Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La question à 1000$: les «niveaux de soins» en CHSLD, ça implique quoi?

Dans le contexte de la pandémie de coronavirus, il devient encore plus crucial d’avoir ces discussions inconfortables sur le genre de traitements médicaux qu’on souhaite recevoir.

Alors que la COVID-19 continue de faire des ravages au Québec, de nombreux médecins rappellent l’importance de discuter de niveaux de soins avec son médecin et avec ses proches. C’est particulièrement vrai pour les résidents des CHSLD ou des résidences privées pour aînés (RPA), puisque le ministère de la Santé a récemment limité le transfert de ces patients vers l’hôpital en fonction du niveau de soins choisi: A, B, C ou D (aussi désignés par les chiffres de 1 à 4).

Mais à quels traitements s’expose-t-on quand on coche l’une de ces petites lettres? Le HuffPost Québec répond à cette question à 1000$.

Quels sont les niveaux de soins?

Les niveaux de soins sont un outil de communication entre un patient ou ses proches et l’équipe médicale. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESS) les définit comme «l’expression des valeurs et volontés du patient sous la forme d’objectifs de soins».

Cette directive «résulte d’une discussion entre le patient ou son représentant et le médecin concernant l’évolution anticipée de l’état de santé, les options de soins médicalement appropriés et leurs conséquences» et elle sert à orienter l’équipe soignante lorsque la santé du patient se dégrade. Il existe quatre niveaux de soins :

Niveau A (ou 1): Prolonger la vie par tous les moyens nécessaires

Niveau B (ou 2): Prolonger la vie par des soins limités

Niveau C (ou 3): Assurer le confort prioritairement à prolonger la vie

Niveau D (ou 4): Assurer le confort sans viser à prolonger la vie

«Le A, c’est on fait tout», résume Dr Michaël Chassé, intensiviste au CHUM et professeur associé à l’Université de Montréal. «On ne se pose pas de questions. On appelle la cavalerie et on fait comme dans les films, avec les machines, les chocs et tout.» En cas d’arrêt cardiaque, on pratique alors la réanimation cardiorespiratoire (RCR). Cette série de soins peut inclure des compressions thoraciques, la défibrillation - où l’on fait passer du courant électrique dans le coeur du patient - et la ventilation à l’aide d’un respirateur, qui nécessite l’insertion d’un tube par la bouche jusque dans les poumons pour aider le patient à respirer.

Même si elle peut parfois servir à sauver la vie d’un patient, la RCR laisse souvent des traces. «Les manoeuvres de réanimation et l’hospitalisation prolongée qui en découle peuvent mener à une perte d’autonomie qui est parfois réversible, mais qui peut nécessiter un séjour en réadaptation», souligne le Dr René Wittmer, médecin de famille à Montréal, dans une vidéo YouTube qu’il a récemment réalisée avec ses collègues, Dre Geneviève Bois et Dre Guylène Thériault.

Au niveau B, on tente de sauver la vie du patient, mais en s’assurant de préserver sa qualité de vie. «Dans le fond, ce que ça veut dire, c’est si c’est raisonnable et que ma qualité de vie va être correcte après le traitement, vous pouvez le faire. Mais si les risques de séquelles sont trop élevés, ne le faites pas», illustre Dr Chassé.

«Par exemple, un patient pourrait choisir que ça lui convient qu’on utilise un tube pour le faire respirer, mais qu’on ne devrait pas essayer de repartir son coeur si jamais il venait à s’arrêter», énumère Dre Geneviève Bois dans sa vidéo.

Au niveau C, on tente surtout d’assurer le confort du patient, mais «certaines interventions visant à corriger des problèmes de santé réversibles peuvent aussi être posées», dit l’INESSS. «En gros, on dit: “tout ce qui ne fait pas mal, faites-le”», résume Dr Chassé. Il peut donc être question d’un traitement antibiotique pour traiter une pneumonie, par exemple.

Au niveau D, «on laisse la nature faire son travail», dit Dr Chassé. Les soins sont palliatifs: on ne tente pas de guérir le patient, mais on s’assure qu’il ressente le moins de douleur possible dans l’attente de la mort.

«Le niveau de soins, c’est quelque chose qui fluctue dans le temps», précise par ailleurs Dr Chassé. «Au fur et à mesure que les soins se complexifient, on redemande aux gens s’ils sont d’accord.»

Niveaux de soins ou directives médicales anticipées?

S’il est tout à fait approprié de parler du niveau d’intervention médicale qu’on souhaite recevoir à son médecin, c’est généralement le professionnel de la santé qui initie la conversation sur les niveaux de soins. Cette conversation a généralement lieu lorsque l’état de santé du patient est appelé à se détériorer de façon prévisible.

Si vous êtes relativement jeune et en bonne santé, il serait donc plutôt surprenant que votre médecin aborde la question avec vous lors d’un examen de routine. Mais ça ne veut pas dire que vous ne devriez pas y réfléchir et, surtout, en parler avec vos proches.

Alors à quel moment doit-on avoir cette conversation? Dr Chassé est catégorique: «Maintenant. Tout le temps.»

