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Morts du coronavirus: les statistiques ne veulent pas dire grand-chose

L'épidémie a entraîné la mort d'au moins 1100 personnes, mais les taux de mortalité évoqués par les scientifiques varient de 0,1 à 30%. Voici pourquoi il faut être prudent.
Si le coronavirus a entraîné la mort de plus de 1000 personnes, quasi-exclusivement en Chine, il est trop tôt pour connaître le taux de mortalité de ce nouveau virus.
Xinhua News Agency via Getty Images
Si le coronavirus a entraîné la mort de plus de 1000 personnes, quasi-exclusivement en Chine, il est trop tôt pour connaître le taux de mortalité de ce nouveau virus.

C’est un seuil symbolique, mais qui ne veut pas dire grand-chose.

Mardi 11 février, le nombre de morts causés par l’épidémie du coronavirus Covid-19 a dépassé le millier. En Chine continentale, le nombre de personnes contaminées s’élevait ce mercredi 12 février à 44 730 personnes. Selon les données de l’OMS, le virus y avait fait au moins 1114 morts, soit 99,9% des décès recensés dans le monde, depuis ses débuts en décembre 2019.

Depuis le début de l’année 2020, les scientifiques, responsables de santé publique, hommes politiques et simples curieux scrutent en détail les statistiques du nouveau coronavirus 2019-nCov, qui a fait plus de morts que le SRAS.

Et l’une des plus effrayantes est évidemment celle du «taux de mortalité», le pourcentage de personnes touchées qui décèdent des suites de cette infection. 0,1%, 1%, 2%, voire même 20%, des pourcentages tous plus différents les uns que les autres se succèdent sur les médias et réseaux sociaux. Cela ne veut pas dire qu’ils constituent (tous) de fausses informations.

La raison est très simple: il est trop tôt pour calculer ce fameux «taux de mortalité» (CFR, dans le jargon scientifique), qui était par exemple de 10% pour le SRAS. «Les chiffres actuels sont très approximatifs», explique au HuffPost Jean-Stéphane Dhersin, directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences Mathématiques et de leurs Interactions du CNRS, spécialiste des modélisations épidémiologiques.

Une question de timing

Dans l’idée, le taux de mortalité est très simple à calculer. «Le CFR peut être défini comme la probabilité qu’un cas meure de son infection», expliquent les auteurs d’un article publié en 2015 dans la revue Plos... qui mettait justement en garde contre les biais entourant le calcul du taux de mortalité. En théorie donc, il suffit de diviser le nombre de morts par le nombre total de personnes infectées (vivantes ou mortes), de multiplier par 100 et le tour est joué.

Ainsi, selon l’OMS en date du mercredi 12 février, il y a eu 1115 morts sur 45 171 cas confirmés, soit un taux de mortalité d’environ 2,47%. Évidemment, cela n’est pas si simple. «Cette maladie n’est pas instantanée, il y a un possible décalage dans le temps», rappelle Jean-Stéphane Dhersin. «Imaginons une maladie où les gens mettent un mois à mourir. Si vous regardez les chiffres trois semaines après le début de l’épidémie, vous n’aurez pas de décès».

De plus, comme le rappelle l’article de Plos, «lors d’une épidémie en cours, il y a toujours un délai entre le moment où une personne meurt et où le décès est signalé». Logiquement, si l’épidémie atteint vraiment un pic, le pic du nombre de morts sera décalé par exemple. Alors que faudrait-il faire? «Théoriquement, il faudrait regarder la population de personnes contaminées, mais qui ne sont plus infectieuses. Le vrai chiffre, c’est “nombre de morts divisé par nombre de morts et de rétablis”», affirme Jean-Stéphane Dhersin. Mais attendez un peu avant de sortir votre calculette.

Équation à deux inconnues

Car même là, il y a un problème avec les chiffres actuels. En prenant en compte mardi les données en temps réel de l’université Johns Hopkins, on obtenait 1018/(1018+4187)=18% de taux de mortalité. C’est presque deux fois plus que le SRAS. Mais ce taux est certainement très, très éloigné de la réalité. «Les cas qui sont connus des autorités de santé publique et sont dans les bases de données de surveillance sont typiquement ceux avec les symptômes les plus sévères, qui ont besoin d’une aide médicale», rappellent les auteurs de l’étude dans Plos.

En clair, «les cas déclarés ne sont que la pointe de l’iceberg», explique au HuffPost Anne-Marie Moulin, directrice de recherche CNRS, spécialiste de l’histoire des épidémies. En termes de propagation de l’épidémie, «c’est ennuyeux, car la partie immergée est tout aussi dangereuse», précise-t-elle. Elle augmente le risque que l’épidémie se répande dans d’autres pays, via des porteurs peu symptomatiques.

