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Mazal Tov: quand tout va mal

C'est un fameux bordel où on rit malgré tous les malheurs qui s'abattent sur les personnages.
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Hugo B. Lefort

Je ressens beaucoup d'affection pour le Théâtre Bistouri. Cette petite entité de la région de Québec vivant de subventions et de contributions du public et sous la houlette de Marc-André Thibault trouve le moyen (et les moyens) de présenter des pièces de qualité toujours admirablement jouées et mises en scène. Après L'ouest solitaire et Les ossements de Connemara, deux pièces du dramaturge irlandais Martin McDonagh que j'avais beaucoup, beaucoup aimées, le Théâtre Bistouri revient dans la salle intime du Prospero pour Mazal Tov, écrite et mise en scène par Marc-André Thibault.

C'est lui-même qui dit adorer qu'on lui raconte des histoires. Le texte qu'il nous propose va absolument dans ce sens : une histoire folle, mais plausible, des personnages typés et attachants, même s'ils se révèlent parfois insupportables, et une série de messages subtils que l'on prend plaisir à décoder.

Cette histoire folle est celle du mariage de Patrick (François-Simon Poirier), un brave garçon québécois, avec Isabelle (Stéphanie Jolicoeur) une jeune juive. Ils se marient selon les rites judaïques pour plaire à la famille d'Isabelle et un incident se produit lorsque Patrick veut briser avec son pied le verre enrobé d'un linge à la fin de la cérémonie. Il tombe, se blesse la jambe assez gravement et se retrouve à l'hôpital. Mariage raté, lune de miel reportée bref, ça ne va pas bien. Son meilleur ami Philippe (Alexis Lemay-Plamondon) lui tient compagnie, un éternel farceur dont les blagues douteuses visent les groupes ethniques, les nains, les femmes, tout ce qui bouge en fait et même ce qui ne bouge pas. Surgit Isabelle, éplorée et hystérique, car on peut être les deux en même temps, qui reproche à Philippe d'avoir fait le salut nazi lors du départ de l'ambulance qui amenait Patrick à l'hôpital. Philippe s'en défend bien, mais ne peut s'empêcher d'en remettre et alors qu'il se trouve au sommet d'un escalier, Isabelle le poursuit et lui assène un coup de talon haut sur la tête. Philippe déboule l'escalier et se retrouve lui aussi à l'hôpital, tétraplégique.

C'est un fameux bordel où on rit malgré tous les malheurs qui s'abattent sur les personnages.

On le voit, la tragédie frappe aux moments les moins opportuns. Isabelle, bien sûr, est désolée et de plus en plus hystérique. Le pauvre Patrick tente de gérer les émotions de sa femme. Ariel Wiseman (Jean-François Casabonne), père d'Isabelle et patriarche juif pas plus amoureux de son nouveau gendre qu'il ne le faut, louvoie en tentant de recoller les pots cassés et révélera un côté surprenant de sa personnalité. Philippe, qui n'a plus d'avenir, plus de vie, s'accroche à une poursuite au civil tout en soulignant que dorénavant il peut faire des blagues sur les handicapés sans se faire juger. C'est un fameux bordel où on rit malgré tous les malheurs qui s'abattent sur les personnages.

Les comédiens sont merveilleux. François-Simon Poirier a un côté vulnérable de petit garçon qui le rend irrésistible dans le rôle de Patrick. Alexis Lemay-Plamondon fait de son Philippe le douchebag par excellence qui ne détonnerait pas dans Occupation Double. On a envie d'étrangler l'Isabelle de Stéphanie Jolicoeur, mais en ressentant tout de même de la pitié pour cette jewish princess irréfléchie au tempérament de feu. Et l'Ariel Wiseman de Jean-François Casabonne nous fait parfaitement comprendre l'importance de la famille et de la tradition et le sens de la perte qui caractérise la culture juive. La mise en scène de Marc-André Thibault, limpide et précise, utilise de façon ingénieuse le petit espace de la salle intime du Prospero. Et il y a une scène d'onirisme très réussie grâce aux éclairages de Roxanne Doyon qui d'ailleurs fait un job impeccable tout au long de la représentation.

En catimini, mine de rien Mazal Tov, au-delà de l'anecdote tragico-comique qui constitue l'épine dorsale du récit, nous entretient des différences culturelles, des personnes handicapées, de la mémoire juive et du politiquement correct qui sévit dans nos sociétés. Et alors qu'il n'y a manifestement aucune velléité pédagogique dans cette pièce, elle atteint d'autant plus justement la cible de nos travers.

Je souhaite longue vie à son écriture théâtrale et me souhaite d'être là longtemps pour la rencontrer encore de nombreuses fois.

Écouter la parole écrite par un autre et proférée par des individus endossant des personnalités qui ne sont pas les leurs, goûter les éclairages et la mise en scène, juger de l'harmonie de tout cela n'est pas un geste innocent. Le théâtre est d'abord un humanisme et je crois que Marc-André Thibault s'inscrit dans cette lignée en nous faisant partager une vision du monde qui sait tirer parti de tout ce qui peut composer une existence et en ayant parfaitement conscience que le théâtre est une littérature vivante, le lieu d'autres souffles, d'autres douleurs et d'autres découvertes. Je souhaite longue vie à son écriture théâtrale et me souhaite d'être là longtemps pour la rencontrer encore de nombreuses fois.

Mazal Tov : Une production du Théâtre Bistouri, au Prospero jusqu'au 9 décembre 2017.

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