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Trump, la COVID-19 et la mort tragique d’un Canadien détenu aux États-Unis

«Je ne peux m'empêcher de penser qu'il a finalement été condamné à mort.»
James Hill est décédée de la COVID-19 dans un centre de détention des services d'immigration américains en août. (Photo non datée.)
Verity Hill/Supplied
James Hill est décédée de la COVID-19 dans un centre de détention des services d'immigration américains en août. (Photo non datée.)

James Hill aurait dû avoir été libéré d’une prison américaine des mois auparavant. Il est plutôt mort seul de la COVID-19 alors qu’il était détenu par les services d’immigration américains, branché à un ventilateur et incapable de parler.

L’ancien médecin de Newmarket en Ontario a été pris dans un torrent d’événements indépendants de sa volonté - retards d’immigration, pandémie de coronavirus et actions irresponsables de la part des responsables américains.

«Il pensait qu’il allait être libre», a affirmé la fille de Hill, Verity, au HuffPost Canada depuis son domicile de Toronto.

«Je ne peux m’empêcher de penser qu’il a finalement été condamné à mort. C’est une injustice par-dessus une autre injustice. »

Hill a été libéré de prison en avril après avoir purgé 14 ans pour avoir distribué illégalement de l’Oxycontin à des patients dans son cabinet de médecine familiale de Louisiane, mais a été immédiatement détenu par l’Immigration and Customs Enforcement (ICE).

Avec une carte verte américaine expirée et un passeport canadien, Hill, 72 ans, a été envoyé au centre de détention privé de Farmville en Virginie pour attendre sa déportation. Il devait rentrer chez lui le 9 juillet, trois mois après le transfert. Le HuffPost a reconstitué ses derniers mois dans l’établissement à travers des entrevues, un procès, des reportages et des déclarations publiques.

Le centre de détention de Farmville, en Virginie, a connu l'éclosion de coronavirus la plus importante de tous les centres de détention des services d'immigration américains.
Steve Helber/ASSOCIATED PRESS
Le centre de détention de Farmville, en Virginie, a connu l'éclosion de coronavirus la plus importante de tous les centres de détention des services d'immigration américains.

Verity décrit son père comme étant doux et compréhensif, un homme dont le système judiciaire américain a voulu faire un exemple lors de la guerre contre la drogue de l’ancien président George W. Bush.

Le juge et le procureur fédéral dans l’affaire ont tous deux déclaré que Hill avait distribué librement des prescriptions pour des analgésiques créant une dépendance à ses patients, a rapporté le National Post lors de la condamnation de Hill en 2007.

Son avocat de la défense pénale, Randal Fish, a fait valoir que de nombreux patients de Hill n’avaient pas d’assurance maladie ou n’avaient pas accès à des spécialistes de la douleur et avaient besoin d’aide. Il a été «abasourdi» par la sentence de Hill.

«Je suis spécialisé dans le droit pénal de la défense depuis près de 27 ans, et cela doit être, sans exception, l’erreur judiciaire la plus horrible et la plus flagrante que j’ai vue de ma vie», avait-il déclaré à l’époque.

Hill a essayé de tirer le meilleur parti de la prison fédérale, en organisant des groupes d’entraide et un programme horticole pour d’autres détenus, en écrivant 11 livres de poésie, un roman et d’innombrables lettres à Verity.

Mais Farmville ne ressemblait en rien à ce qu’il avait vécu auparavant.

Un détenu est étendu dans un dortoir d'un centre de détention à Lumpkin, en Géorgie, le 15 novembre 2019.
ASSOCIATED PRESS
Un détenu est étendu dans un dortoir d'un centre de détention à Lumpkin, en Géorgie, le 15 novembre 2019.

«Mon père avait vécu dans quatre prisons américaines différentes. Il me disait que Farmville était la pire de toutes», a raconté Verity, ajoutant que Hill appelait régulièrement sa famille depuis le centre de détention pour les tenir au courant.

