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Même en tant que grosse, je mérite d’être soignée correctement

J'hésite à décréter les médecins tout simplement mauvais, incapables de témoigner de l'attention et de la sensibilité envers leurs patients.
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Dans toute ma vie, j'ai connu un bon docteur — un seul. Quant aux nombreux autres, ils n'ont été d'aucun soutien.

J'hésite à les décréter tout simplement mauvais, incapables de témoigner de l'attention et de la sensibilité envers leurs patients. Peut-être étaient-ils excellents avec les autres... Mais pas avec moi.

La raison en est simple: je suis grosse. Et je ne parle pas d'un surpoids discret ou subtil, non. Mon surpoids à moi est agressif — le genre qu'on ne peut ignorer. Dès que j'entre dans une pièce, on ne voit plus que moi.

Voilà qui ne m'a pas facilité la tâche cette semaine, dans la salle d'attente d'un nouveau docteur. Ayant emménagé à l'automne dernier dans un autre État, bien qu'à une heure seulement de mon ancienne ville, j'ai été obligée de changer d'assurance santé. Pendant quelques mois encore, j'ai pu convaincre mon praticien de continuer à me faire mes renouvellements... Mais tôt ou tard, j'ai dû accepter l'inévitable: il me fallait trouver un autre médecin traitant.

Petit historique de mes expériences

Quelques exemples pour vous expliquer mon passif: quand j'avais huit ans, mon pédiatre a développé une obsession pour mon poids, qu'il n'a pas tardé à me transmettre (bien qu'à l'époque, je n'aie été que légèrement au-dessus de la courbe normale pour ma taille et mon âge). C'est là que j'ai fait mon premier régime — à huit ans.

À l'âge où la plupart des jeunes ne pensent qu'à collectionner des bracelets à la mode ou à mémoriser la chanson des Animaniacs qui liste les 50 États et capitales américains, j'ai ainsi été entraînée dans un cycle de privations et de troubles alimentaires variés. Dans les réunions des programmes Weight Watchers ou Jenny Craig, j'étais cette pauvre enfant de 12 ans qu'on retrouve coincée au milieu d'un cercle de mamans... Et ça ne m'est pas arrivé qu'une fois.

Que je souffre d'une maladie de la vésicule biliaire ou d'une blessure à l'épaule, la réponse des médecins était toujours la même: «Vous devez perdre du poids!»

Quand j'avais 21 ans, mon docteur, jugeant ma tension et mon poids trop élevés à son goût, m'a tranquillement menacée de ne plus me prescrire la pilule «si je n'arrivais pas à perdre un peu». Aucun conseil à attendre sur la marche à suivre: je n'en ai retiré que la terreur de me voir privée de contraception — et une appréhension de la blouse blanche, qui ne m'a jamais quittée depuis.

Vous devez perdre du poids!

Que je souffre d'une maladie de la vésicule biliaire ou d'une blessure à l'épaule, la réponse des médecins était toujours la même: «Vous devez perdre du poids!» Un gynécologue m'a un jour demandé, en plein milieu d'un frottis, si j'avais déjà envisagé de recourir à la chirurgie bariatrique. J'ai bien dit «en plein milieu», pendant qu'il me raclait l'utérus pour faire son prélèvement — DEUX FOIS.

J'ai connu des dizaines d'erreurs de diagnostic — quand les docteurs et urgentologues, tout en me décrivant des symptômes spécifiques, ne se contentaient pas de tout mettre sur mon poids. On m'a attribué des symptômes que je n'avais pas, proposé des traitements dont je n'avais pas besoin, refusé d'autres médicaments pour des problèmes qui n'avaient rien à voir — à moins que je ne perde quelques kilos. Sans parler du dégoût à peine voilé lors des examens médicaux et gynécologiques...

Pour une personne en surpoids, se livrer à un suivi médical régulier, c'est accepter le risque de subir humiliations et mauvais traitements. Soit vous apprenez à vous défendre, soit vous finissez par laisser tomber.

Quelle que soit ma rancœur envers le système de santé, je n'ai jamais renoncé à me faire suivre, comme le font bien des personnes en surpoids — non sans raison. Depuis l'âge de 18 ans, je n'ai jamais manqué un examen gynécologique; mon sérieux est tout aussi irréprochable pour ce qui est des bilans de santé annuels. Je viens d'une famille d'hypocondriaques, et malgré mon aversion pour le corps médical, tirer un trait sur la prévention n'a jamais été une option pour moi.

