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Chaque semaine, notre gourmandise coûte la vie à quatre environnementalistes

Notre consommation de collations, de viande et de café a entraîné plus de 200 meurtres l'an dernier à travers le monde.
Ramón Bedoya donne une visite guidée de la terre que possède sa famille.
THOM PIERCE/GUARDIAN/GLOBAL WITNESS/UN ENVIRONMENT
Ramón Bedoya donne une visite guidée de la terre que possède sa famille.

On n'y pense pas toujours, mais le prix que nous payons à l'épicerie ne reflète pas le coût réel de notre alimentation. Il faut aussi prendre en compte le coût humain: l'an dernier, les meurtres violents de militants écologistes ont atteint un niveau sans précédent.

En 2017, 207 personnes qui tentaient de protéger l'environnement contre l'installation d'entreprises telles que les exploitations bovines et les plantations de canne à sucre ont été tuées par des paramilitaires, des troupes gouvernementales, des criminels et des trafiquants mercenaires, selon un nouveau rapport de l'ONG internationale Global Witness. Ce chiffre représente environ quatre militants écologistes tués chaque semaine.

Pour la première fois, les entreprises agroalimentaires qui produisent des denrées telles que le bœuf, l'huile de palme et le café ont remplacé l'extraction minière comme secteur le plus meurtrier pour la population (principalement) indigène qui travaille de manière bénévole ou professionnelle pour la protection de l'environnement et des droits fonciers.

Le père de Ramón Bedoya, Hernán, était l'une de ces 207 victimes. Des paramilitaires colombiens lui ont tiré dessus à 14 reprises après qu'il ait manifesté contre l'installation de plantations de palmiers à huile et de bananiers sur les terres de sa communauté, a rapporté Global Witness.

Bedoya a expliqué au HuffPost que son père «était constamment menacé d'être tué ou d'être expulsé des terres, car il était un leader [...] Puis ils l'ont assassiné».

Les autorités colombiennes avaient connaissance des menaces, qui ont fait l'objet du documentaire primé Frontera Invisible, mais cela n'a pas suffi à protéger Hernán.

Désormais, explique Bedoya, les communautés telles que la sienne ont besoin d'être aidées pour éviter que de nouveaux militants ne soient assassinés. «Nous voulons que le massacre s'arrête», a-t-il déclaré.

L'Amérique latine est de loin la région la plus dangereuse au monde pour les défenseurs de l'environnement. Près de 60 pour cent des meurtres liés à la protection de l'environnement enregistrés en 2017 ont eu lieu dans la région.

Meurtres de militants écologistes par pays en 2017, selon Global Witness
Global Witness
Meurtres de militants écologistes par pays en 2017, selon Global Witness

Les forêts tropicales du Mexique, par exemple, ont été ravagées par toute une série de nuisances, telles que l'élevage bovin illégal ou la culture de l'avocat. Isidro Baldenegro López, un célèbre militant indigène qui a reçu le prestigieux prix Goldman pour l'environnement pour ses travaux de protection des forêts de la chaîne montagneuse de la Sierra Tarahumara (au nord du Mexique) contre l'exploitation forestière, a été abattu en janvier 2017.

Isela González, directrice de la Sierra Madre Alliance, une organisation qui défend les droits des indigènes de la Sierra Tarahumara depuis 20 ans, dit avoir reçu plusieurs menaces de mort. Elle se déplace désormais sous escorte policière, mais affirme ne pas se sentir entièrement en sécurité, notamment parce que le bouton d'alarme et les téléphones satellitaires mis à sa disposition par le gouvernement ne fonctionnent pas dans les zones reculées.

Isela González a expliqué au HuffPost que les meurtres «étaient la source d'un stress important et de très longues journées de travail, car il faut rester attentif à ce qui pourrait arriver. Cela a aussi eu des conséquences sur ma santé».

Évoquant la récente victoire du président élu mexicain Andrés Manuel López Obrador, elle a ajouté: «C'est justement parce que nous sommes sur le point de changer de gouvernement qu'il est fondamental que les ambassades [diplomatiques] montrent qu'elles se soucient de cette crise des droits de l'homme – les disparitions, la torture – et qu'elles s'expriment sur les risques auxquels les défenseurs des terres et de l'environnement sont confrontés.»

Isela González dirige l'Alliance Sierra Madre, une organisation qui défend les droits des communautés indigènes de la Sierra Tarahumara, au Mexique, depuis deux décennies.
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Isela González dirige l'Alliance Sierra Madre, une organisation qui défend les droits des communautés indigènes de la Sierra Tarahumara, au Mexique, depuis deux décennies.

En Europe, les efforts pour arrêter la déforestation et les violations des droits de l'homme sont retardés par l'application insuffisante des lois limitant les importations de bois illégales et par les concessions faites aux producteurs d'huile de palme de l'Asie du Sud-Est pour protéger les intérêts commerciaux de l'Europe.

En mai, un projet d'étude de la Commission européenne a attiré l'attention sur le fait que le vote du Parlement européen en faveur d'une interdiction de l'huile de palme d'ici 2020 avait «provoqué de fortes réactions» des pays producteurs tels que l'Indonésie et «soulevait des questions au sujet des éventuelles répercussions sur les négociations de l'accord de libre-échange».

