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Milléniaux: entre acceptation de soi et obsession esthétique

Pourquoi font-ils des chirurgies et corrections esthétiques avant 30 ans?

Notre série «Milléniaux: la piqûre de la perfection» dresse le portrait en trois volets d’une génération qui désire de plus en plus s’offrir un filtre à vie en passant par les traitements médico-esthétiques.

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Les milléniaux sont les premiers à avoir intégré Internet et téléphones intelligents dès l’adolescence, les exposant très tôt à une horde d’images idéalisées. Celle qu’on appelle désormais la génération selfie scrute plus que jamais ses moindres défauts. Mais à quel moment le souci de son apparence devient-il maladif?

Magazines et télévision façonnent depuis des années l’image que les jeunes se font de la perfection, mais à ça s’est ajouté le plus gros influenceur de tous, les réseaux sociaux. Photos filtrées ou retouchées, célébrités surinjectées et supra maquillées par les meilleurs de l’industrie, vidéos promotionnelles de grandes marques de cosmétiques ou d’influenceurs beauté ont contribué aux développements de complexes, mais aussi à la création d’un look unique à la Kardashian et à la valorisation des interventions esthétiques.

«Ça a vulnérabilisé les milléniaux, constate Dre Annie Aimé, psychologue spécialisée en image corporelle et professeure à l’Université du Québec en Outaouais. Je pense aussi qu’on nous a dit au cours des 20 dernières années, que c’était possible de modifier notre corps. Ça, en lien avec une exposition, ça fait une combinaison gagnante pour que les gens se disent : “Je dois faire quelque chose. Il y a des moyens, c’est censé fonctionner.” Et on passe du régime à la chirurgie. Ça rend le rêve accessible. Moi, je peux le faire, comme les vedettes.»

Les stars Kylie Jenner (22 ans), Cardi B (27 ans) et Olivier Rousteing (33 ans) sont fans d'interventions esthétiques.
Montage HuffPost Québec
Les stars Kylie Jenner (22 ans), Cardi B (27 ans) et Olivier Rousteing (33 ans) sont fans d'interventions esthétiques.

Même si Instagram a récemment retiré ses filtres imitant la chirurgie esthétique, il n’a pas interdit aux influenceurs de faire allègrement la promotion de ces procédures, contribuant à les rendre encore plus accessibles à un jeune public.

«Les réseaux sociaux ont vraiment contribué à démocratiser les traitements, c’est beaucoup moins tabou, remarque aussi Dr Benoît Leblanc, chirurgien plasticien. Et les prix ont baissé un peu. Ce qui a permis à une clientèle plus jeune, qui semble plus en moyen que les générations précédentes en plus, d’y avoir accès.» Certains médecins proposent sinon des modes de paiement par versements égaux afin qu’un plus large public puisse s’offrir des traitements.

“La chirurgie, c’est un moyen accessible qui demande pas trop d’effort et qui risque de fonctionner [pour corriger un complexe]. Ça donne envie d’y aller.”

- Dre Annie Aimé, psychologue

Et si autrefois les patients avaient tendance à sortir des cliniques médico-esthétiques par la porte d’en arrière, aujourd’hui les jeunes en parlent davantage ouvertement à leur communauté, ou même à leur famille, n’hésitant pas à demander des recommandations à leur tante qui a déjà eu du Botox.

CSA-Printstock via Getty Images

«Je trouve qu’il ne reste plus grand tabous aujourd’hui. Alors les interventions esthétiques, ça n’en est plus un non plus. On peut parler de ça ouvertement, et ça peut même être valorisé. Si j’ai les moyens de me payer une intervention à 10 000$, ça se peut que je sois fière de ça, et que j’en parle à mes amis. [...] On est content d’exposer notre réussite sur un élément corporel», pense Dre Aimé.

  • 63% des 21-35 ans dans le monde monde pensent que leur apparence a un impact sur leur travail.
  • 82% des 21-35 ans dans le monde croient que les traitements injectables sont socialement acceptables.

Dysmorphopho… quoi?

Partager son expérience et prendre soin de soi est une chose. En parler tous les jours et convoiter la prochaine intervention esthétique en est une autre. Certains obsèdent tellement sur leur physique que ça les mène à un problème de santé mentale, la dysmorphophobie, ou autrement dit la perception déformée et démesurée de défauts bien souvent inexistants.

«La dysmorphophobie, c’est vraiment quand on obsède sur une partie de notre corps qu’on n’aime pas, sur un idéal de beauté chez une personne. Lorsqu’on y pense continuellement. Si, par exemple, on n’aime pas son nez, on va le voir partout, on va se regarder sans arrêt, prendre beaucoup de temps pour le camoufler, le maquiller et ça amène des difficultés de fonctionnement», affirme Dre Aimé.

Selon elle, on franchit le cap du comportement obsessif et malsain «à partir du moment où on éprouve une grande détresse, une souffrance psychologique».

«Quand on se sent plus triste ou anxieux, explique Dre Aimé. Quand notre fonctionnement est altéré, c’est-à-dire quand on commence à avoir des difficultés à avoir des relations interpersonnelles, à aller voir des amis. “Je ne veux pas aller voir des amis, parce que j’ai l’air trop vieille, ou mon ventre, ou on va critiquer mon nez…” Quand on est préoccupé comme ça pis qu’on se met à éviter des gens, des situations ou des endroits, là on parle de quelque chose qui est plus problématique.»

“Il faut faire attention au Snapchat dysmorphisme. C’est une vision non réaliste de soi-même a travers tous ses filtres. Si une personne vient nous voir avec une photo toute filtrée, je dois lui expliquer que ce n’est pas la vrai vie. [...] On s'en fait passer souvent.”

- Dre Suzanne Gagnon, dermatologue spécialisée en esthétique

C’est d’ailleurs la dysmorphophobie qui en pousserait certains à l’exagération: des grosses lèvres en saucisse, des pommettes non naturelles, ou des contours des yeux boursouflés.

S’autoquestionner

Une récente méta-analyse de l’Université Dalhousie à Halifax basée sur 77 études sur la Génération Y révélait que les milléniaux sont plus perfectionnistes que les générations précédentes.

Un perfectionnisme qui n’épargne pas le visage, comme le montre la hausse de fréquentation des cliniques médico-esthétiques par les milléniaux.

nadia_bormotova via Getty Images

Avant de passer à l’acte, Dre Aimé suggère de faire une analyse des pour et des contre. «“Je fais-tu ça pour les bonnes raisons? Quelles sont les avantages, quels sont les inconvénients. Ai-je mesuré les dangers? Est-ce que quand je prends de l’information, j’écarte complètement les éléments dangereux et je retiens seulement les bonnes expériences?“ C’est d’avoir une vision juste de la chose. On appellerait même ça un consentement éclairé. “Je sais dans quoi je m’embarque. Ou est-ce que je le fais pour mon chum, pour ma mère?” À ce moment-là, ça devient une moins bonne raison.»

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Insatisfaction normative

Un nouveau concept est apparu dans les dernières années dans la littérature relative à la psychologie : l’insatisfaction normative. Il est considéré «normal», donc pas nécessairement maladif, d’observer certains défauts chez soi et même d’être capable de les nommer facilement. Les recherches de Dre Aimé montrent qu’environ 70% de la population universitaire en souffrirait à divers niveaux.

* Mentionné quelques fois dans ce texte, le «Allergan 360 Aesthetics Report» est basé sur les réponses de 14 500 «consommateurs soucieux de leur esthétique» (ceux qui se sont déclarés intéressés par une meilleure apparence et ouverts à dépenser pour ça) et plus de 1300 médecins dans 18 pays.

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