Au moment de souscrire ma nouvelle couverture santé, j'ai choisi un médecin pratiquement au hasard, sur une liste trouvée sur Internet. Mes critères essentiels: que quelqu'un réponde au téléphone, et qu'il ou elle accepte mon assurance. J'ai réussi à trouver un infirmier praticien [habilité à réaliser des prestations proches de celles d'un médecin aux États-Unis et au Canada, N.D.T.] qui pouvait me proposer un rendez-vous deux semaines plus tard; après toutes mes mauvaises expériences, je préfère éviter les docteurs traditionnels. J'avais donc quinze jours devant moi pour voir s'installer une énorme vague d'anxiété.

Je m'arrête pour avancer une idée révolutionnaire: toutes les maladies des personnes en surpoids ne découlent pas de leur corpulence.

La plupart des études destinées à terrifier les obèses évoquent un risque accru pour tel ou tel problème, mais pas de lien de cause à effet. Et nous pouvons être plus exposés à divers soucis de santé pour une variété de raisons, dont certaines ne sont pas clairement attribuables à nos kilos en trop.

De même, des recherches ont récemment montré que les femmes afro-américaines sont trois fois plus susceptibles que les Blanches de mourir de complications du post-partum. Mais ce taux de mortalité ne vient pas de leur couleur de peau. Un grand nombre de facteurs annexes peuvent y participer: stress provoqué par la discrimination, difficulté à accéder à des soins de qualité dans une culture minée par le racisme (même les Afro-Américaines des classes sociales favorisées forment une population plus à risque). Ces problèmes sont tous liés à la question raciale, mais leur cause profonde n'est pas l'origine des victimes: c'est la réaction qu'elle induit chez l'autre.

À l'évidence, le racisme obéit à d'autres mécanismes que la dévalorisation permanente des gros; ses racines sont bien plus profondes et insidieuses, et loin de moi l'idée de les mettre sur le même plan. Mais de manière similaire, il est impossible de définir quelle proportion des problèmes des personnes en surpoids provient directement de leur corpulence, et quelle proportion est plutôt attribuable à ses lourdes conséquences sur leur vie sociale — ou à ces préjugés du corps médical qui retardent le diagnostic, font oublier les symptômes et, dans bien des cas, réduisent cette population à se priver littéralement de soins.

J'en suis consciente, beaucoup de gens soutiennent mordicus que les gros sont des personnes malades. Pourquoi? Parce que c'est le cas, on le sait bien. Pourquoi? Parce que nul ne peut l'ignorer. Pourquoi? Parce que c'est de notoriété publique... Ce type de raisonnement circulaire est encouragé par la stigmatisation généralisée qui rend justement si difficile l'accès à des soins de qualité. Et après tout, la santé d'un gros, qu'est-ce que ça peut faire?

Les personnes en surpoids peuvent être plus exposées à divers soucis de santé pour une variété de raisons, dont certaines ne sont pas clairement attribuables à leurs kilos en trop.

Qu'en est-il, alors, de mon unique bon docteur? Il n'a pourtant rien fait de spécial. En fait, il s'est contenté de m'écouter, de me considérer dans ma perception de mon corps, incluant mon point de vue dans son diagnostic. Il m'a traitée avec autant de respect que tous ses autres patients. Attentif à mes ressentis, il ne s'est pas contenté d'idées reçues. Pour répondre à ses questions, il s'est appuyé sur des examens au lieu de chercher à deviner ce que j'avais. C'est tout... Mais cela m'a appris que oui, je mérite des soins de qualité, qu'il est normal que j'en reçoive — que je peux même en faire l'exigence.

Ce qui ne m'empêche pas d'arriver avec un lourd passif dans tout cabinet médical. Aujourd'hui, chaque entretien avec un nouveau praticien est pour moi un jeu d'équilibriste: comment poser clairement mes attentes sans tomber dans le cliché de la «grosse qui n'écoute rien»?

