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Comment Montréal est devenue une plaque tournante de la musique électronique

La scène électro de la métropole est unique au monde, affirment les acteurs du milieu.
Le festival Igloofest en est à sa 14e édition en 2020.
Peter Ryaux-Larsen
Le festival Igloofest en est à sa 14e édition en 2020.

Montréal est-elle devenue la capitale nord-américaine de la musique électronique?

Les acteurs du milieu demeurent modestes et ne déclarent pas explicitement que la métropole est maintenant le point central de la musique électronique en Amérique du Nord. Par contre, tous s’entendent pour dire que Montréal est aujourd’hui un pôle important de création et de diffusion et que sa scène est unique au monde.

«On a beaucoup de possibilités pour découvrir de la musique électronique à Montréal, explique Pascal Lefebvre, cofondateur de Piknic Électronik et Igloofest. [...] C’est ce qui fait la richesse de la proposition montréalaise, autant dans ses festivals que dans ses clubs que partout où on la retrouve.»

Concentrée dans les boîtes de nuit, les raves (pas toujours légaux) et les after-hours au début des années 1990, la musique électronique est devenue plus accessible au public avec l’apparition de plusieurs festivals à la fin de cette décennie. On a qu’à penser au MEG et à Mutek créés respectivement en 1999 et en 2000.

La musique électronique a donc commencé à passer de la culture marginale à celle plus populaire à cette époque. Néanmoins, Pascal Lefebvre estime que c’est dans les raves et les after-hours que la communauté montréalaise de l’électro a commencé à se bâtir.

«Ça nous a permis de connaître différents artistes et différents styles, relate-t-il. Que ce soit le techno, le house, le drum and bass, le jungle

“Chaque fois qu’on découvrait un nouvel artiste, on découvrait un nouveau courant musical de l’électronique qui nous amenait dans un différent univers.”

- Pascal Lefebvre, cofondateur de Piknic et Igloofest

La démocratisation de ce genre musical s’est faite grâce à l’apparition des festivals qui ont permis un rayonnement de tous les styles d’électro. De la musique dite plus commerciale à celle plus émergente ou avant-gardiste, tous les amateurs d’électro peuvent y trouver leur compte à Montréal. La renommée de la ville n’est plus à faire à l’international.

«Quand j’étais à Londres et que je disais que je venais de Montréal, des gens me répondaient “Ah wow, la scène électronique a l’air super”, affirme le Québécois CRi, un protégé de la maison de disque londonienne Anjunadeep. Des fois, ça me surprend un peu. En étant dedans, on dirait que je ne m’en rends pas compte.»

Outre la variété de festivals, une autre facette qui démarque Montréal est la proximité entre les arts visuels et la musique électronique. Igloofest et Mutek en sont des exemples probants avec l’association entre les performances musicales et les projections visuelles numériques.

«Il y a un mélange qui se fait à Montréal entre la musique électronique et les autres formes d’art», constate Nicolas Bernier, professeur adjoint en musiques numériques à l’Université de Montréal.


Selon M. Bernier, cette communion entre les différents arts numériques à Montréal découle probablement du
sixième Symposium international des arts électroniques, qui s’est tenu dans la métropole en septembre 1995. Il qualifie l’événement de «révélation» sur la scène électronique montréalaise.

Nicolas Bernier fait aussi remarquer que les différentes formes d’art et de styles musicaux cohabitent au sein même d’un festival.

«À Mutek, il va y avoir des soirées dansantes, mais il y a encore une place pour tout ce qui est expérimental, mentionne-t-il. Il y a des festivals comme Elektra, qui présente des soirées vraiment musicales, mais où il y a en même temps des installations en galerie. Le public se promène dans cet univers et il est très heureux. C’est une de nos forces [à Montréal].»

L’électro voit du soleil

La musique électronique s’adressait surtout aux oiseaux de nuit montréalais dans les années 1990. Toutes les performances musicales avaient lieu le soir et la nuit, et ce, jusqu’aux petites heures du matin.

Piknic Électronik, qui se déroule au parc Jean-Drapeau, a grandement contribué à faire connaître le genre à un public plus large en se taillant une place dans la vie des Montréalais, les dimanches après-midi d’été. L’événement qui se tenait de mai jusqu’à septembre en 2020 met de l’avant des artistes de tous les styles d’électro.

«Piknic a permis à tout le monde d’y aller puisque c’est en plein jour. Ce n’était plus un truc obscur pour les connaisseurs. Ç’a vraiment participé [à la démocratisation]», analyse Nicolas Bernier.

«Quand on a parti Piknic en 2003, on arrivait à la trentaine, raconte Pascal Lefebvre. On se disait que la culture underground, pour la vivre, il fallait la vivre de nuit jusqu’à très tôt le matin. On a voulu sortir cette culture de nuit et l’amener dans un côté plus diurne.»