«Il n’y avait pas de lumière du soleil, pas d’intimité», dit-elle. «Il y avait des téléphones contre un mur et toujours une file d’attente et personne n’a jamais nettoyé les téléphones. Ça semble ridicule.»

Ce printemps, les centaines d’immigrants de Farmville commençaient à paniquer à propos de la propagation possible de la COVID-19 - et du manque de ressources pour s’en protéger. Hill ne faisait pas exception. Il vivait aux côtés de dizaines d’autres hommes dans un dortoir mal ventilé, dormant tête-à-tête dans des lits superposés et partageant des salles de bain, des douches et une cafétéria, sans accès régulier à des produits de nettoyage ou à des masques.

Des détenus parlent au téléphone dans un centre de traitement d'ICE à Adelanto, en Californie, le 28 août 2019.
ASSOCIATED PRESS
Des détenus parlent au téléphone dans un centre de traitement d'ICE à Adelanto, en Californie, le 28 août 2019.

Pendant ce temps, des manifestations ont éclaté dans tout le pays alors que les Américains réagissaient aux meurtres par la police de Noirs, dont George Floyd, et exigeaient la fin du racisme et de la discrimination systémiques.

Ayant la volonté de réprimer des manifestants largement pacifiques à Washington, D.C., l’administration du président Donald Trump a déployé des efforts dangereux pour mobiliser rapidement des équipes tactiques, y compris des officiers de l’ICE, rapportait récemment le Washington Post. ICE a organisé des vols nolisés pour ses agents, sous prétexte que l’agence transférait 74 détenus depuis des installations à moitié vides en Floride et en Arizona vers Farmville - à 270 km au sud de la capitale - selon le Post.

«L’immigration a utilisé des gens comme billets d’avion, tout en ne tenant pas compte de la santé et de la sécurité des passagers de ces avions», a dénoncé Adina Appelbaum, directrice de programme à la Capital Area Immigrants’ Rights Coalition, qui milite pour les droits des personnes immigrantes à Washington. «C’est vraiment bouleversant d’entendre que ce comportement a conduit tant de personnes à tomber malades.»

Les responsables locaux de l’ICE ont repoussé les transferts, a affirmé le directeur de Farmville Jeff Crawford au conseil municipal le mois dernier, afin de prendre le temps de répondre aux préoccupations des autorités à propos d’une éclosion signalée dans l’établissement.

Voyez des images des manifestations antiracistes à Washington D.C., le 28 août dernier ci-dessous. Le texte se poursuit après la vidéo.

Farmville n’avait connu qu’une poignée de cas de COVID-19 au printemps et le personnel craignait de ne pas avoir assez d’espace pour la distanciation sociale si davantage de personnes arrivaient.

Mais le quartier général leur a assuré que les installations d’où venaient les détenus «n’avaient aucun cas de COVID-19», a déclaré Crawford.

«Avec le recul, nous pensons avoir découvert des informations selon lesquelles ce n’était pas exact, mais c’est ce qu’on nous a dit à l’époque.»

Parmi les nouveaux détenus arrivés, 51 ont été testés positifs à la COVID-19, allègue une poursuite intentée par quatre hommes contre ICE et Farmville pour leur «réponse terriblement inadéquate à la pandémie de COVID-19». Deux des plaignants sont détenus jusqu’à leurs audiences d’immigration. Les deux autres ont obtenu la permission des juges de rester aux États-Unis, mais ICE a porté ces décisions en appel.

Le virus s’est propagé comme une «traînée de poudre» dans tout l’établissement, indique la poursuite. À la mi-juillet, au moins 315 détenus avaient été testés positifs - plus de 80% de la population de Farmville - et sept avaient été hospitalisés.

Au total, plus de 5000 personnes détenues par ICE à travers les États-Unis ont été en contact avec la COVID-19. Environ 20 personnes, dont Hill, sont décédées jusqu’à présent en 2020.

