mais c'est surtout cette recherche de l'autre, cette rencontre très souvent si difficile qui habite Normal. Comme le dit Sarah dans la pièce, pour Jean-Philippe aller vers les gens ou tuer un cobra à mains nues : même combat. Et c'est à peu près le cas pour tout le monde. Nous sommes remplis d'une peur irrationnelle face aux étrangers, face à tous ces Survenants qui dérangent, qui ne mangent pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous. Et faire l'effort d'aller à leur rencontre peut en effet sembler insurmontable. C'est ce qui est arrivé à l'auteur, qui a passé douze jours dans une chambre du Motel 6, à manger du Wendys et à faire de longues randonnées à bicyclette sans jamais oser adresser la parole à qui que ce soit. Il est affligeant d'être ailleurs, que le lieu soit exotique ou pas, et de se dire qu'il reste encore huit ou douze heures avant de pouvoir aller se coucher... C'est lorsqu'il décide d'opter pour le couch-surfing qu'il rencontrera Keith et Tommy (et leur chat, Thor), puis un bouddhiste qui médite, puis des étudiants Congolais, puis un groupe de jeunes Libertarian qui, de façon complètement contradictoire, mettent de l'avant un projet commun prônant la plus grande solitude sociale. Cette ville existant hors des sentiers battus, sous des apparences banales et sans histoire, recèle un trésor de mosaïques colorées.

Fils aîné, avec qui je suis allée voir Normal et qui a le même âge que Jean-Philippe Lehoux, me disait qu'il le verrait bien dans une série télévisée humoristique, style Les beaux malaises. Et je pense que c'est une saprée bonne idée. On a besoin de ce regard tendre, intelligent et ironique que pose Jean-Philippe Lehoux sur le monde qui l'entoure. Normal illustre parfaitement le concept selon lequel les voyages forment la jeunesse, un concept délicieusement démodé, mais qui demeure éternellement actuel.

Normal : une production du Théâtre Hors Taxes en codiffusion avec La Manufacture, à La Licorne jusqu'au 25 septembre 2015.

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