«Il y avait tellement une panoplie de styles que nous, mélomanes de nature, on aimait et voulait faire découvrir dans un autre contexte, ajoute Lefebvre. Le contexte qu’on a choisi, c’était d’être dans un parc, avec un regard sur la ville et de faire redécouvrir un joyau de Montréal, l’oeuvre Trois disques du sculpteur Alexandre Calder.»

EN RAPPEL: En 2017, Piknic Électronik fêtait ses 15 ans


Force est d’admettre que Pascal Lefebvre et ses collègues ont frappé droit dans le mille avec Piknic. De 2000 personnes à sa première année, l’événement en a accueilli 10 fois plus dès sa deuxième édition. En 2019, Piknic a connu sa meilleure année avec 160 000 visiteurs.

Au cours des années 2000, les festivals d’électro à grand déploiement avec des DJ dits plus «commerciaux» comme Igloofest, Île Soniq et Escapade (Ottawa) ont vu le jour, sans compter la renaissance du Beachclub d’Olivier Primeau à Pointe-Calumet.

Ajoutons à cela la place qui est faite à l’électro à Osheaga et au Festival d’été de Québec.

Ces différents événements réussissent aujourd’hui à présenter les DJ les plus connus de la planète tels que The Chainsmokers, Diplo, Martin Garrix, Kygo, Rüfüs du Sol, Marshmello et Above & Beyond.

Bien que ceux-ci attirent un très large public, Christophe Dubé, alias CRi, croit que les événements comme Piknic et Mutek auront toujours leur place et doivent continuer d’être une tribune pour les artistes émergents. «On a besoin de ça à Montréal étant donné que la scène est assez petite», fait valoir celui qui se produira à Igloofest vendredi.

D’ailleurs, pour Piknic, Igloofest et Mutek, faire une place aux artistes locaux a toujours été une priorité.

«C’est une chance qu’ils ont de jouer avec ces artistes-là (des artistes internationaux, NDLR) et de les côtoyer, souligne Nicolas Cournoyer, cofondateur de Piknic et Igloofest. Ça fait partie aussi de notre mission de permettre de lancer des carrières des artistes d’ici. Quand ça se passe bien, ils peuvent être invités à faire des dates ailleurs.»

Avec Mutek et Piknic qui ont des volets dans d’autres pays, plusieurs DJ québécois ont réussi à se faire connaître à l’extérieur du Canada grâce à l’invitation de ces événements qui se déroulent ailleurs sur le globe.

«Ce qui est cool, c’est que ces festivals vont exporter des artistes locaux, fait remarquer Nicolas Bernier. Mutek par exemple, c’est rendu un festival partout dans le monde. [...] Chaque fois, il y a une composante d’artistes canadiens. Ça participe à faire en sorte que Montréal est une plaque tournante de la musique électronique.»

La qualité avant la quantité

Au fil des années, des artistes montréalais ont réussi à obtenir une renommée internationale après s’être produits ici. Kaytranada est celui qui a actuellement le plus grand rayonnement, lui qui sera en prestation ce samedi à Igloofest.

Les Misstress Barbara, Akufen, Ghislain Poirier, Lunice, A-Trak et Grimes ont fait leurs premières armes au Québec avant de se faire connaître ailleurs.

À VOIR: CRi en performance à Osheaga en 2019


«Ce qui démarque Montréal, ce n’est pas la quantité d’artistes, mais la qualité, observe Christophe Dubé.
Et j’aimerais dire de la scène musicale en général. Des bands comme Arcade Fire, Tops... Montréal a de grosses figures importantes. À Los Angeles, il y en a beaucoup dans le lot qu’on s’en fout alors qu’à Montréal, on dirait qu’il y a un gage de qualité.»

Ultimement, ce qui fait que la scène électronique soit aussi vivante, c’est la réponse du public. Tous ces événements n’auraient jamais lieu si les amateurs de ce genre musical ne se présentaient pas aux spectacles.

«Les Montréalais forment vraiment un excellent public, que ce soit pour la musique électronique ou d’autres styles. Les artistes aiment venir au Québec de façon générale. Parce qu’il y a une vraie communion entre le public et eux», estime Nicolas Cournoyer, qui a toujours reçu de bons commentaires des artistes qui se produisent à Igloofest.

Ces événements deviennent par le fait même des attractions touristiques pour Montréal. Pascal Lefebvre a indiqué que bon an mal an, entre 25% et 40% du public d’Igloofest est composé de touristes.

«Montréal est une ville festive, le fun, inclusive et toujours en ouverture sur le monde. C’est le buzz de Montréal, son côté multiculturel. [...] Les gens ont le goût d’être ensemble», remarque Pascal Lefebvre.

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