Les conditions troublantes et chaotiques décrites par Hill à sa famille sont similaires à celles alléguées par la poursuite, qui n’ont pas encore été prouvées devant le tribunal.

Hill aurait vu des détenus sans masque ni gants nettoyer les vomissures et les excréments de ceux qui étaient malades, mais non isolés, a rapporté Verity. Hill a essayé de dormir pendant la journée pour éviter d’interagir avec les autres. Il mangeait le moins possible, ne voulant pas aller à la cafétéria car les détenus présentant des symptômes de COVID-19 servaient de la nourriture périmée, insuffisamment cuite ou infestée d’insectes.

“De la façon dont mon père en parlait, ce n’était pas une question de savoir s’il allait avoir la COVID, mais quand”, a fait valoir Verity.

Des détenus sont rassemblés dans une aire commune lors d'une visite de presse du centre de traitement d'ICE à Adelanto, en Californie, le 28 août 2019.
ASSOCIATED PRESS
Des détenus sont rassemblés dans une aire commune lors d'une visite de presse du centre de traitement d'ICE à Adelanto, en Californie, le 28 août 2019.

L’un des détenus, Gerson Amilcar Perez Garcia, 27 ans, du Honduras, a présenté de graves symptômes de COVID-19, notamment de la diarrhée, une forte fièvre et un essoufflement, et a perdu un total de 40 livres, selon la poursuite. Il a été mis en isolement avec un autre détenu malade après six jours de symptômes et a reçu des quantités limitées de Tylenol et de Gatorade. Les gardes l’ont visité une fois par jour.

Une nuit, Perez Garcia a eu l’impression de ne plus pouvoir respirer pendant une heure, indique le procès.

«Il a paniqué et il a crié aux gardes à l’aide en frappant sur la fenêtre de sa cellule. Il l’a fait pendant environ 10 minutes quand il est devenu tellement épuisé qu’il a dû s’arrêter.»

Personne n’a répondu à ses cris.

Un détenu est assis dans une cellule dans un centre de détention de l'immigration à Tacoma, dans l'État de Washington, le 10 septembre 2019.
ASSOCIATED PRESS
Un détenu est assis dans une cellule dans un centre de détention de l'immigration à Tacoma, dans l'État de Washington, le 10 septembre 2019.

Crawford, le directeur de Farmville, a nié les allégations de la poursuite en s’adressant aux conseillers municipaux en août.

«L’idée que nous n’avons pas répondu de manière adéquate à la situation de la COVID-19 dans l’établissement est fausse. L’idée que notre personnel et nos détenus sont malades est fausse», a déclaré Crawford.

«L’affirmation selon laquelle nos détenus ne reçoivent pas de soins médicaux est fausse. L’idée que nous n’effectuons pas de tests pour la COVID-19 ou que les tests sont inadéquats est fausse. L’idée que nos détenus n’ont pas accès à (l’équipement de protection individuelle) ou à du savon est fausse.»

Le 1er juillet, des gardiens ont injecté du gaz poivré dans le dortoir de Hill alors que les détenus étaient trop malades pour se lever pour le décompte quotidien, a affirmé Verity. Hill a dit à sa famille qu’il avait été exposé au gaz et avait commencé à souffrir d’essoufflement deux jours plus tard.

Il a été emmené à l’hôpital pendant la nuit, puis retourné dans son dortoir, a déclaré Crawford aux conseillers, niant que Hill ait été exposé au gaz poivré.

Des détenus quittent la cafétéria sous la surveillance de gardiens au centre correctionnel Winn, à Winnfield, en Louisiane, le 26 septembre 2019.
ASSOCIATED PRESS
Des détenus quittent la cafétéria sous la surveillance de gardiens au centre correctionnel Winn, à Winnfield, en Louisiane, le 26 septembre 2019.

Les problèmes respiratoires de Hill ont toutefois continué, et il a été envoyé à l’unité médicale pour observation.