Un mois plus tard, l'U.E. a accepté de reporter la suppression progressive de l'huile de palme d'une décennie. La semaine dernière, l'ambassadeur du bloc en Malaisie a déclaré que l'Europe était toujours «ouverte à l'huile de palme».

«Il est choquant d'entendre cette déclaration alors que de nombreuses forêts disparaissent justement à cause de l'industrie de l'huile de palme», a déclaré Sebastian Ordoñez Muñoz, de l'association caritative de lutte contre la pauvreté War on Want. «Une autre décennie de déforestation aura des répercussions sans précédent sur le réchauffement climatique et des effets violents sur les communautés indigènes.»

La réglementation doit et peut jouer un rôle dans la lutte contre les crimes environnementaux, précise le nouveau rapport de Global Witness. Les consommateurs peuvent aussi contribuer en critiquant les entreprises et les gouvernements sur les réseaux sociaux, en écrivant à leurs représentants politiques et en participant à des campagnes de solidarité.

«Les consommateurs préoccupés [...] peuvent téléphoner à leurs députés et leur demander ce que le gouvernement fait pour réglementer les entreprises à l'étranger», a expliqué Ben Leather, un militant chevronné de Global Witness et l'auteur du rapport. «Ils peuvent demander aux entreprises comment elles peuvent garantir l'absence de violation des droits de l'homme sur leurs chaînes d'approvisionnement. Ils peuvent exiger que leur consommation n'alimente pas le meurtre des défenseurs des droits environnementaux et fonciers.»

Maria do Socorro milite avec les communautés contre les usines d'aluminium, qui seraient responsables de la pollution de l'eau dans le village de Barcarena, au Brésil.
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Maria do Socorro milite avec les communautés contre les usines d'aluminium, qui seraient responsables de la pollution de l'eau dans le village de Barcarena, au Brésil.

Parmi les nombreuses évolutions inquiétantes présentées dans le nouveau rapport, Ben Leather affirme que les militantes écologistes subissent désormais «des menaces spécifiques et accrues» de violence, d'abus et de harcèlement sexuel – parfois à l'intérieur même de leur communauté.

On y note également une augmentation des meurtres ayant entraîné la mort de plusieurs personnes à la fois en 2017, peut-être parce que leurs auteurs se sont sentis libres de tuer au vu et au su de tous en toute impunité.

«Ils ne pensent pas qu'il y aura des conséquences et ne craignent donc pas de commettre des atrocités de masse pour inspirer la crainte dans des communautés toutes entières», a déclaré Ben Leather.

Le rapport de Global Witness signale plusieurs massacres dans des pays tels que le Brésil et les Philippines. Dans ce dernier pays, l'armée aurait selon certaines sources tué au moins huit indigènes en décembre alors qu'ils tentaient de protéger leurs terres contre l'installation d'une plantation de café.

Le Brésil demeure le pays le plus meurtrier pour les militants écologistes, avec 57 meurtres l'an dernier – le chiffre le plus élevé jamais enregistré dans le monde. Vingt-deux membres d'une même tribu – les Gamela – ont été attaqués lors d'un incident d'accaparement des terres. Certains d'entre eux ont eu les mains coupées.

L'agence de crédit à l'exportation du Royaume-Uni a annoncé cette année 3,9 milliards de dollars en garantie pour les échanges commerciaux avec le Brésil, couvrant les secteurs de l'alimentation et des boissons, de l'exploitation minière, du gaz et du pétrole. Mais tandis que les notes d'orientation du ministère du commerce international du Royaume-Uni mentionnent que «le crime organisé représente un problème important dans certaines régions du Brésil», elles ne font aucune référence à la déforestation ou à la criminalité environnementale.

«Le milieu des affaires a montré ce qu'il était prêt à faire pour garantir ses investissements, mais la population a déclaré que défendre ses terres, c'est défendre sa survie.»- Bertha Zúñiga Cáceres

L'un des rares signaux positifs dans le rapport: le nombre de meurtres de défenseurs de l'environnement au Honduras a diminué, passant de 14 en 2016 à 5 l'an dernier. La répression politique s'est pourtant intensifiée, et la nation d'Amérique centrale conserve le pire bilan en matière de nombre de violations des droits de l'homme par habitant, avec 128 militants écologistes assassinés cette dernière décennie.

«Nous avons atteint un seuil critique où le milieu des affaires a montré ce qu'il était prêt à faire pour garantir ses investissements en Amérique latine, mais la population a déclaré que défendre ses terres, c'est défendre sa survie», a expliqué Bertha Zúñiga Cáceres, la fille de la militante écologiste Berta Cáceres, qui fut assassinée au Honduras en 2016 et qui a contribué à faire connaître dans le monde entier les défenseurs de l'environnement et les dangers auxquels ils sont confrontés.

En réponse au rapport de Global Witness, l'écrivain et militant écologiste George Monbiot a déclaré que «les défenseurs de l'environnement sont sur la première ligne d'une lutte générationnelle contre le changement climatique».

«Nous ne pourrons jamais aborder sérieusement la création d'une planète plus verte, plus propre et plus durable si l'on ne s'exprime pas lorsque des gouvernements et de grandes entreprises travaillent main dans la main pour s'emparer, démolir, percer et cultiver de manière intensive de force des terres qui sont non seulement vitales pour capturer le carbone, mais qui abritent aussi des espèces rares de plantes et d'animaux.»

Ce texte initialement publié sur le HuffPost États-Unis a été traduit de l'anglais.

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