En revanche, le fait d’avoir des cas non répertoriés est plutôt positif sur le taux de mortalité. S’il y a finalement plus de cas que ceux répertoriés, alors le coronavirus 2019-nCov est moins mortel que l’on pourrait le penser avec les simples divisions évoquées plus haut. D’ailleurs, plus le temps passe, plus le taux de mortalité «brut» baisse, comme vous pouvez le voir dans le graphique ci-dessous:

C’est justement le travail des chercheurs spécialistes de modélisations de prendre en compte toutes ces inconnues pour essayer de trouver un taux de mortalité qui soit plus proche de la réalité. Mais c’est une tâche très compliquée.

Calculs et projections

Ainsi, Christian Althaus, épidémiologiste de l’université de Berne, a mis au point une analyse statistique en s’appuyant principalement sur les cas à l’international. En effet, explique-t-il, les déplacements depuis la Chine sont tellement surveillés par les autres pays qu’il y a de bonnes chances que le nombre de personnes détectées soit proche du nombre réel de contaminés à l’international.

Et comme une seule personne est morte du coronavirus en dehors de la Chine, le taux de mortalité du virus (CFR) serait de 1,5%. Mais le faible échantillon de cette analyse implique qu’elle pourrait bouger, de même que l’absence de prise en compte de la temporalité (on ne sait pas si la centaine de malades hors de Chine va s’en sortir).

Dans un rapport publié le 10 février par l’Imperial College de Londres, les chercheurs ont eux aussi calculé plusieurs taux de mortalité, en prenant en compte de nombreuses variables. En Chine, ce taux serait de 18% au moment de la publication de l’étude. Pour les cas en dehors de Chine, il se tiendrait entre 1,2 et 5,6%.

Mais comme le précisent les chercheurs, les cas détectés en Chine ne couvrent probablement que les plus malades et une partie des infectés, ce qui explique un taux de mortalité si important.

Quels sont les cas de coronavirus détectés ? Sur la pyramide, du plus haut au plus bas: morts, cas sévères, cas avec symptômes, cas asymptomatiques ou légers. Le crochet de gauche représente les cas probablement détectés en Chine et celle de droite les cas détectés à l'international.
Imperial College London
Quels sont les cas de coronavirus détectés ? Sur la pyramide, du plus haut au plus bas: morts, cas sévères, cas avec symptômes, cas asymptomatiques ou légers. Le crochet de gauche représente les cas probablement détectés en Chine et celle de droite les cas détectés à l'international.

En prenant en compte ces différents éléments et en effectuant des corrections statistiques, les chercheurs tablent sur un taux de mortalité global de 1%, plus exactement compris entre 0,5 et 4%.

Des hôpitaux engorgés?

Car il y a une différence notable entre Wuhan et ses alentours (la région du Hubei) et le reste de la Chine. Selon les données récoltées par les chercheurs de Johns Hopkins, il y a eu 974 morts et 2258 rétablis à Hubei, soit un taux de mortalité de 30%, alors que dans d’autres régions chinoises, on compte des centaines de rétablis pour moins de 10 morts. Par exemple, le taux est de 4% à Anhui, 0,5% à Henan.

Pourquoi? Selon des chercheurs interrogés par Reuters, c’est parce que la région du Hubei est dépassée par l’épidémie et que les cas aux symptômes légers sont moins déclarés qu’ailleurs. Selon des témoignages récoltés par l’agence de presse, des patients avec peu de symptômes auraient évité les hôpitaux débordés ou se seraient auto-isolés.

«Il serait bon de se rappeler que quand la grippe H1N1 a démarré en 2009, les estimations du taux de mortalité étaient à 10%, ce qui s’est révélé incroyablement faux», rappelle à Reuters David Fisman, épidémiologiste à l’université de Toronto. Il n’a pas tort: le taux de mortalité de H1N1 s’est avéré inférieur à 1%, même sans prendre en compte les cas non déclarés.

Tout cela montre que plus le temps passera, plus les chercheurs auront une vision claire de ce taux de mortalité. Des graphiques, réalisés par Raytheblue sur Reddit, comparent justement l’évolution du taux de mortalité «brut» en fonction du temps du nouveau coronavirus, du H1N1 et du SRAS. On voit que dans le cas du SRAS, ce taux est doucement monté avant de se stabiliser à 10%. Pour la grippe H1N1, ce fut l’inverse. Le taux de mortalité de 2019 nCov, lui, est encore instable. Il est encore trop tôt pour dire de combien il sera.

L'évolution du taux de mortalité dans le temps du nouveau coronavirus, du Sras et de la grippe H1N1
Raytheblue/reddit
L'évolution du taux de mortalité dans le temps du nouveau coronavirus, du Sras et de la grippe H1N1

Sur Twitter, le directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève Antoine Flahault affirme qu’il est impossible de donner une estimation fiable «quand la réalité est peut-être comprise entre 0,1% et 10%». Pour calculer une véritable estimation, il faudrait des données sur toutes les causes de mortalité à Wuhan du mois de janvier, estime-t-il. Mais pour l’instant, ces données ne sont pas disponibles. Seul le temps nous dira à quel point le nouveau coronavirus est mortel.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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