Le 9 juillet, les symptômes de Hill n’avaient fait qu’empirer, au point qu’il n’a pas été autorisé à embarquer sur son vol de retour, selon Verity. Le lendemain de son retour prévu au Canada, il a finalement reçu un diagnostic de COVID-19 - ses niveaux de saturation en oxygène étaient si bas qu’il a été transféré à l’hôpital.

«Il ne voulait pas être mis sous respirateur parce qu’il voulait rester conscient», a expliqué Verity. «Mais à un moment donné, il était trop essoufflé pour parler et n’avait pas le choix.»

Pendant les quatre semaines suivantes, elle et sa famille ont parlé à Hill au téléphone, espérant qu’il entendait leurs mots d’encouragement. Verity a souffert d’anxiété extrême, grinçant des dents jusqu’à les endommager, craignant de perdre non seulement son père, mais aussi l’occasion d’enfin vivre leurs retrouvailles.

Dans la nuit du 5 août, le personnel de l’hôpital a dit à la famille de Hill qu’ils allaient arrêter les machines qui le maintenaient en vie. Verity a eu une dernière chance de dire au revoir.

«Je lui ai dit qu’il m’avait donné son cadeau et que je l’utiliserais pour lui écrire une vie», a confié Verity.

Verity et James Hill en 1986, à Richmond Hill, en Ontario.
Verity Hill/Supplied
Verity et James Hill en 1986, à Richmond Hill, en Ontario.

Quatre mois après le début de sa détention par ICE, James Hill est décédé.

«Il y a une nouvelle tragique, la mort d’un détenu», a déclaré Crawford lors de la réunion du conseil municipal. «Mais il y a aussi beaucoup de bonnes nouvelles.»

Depuis le 10 juillet, il a fait valoir qu’ils avaient administré plus de 700 tests et n’avaient documenté aucun autre détenu ou membre du personnel présentant des symptômes.

«Oui, nous avons eu de nombreux (tests) positifs, mais il y a une grande différence entre un test positif et une maladie.»

Cependant, une inspection récente effectuée pour les plaignants de la poursuite a révélé que le personnel de santé de Farmville ne surveillait pas les détenus pour repérer des symptômes persistants ni ne les dépistait correctement pour le COVID-19. Moins d’un quart des détenus portaient des masques.

ICE a déclaré dans un communiqué qu’une enquête interne avait été ouverte sur la mort de Hill.

Les autorités canadiennes sont au courant de la mort de Hill et sont en contact avec les autorités locales pour recueillir des informations, a confirmé le porte-parole d’Affaires mondiales Canada, Jason Kung. Ils fournissent une assistance à la famille Hill, mais ne peuvent fournir d’autres informations pour des raisons de confidentialité.

“Ne combats pas le chagrin: il ressurgira ailleurs dans la colère.”

- James Hill à sa fille Verity, dans une missive écrite en 2007.

Verity gère son deuil en partageant l’histoire de Hill avec des groupes de défense et des médias, dans l’espoir que cela donnera un coup de main à ceux qui sont toujours détenus à Farmville. C’est ce que son père aurait fait, dit-elle.

«Il avait cette conviction que l’humanité est un collectif et que nous sommes tous responsables les uns des autres. Nous partageons les difficultés des autres», a-t-elle déclaré. «Il ne voyait pas de division entre les gens.»

Peu de temps après la condamnation de Hill en 2007, Verity lui a écrit, pour lui faire part de son angoisse.

«Comment tu gères tout ça, maintenant que tu réalises que tout ce sur quoi tu comptait dans la vie n’était que fantaisie?» lui avait alors demandé Verity.

La réponse de Hill résonne aujourd’hui dans l’esprit de sa fille.

«Je respire», avait-il écrit. «Je deviens ce simple acte, pas un habitant de cette cellule, pas un prisonnier qui doit purger une peine, ni même un homme…. Ne combats pas le chagrin: il ressurgira ailleurs dans la colère.»

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l’anglais.

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