Selon une étude menée en 2003 par l'Université de Pennsylvanie, sur les 600 médecins étudiés, la moitié considérait ses patients obèses comme des personnes gauches, peu attirantes et fréquemment récalcitrantes; un tiers les jugeait aussi paresseux et manquants de discipline. Le résultat:

Les médecins consacrent moins de temps à leurs patients obèses, font moins d'efforts pour instaurer une communication saine, et les invitent moins souvent à des examens complémentaires.

Voilà les faits auxquels il me faut faire face, dès la minute où le praticien fait son entrée. C'est un travail de longue haleine — plusieurs semaines de préparation consacrées à peaufiner mon texte. J'expose d'abord le détail de mon parcours alimentaire, jalonné de régimes et d'échecs à répétition. Puis, les bases de mon argument posées, j'enchaîne sur la manière dont je souhaite actuellement gérer ma santé. Le message global: «Considérons ma corpulence comme un état de fait, et partons du principe qu'un amaigrissement durable et sans risque n'est pas à considérer pour moi».

J'ai abandonné les régimes peu après mes 20 ans, et j'ai aujourd'hui passé la quarantaine. Dans l'intervalle, mon poids n'a que très peu varié. Cette information a tendance à calmer les docteurs, qui s'imaginent sinon que je ne cesse de grossir à un rythme alarmant — mais leur tendance à tirer spontanément cette conclusion est en soi un problème.

Depuis que j'ai commencé à m'affirmer ainsi d'entrée de jeu, j'ai constaté une vraie amélioration: comme on le dit toujours, si vous voulez quelque chose, il faut le demander. Je pose aujourd'hui clairement mes limites, et mes docteurs les respectent.

Mais cela ne neutralise pas mon angoisse: et si celui-ci se montrait moins coopératif? Si je n'avais d'autre choix que de battre en retraite sur ces paroles terribles: «Je vous remercie, mais je préfère m'adresser à un autre médecin»? Si cela ne m'est arrivé que deux fois, nombre de mes amis ont subi bien plus souvent cette humiliante situation.

Nous n'aspirons qu'à être traités comme des personnes à part entière.

Nous voulons que les professionnels médicaux s'appuient sur les symptômes que nous leur décrivons et les résultats de nos examens pour juger de notre santé et de nos besoins: assez de ces dizaines d'a priori qui nous assaillent dès notre entrée dans une salle d'attente, influençant les traitements reçus et, trop souvent, retardant ou empêchant des diagnostics susceptibles de sauver nos vies! Comme l'accès aux soins en général, c'est là un droit dont nul être humain ne devrait être privé.

Cette fois-ci, mon nouveau docteur m'a écoutée, posé les bonnes questions, et semble disposé à accepter ma position. Il s'est même avoué soulagé que je rejette catégoriquement l'idée de la chirurgie bariatrique: il semblerait que ce type d'opération entraîne des carences permanentes dont la gestion n'est pas une partie de plaisir. J'ai bon espoir de pouvoir construire avec lui une relation positive.

Il est révoltant que nous devions tant batailler pour accéder à des soins que les personnes minces tiennent pour acquis — et plus révoltant encore qu'un tel nombre de gros renonce tout simplement à se faire traiter.

Mais il en aurait sans doute été autrement sans tout ce travail intensif. C'est une préparation qui me permet de défendre mes choix, mais dont d'autres n'auraient ni l'idée ni les ressources. Il est révoltant que nous devions tant batailler pour accéder à des soins que les personnes minces tiennent pour acquis — et plus révoltant encore qu'un tel nombre de gros renonce tout simplement à se faire traiter. Impossible de nier que ce choix d'éviter systématiquement les médecins et les bilans de santé a un lourd impact sur leur état global, ainsi que leurs chances de guérir d'une maladie.

Et pourtant, ce n'est pas le corps médical et ses idées reçues qu'on pointe du doigt. Le blâme est toujours rejeté sur ces patients prisonniers d'institutions qui les négligent, les ignorent ou leur imposent les mauvais diagnostics, alors que leur mission est de leur assurer santé et bien-être.

Les gros eux-mêmes se croient responsables des injustices dont ils sont la cible, malgré les préjugés évidents qu'ils laissent entrevoir chez l'ensemble des professionnels.

Et c'est bien ça, le plus grand des scandales.

Ce blogue, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast For Word.

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