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La DPJ, la DPJ, la maudite DPJ...

«Ma job, c’est d’arriver avec un sourire, même si la veille, j’ai servi de punching bag.»
Oleg Golovnev / EyeEm via Getty Images

La DPJ. Quel organisme de «tout croches»! Tout ce qu’ils font, c’est retirer les enfants des milieux pour les mauvaises raisons et ils passent à côté des cas critiques.

On ne jouera pas à l’autruche, il y a fort possiblement eu des erreurs dans le dossier de la petite fille de Granby. Je ne peux pas juger, j’y étais pas.

J’y étais pas parce que j’étais occupée à Laval. Plus précisément au Centre jeunesse de Laval. C’est là que je passe la majorité de mon temps. À travailler pour «la maudite DPJ».

Ça fait sept ans que j’y suis maintenant. Depuis 2 ans, je m’occupe de p’tits gars qui ont entre 12 et 14 ans. Normalement. Parfois on en a des plus vieux, souvent des plus jeunes.

On a déjà décrit le quotidien d’une éducatrice en centre jeunesse (CJ). On vous a posé la question à savoir si vous la feriez, notre job? La réponse est simple. C’est non.

Mon quotidien est assez simple, prévisible. Insultes, conflits, violence, désarroi, peine, découragement, douleur, crises de toutes sortes. Il n’y a pas ben ben de place au bonheur à travers tout ça pour les p’tits gars. À travers les mauvaises nouvelles, l’abandon, l’absence et l’incapacité à gérer les émotions parce que ça n’a pas été appris, il n’y a pas grand place pour faire la danse de la joie.

Malgré tout ça, c’est ma job. Insuffler une dose de joie et de bonheur à ces enfants qui n’ont pas grand-chose dans la vie et qui risquent de continuer à ne pas avoir grand-chose.

Ma job, c’est d’arriver avec un sourire, même si la veille, j’ai servi de punching bag ou que j’ai bercé un p’tit gars pendant une demi-heure pour tenter de calmer la douleur de la visite annulée avec les parents et que ça m’a brûlée ben raide.

“Ma job, c’est d’amener les p’tits gars à croire qu’ils valent quelque chose, qu'ils sont plus qu’un simple numéro dans une grande bâtisse grise.”

Ma job, c’est d’arriver à faire vivre des moments positifs, des moments où les jeunes croient en eux, en leurs capacités. Des encouragements pendant le match de soccer, des félicitations pour une journée à l’école sans crises, un gros «bravo mon p’tit jeune homme» pour avoir été capable de me demander d’aller à la salle de jeux pour se défouler sans tout péter quand il y avait un trop plein.

Ma job, c’est d’amener les p’tits gars à croire qu’ils valent quelque chose, qu’ils sont plus qu’un simple numéro dans une grande bâtisse grise.

Ma job, c’est d’apprendre aux enfants comment se laver, comment manger en groupe avec des ustensiles, comment faire du lavage, faire son lit, s’habiller, prendre soin de soi, aller à l’école, être capable de côtoyer des humains sans grogner, crier ou envoyer promener.

Ma job, c’est de leur apprendre qu’avec ben ben du temps, c’est possible de se faire apprécier et même aimer par des gens.

Ma job, c’est de leur apprendre que certains adultes sont dignes de confiance, qu’il y en a même des gentils.

À chaque jour, depuis sept ans, j’essaie de faire une différence. J’essaie d’inculquer des valeurs, des façons de voir la vie et des principes à des enfants qui arrivent sans fondations, avec des bases toutes croches, écorchés vif par la vie.

«Les méchants»

On est pas parfait en CJ. Il y a des jours où on devient impatient devant le manque d’avancement. Il y a des jours où on ne comprend tout simplement pas le fonctionnement de l’enfant devant nous et où on est à court de solutions pour l’aider. Il y a des jours où on les laisserait tomber ces enfants-là. Parce qu’on va se le dire, c’est souvent ingrat et peu gratifiant.

On est les méchants, ceux qui empêchent l’enfant de vivre à la maison même si avec nous, il a accès à trois repas par jour, une douche, un lit, des vêtements propres et des gens bienveillants qui l’entourent. Ça, ça prend ben du temps au jeune à le réaliser. Certains ne l’acceptent jamais. Pis c’est correct. On peut pas tout réparer. Il y a des gens tout simplement trop brisés. Mais on essaie. Fort. Souvent avec les moyens du bord. Parce qu’on va se le dire. Les temps sont durs.

Il manque de personnel partout. Les CJ ne font pas exception. Les éducs tentent d’être solidaires entre eux et de se serrer les coudes. Tout le monde fait du temps supplémentaire. Mais même ça, ce n’est pas assez. La charge de travail est immense, les cas, intenses. La question de la santé mentale est omniprésente. Plusieurs tombent au combat. Malgré tout, on continue de se présenter. Parce qu’il faut prendre soin des enfants.

Ça fait que avant de juger la maudite DPJ, viens me jaser.

“Viens me demander ça fait quoi de travailler avec des écorchés vifs depuis sept ans tout en gardant toute ta tête et une qualité de vie.”

Viens me demander c’est quoi vraiment travailler en bout de ligne, en dernier recours, quand plus rien ne fonctionne.

Viens me demander ce que ça fait de travailler avec des gens aux prises avec des troubles de comportements, qui s’en prennent à toi, à ton intégrité, et que malgré tout, tu dois revenir le lendemain parce qu’il n’y a personne pour te remplacer.

Viens me demander ça fait quoi de travailler avec des écorchés vifs depuis sept ans tout en gardant toute ta tête et une qualité de vie. Parce que oui, on a beau donner tout ce qu’on a, tout ce qu’on est, ça reste juste une job.

Viens me juger en pleine face en disant que je fais pas ma job, alors que j’accompagne des p’tits gars à leurs rendez-vous, que je les inscris à l’école, que je leur achète tout ce dont ils ont besoin, que je m’assure qu’ils sont propres, qu’ils mangent, qu’ils s’amusent un peu malgré tout, que je reste plus tard le soir parce qu’il y en a un qui n’arrive pas à dormir ou qui ne feel pas, que je me présente à un paquet de rencontres pour tenter d’amener le jeune à se sortir de sa mauvaise période, que je me casse la tête à leur trouver des nouveaux films parce qu’ils ont tout vu, que je leur prépare des grilled cheese pour mettre un peu de bonheur dans leur cœur malgré qu’ils sont pognés au CJ un samedi soir.

Viens me dire en pleine face que je travaille pour la maudite DPJ alors que je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour améliorer un tantinet la vie des p’tits gars alors que leurs propres parents n’ont pas su le faire.

Quand t’auras réfléchi à tout ce qu’un éducateur en CJ doit faire dans la vie des 12 jeunes de son unité, viens me jaser. Tu peux même te permettre de m’encourager et de m’inciter à continuer. Mais de grâce, laisse tomber tes préjugés.

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