«Présentement on est rationnel, on est capable de bien penser. Quand on arrive en situation de crise, les décisions qu’on prend ne sont pas les mêmes», rappelle-t-il. «Si vous n’en avez jamais parlé avec votre père et qu’il tombe dans le coma, vous allez devoir inventer selon ce que vous pensez qu’il aurait peut-être voulu.»

Mais attention aux «phrases passe-partout», exhorte Dr Chassé. Il cite en exemple la consigne «pas d’acharnement médical», souvent présente sur les directives médicales notariées. La définition de l’acharnement peut grandement varier d’une personne à l’autre, en fonction de son âge et de son état de santé général.

Ce qu’il faut plutôt se demander, selon lui, c’est: «Qu’est-ce qui est important dans ma vie? Et à quel point est-ce que je suis prêt à perdre mes capacités pour survivre?» Ça, ce sont les questions auxquelles «tout le monde est capable de répondre», croit-il.

Pour encadrer la réflexion et uniformiser le processus, le gouvernement du Québec a créé en 2015 un régime de directives médicales anticipées (DMA). Les Québécois de 18 ans et plus peuvent donc remplir un formulaire pour accepter ou refuser certains soins dans l’éventualité où ils ne pourraient plus y consentir.

Les DMA vous permettent de déterminer quels soins vous souhaiteriez recevoir si vous vous retrouvez dans trois types de situations:

  • Si vous souffrez d’une condition médicale grave et incurable, et que vous êtes en fin de vie
  • Si vous êtes dans un état comateux jugé irréversible ou dans un état végétatif permanent
  • Si vous êtes atteint de démence grave, sans possibilité d’amélioration (l’Alzheimer, par exemple)

Pour chacune de ces situations, le formulaire permet d’indiquer si vous acceptez ou refusez les soins suivants:

  • Réanimation cardiorespiratoire
  • Ventilation assistée par un respirateur ou par tout autre support technique (nécessitant généralement une intubation)
  • Traitement de dialyse
  • Alimentation forcée ou artificielle (à l’aide d’un tube introduit dans l’estomac)
  • Hydratation forcée ou artificielle (à l’aide d’un cathéter installé dans une veine)

Une fois rempli, le formulaire doit être signé par deux témoins et posté à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Les DMA peuvent être modifiées ou révoquées en tout temps.

La COVID-19 change la donne

Depuis que la COVID-19 a frappé le Québec, le Dr Alain Vadeboncoeur, chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal, a réitéré à plusieurs reprises l’importance d’établir les niveaux de soins pour tous les patients âgés.

Le 23 mars, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a émis une «directive clinique» exigeant que les résidents des CHSLD qui contractent la COVID-19 ne soient transférés vers l’hôpital que «de façon exceptionnelle».

«Les patients COVID-19 positifs avec un niveau de soins 3 ou 4 au dossier, ainsi que ceux hébergés en CHSLD publics ou privés, doivent demeurer dans leur centre tout en respectant les consignes d’isolement émises par leur service de prévention et contrôle des infections», peut-on lire dans le document.

La directive a pour but de «maintenir des soins sécuritaires et de qualité pour certaines clientèles spécifiques et de réduire les transports et la pression sur les [hôpitaux]», selon le MSSS. Mais elle semble avoir secoué les proches de certains résidents de CHSLD, qui ont signifié leur volonté de changer de niveau de soins après avoir pris connaissance de cette directive.

«On me signale plusieurs transferts aujourd’hui dans les hôpitaux de patients provenant de CHSLD COVID+. Des familles ont appelé pour changer les niveaux de soins de C à B», tweetait la semaine dernière Dr Vadeboncoeur.

«Personne ne rend service à qui que ce soit, surtout pas aux malades en faisant cela», ajoutait-il. «Allons plutôt soulager nos personnes âgées dans les CHSLD plutôt que de les envoyer massivement à l’hôpital, où on ne pourra sans doute rien de plus pour elles.»

Par ailleurs, le pronostic est encore plus sombre ces jours-ci pour les patients qui reçoivent des manoeuvres de RCR, puisque les interventions sont ralenties par la nécessité pour le personnel d’enfiler des équipements de protection et d’intuber le patient avant de débuter le massage cardiaque.

«Ça veut dire que les chances que la réanimation fonctionne sont probablement plus basses et que les chances qu’il y ait des conséquences négatives sur la qualité de vie de la personne qu’on réanime sont probablement augmentées», avance-t-elle dans sa vidéo.

Sans compter que pratiquer des manoeuvres de RCR sur des patients infectés par la COVID-19 comporte des risques importants pour le personnel soignant, puisqu’elles génèrent une grande quantité d’aérosols (ou gouttelettes) qui risquent de contaminer toutes les personnes dans la pièce, souligne Dr Chassé.

«C’est probablement les manoeuvres les plus dangereuses pour le personnel soignant. On va le faire. Moi je l’ai fait plusieurs fois récemment. Mais, est-ce qu’on peut le faire juste si les gens veulent qu’on le fasse?» implore-t-il.

Si le niveau de soin du patient est connu, l’équipe soignante évite alors de prendre des risques en réalisant des manoeuvres que le patient ne souhaitait même pas recevoir, explique Dr Chassé.

«Pensez aussi aux gens qui vont faire ces manoeuvres-là. Il y a un risque réel pour leur santé et leur vie.»

À VOIR AUSSI: La chloroquine, c’est quoi?

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.