Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Je suis médecin dans une unité COVID-19: voici un geste vital que je vous encourage à poser

Même si nous pratiquons la distanciation sociale chacun chez soi, il est temps d'avoir cette conversation que la plupart d'entre nous avons évitée - ou que nous ne savions même pas que nous devions avoir.
sudok1 via Getty Images

Plus tôt cette semaine, un patient de 30 ans atteint de la COVID-19 est décédé alors qu’il était sous respirateur. Il n’avait pas énoncé ses souhaits de fin de vie - ce que nous appelons, dans le domaine médical, les niveaux de soins.

Son père, dévasté après avoir vu les coûts liés à son état, ne voulait pas de traitement supplémentaire qui prolongerait l’inévitable. Sa mère voulait essayer tout ce qui pouvait être fait pour le sauver. Si le patient lui-même avait pu parler, il aurait pu exprimer ses souhaits et sauver sa famille d’un conflit déchirant.

Mais il n’avait pas prévu mourir.

Cette situation tragique est bien trop courante, parce que les familles ne discutent pas à l’avance des intentions en cas d’urgence ou pour la fin de vie. Il est particulièrement stressant de prendre ce genre de décision lorsque les enjeux sont graves, ce qui est souvent le cas dans le contexte actuel de pandémie. C’est pourquoi il est important de comprendre les options de traitement en fin de vie et de faire des choix avant qu’une crise ne se produise. Personne ne veut imaginer le pire, mais le pire est une dure réalité.

Sur les 55 patients de mon unité COVID-19 au coeur de Detroit, un seul avait un document de planification des soins de fin de vie. Ce patient ne parlait plus après avoir eu un AVC à l’âge de 54 ans. J’ai téléphoné à sa sœur, sa répondante désignée, et elle m’a lu son plan de soins anticipés. «Docteur, dites-lui que je l’aime», a-t-elle dit. Il était réconfortant de savoir que ce patient avait une porte-parole désignée.

Lorsque j’ai interrogé une autre patiente sur ses souhaits pour les niveaux de soins, elle a ri nerveusement et a demandé: «Est-ce que c’est un mauvais présage?» Elle était sous quatre litres d’oxygène, respirait lourdement, mais était stable. Elle pensait que la conversation avait lieu parce qu’elle n’allait pas traverser cette épreuve.

Un autre homme m’a dit: «J’ai 62 ans et j’ai encore beaucoup à faire!» Ses yeux étaient vitreux à cause de sa forte fièvre et ses mains serraient sa poitrine alors qu’il essayait de ne pas tousser. Il craignait que son âge ne l’empêche d’obtenir des soins pour le maintenir en vie, d’autant plus que certains ont suggéré que les personnes âgées sont moins dignes d’être sauvées ou même devraient être prêtes à mourir pour préserver l’économie.

Au cours de mes derniers quarts de nuit, j’ai continué à parler aux patients des niveaux de soins. «Voulez-vous être ressuscité, être sous respirateur, recevoir des chocs électriques sur votre poitrine et des compressions thoraciques qui peuvent casser vos côtes?», ai-je demandé. «Voudriez-vous un tube de gavage? Si vous ne pouviez pas prendre de décisions médicales, qui prendrait ces décisions pour vous?»

Il n’est pas facile de répondre à ces questions, surtout lorsque vous êtes déjà malade, terrifié et seul dans un lit d’hôpital.

“C’est une discussion que tout le monde devrait avoir, pas seulement à partir de l’âge de 65 ans.”

«Je ne sais pas ce qu’il voudrait - prendre cette décision pour lui est trop stressant», a dit, en larmes, la sœur d’un patient de 37 ans. Ce patient n’avait pas établi de directives de niveaux de soins. Sa sœur devait maintenant porter le fardeau émotionnel de décider de ses soins. Elle aussi combattait la COVID-19, mais de chez elle. Son frère était sous respirateur, incapable de communiquer. Dire que la situation est bouleversante est un euphémisme.

Bien que nous discutons souvent des niveaux de soins pour les autres, beaucoup d’entre nous, dans le milieu de la santé, n’avons pas pensé à notre propre mort. Je ne l’avais pas fait. Trop souvent, cette conversation a lieu lors d’une visite chez le médecin à partir de l’âge de 65 ans. Des études menées de 2011 à 2016 par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie ont révélé que seulement un tiers des adultes américains avait établi des directives pour les niveaux de soins.

Mais c’est une discussion que tout le monde devrait avoir, pas seulement à partir de l’âge de 65 ans. Dans mon unité COVID-19, les patients étaient âgés de 18 à 103 ans. Il aurait été étonnant que la jeune femme de 18 ans ait beaucoup pensé à sa mortalité avant ça.

Donc, alors que nous pratiquons la distanciation sociale chacun chez soi, il est temps d’avoir cette conversation que la plupart d’entre nous avons évitée - ou que nous ne savions même pas que nous devions avoir. Faites un plan de fin de vie, écrivez-le et ayez-le à proximité pour en discuter avec votre médecin. Mieux encore, contactez un avocat et apprenez comment faire valoir vos souhaits légalement. En cas de conflit entre les membres de la famille, il y aura une voie claire à suivre.

“Parler de la mort est horriblement inconfortable, mais peut-être que cette pandémie est le coup de pouce dont nous avons besoin.”

Récemment, pour la première fois, j’ai choisi une personne qui serait la porte-parole de mes souhaits de fin de vie, pensé à mes volontés par rapport à la réanimation et j’ai même réfléchi à mes propres funérailles. Ce n’était pas facile, mais c’était important - à la fois pour mon propre bien-être que pour celui de ma famille.

Au lieu de vivre dans le regret et la culpabilité de se dire: «J’aurais aimé savoir ce qu’il aurait voulu», nous avons tous le pouvoir de connaître les souhaits des membres de notre famille dès maintenant. Parler de la mort est horriblement inconfortable, mais peut-être que cette pandémie est le coup de pouce dont nous avons besoin. Discuter des niveaux de soins avant de tomber malade peut épargner beaucoup de douleur émotionnelle et aider à atténuer les peurs qui entourent la mort.

Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le pour votre famille. Leur fardeau sera allégé si vous deviez tomber malade.

Ce texte a initialement été publié sur le HuffPost États-Unis.

À VOIR AUSSI: Quels sont les quatre «niveaux de soin»?

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.