Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Ma famille n’a pas trouvé d’appart le 1er juillet et je suis en colère

La semaine dernière, nous avons subi un nouveau refus, encore; un autre coup dur pour le moral, une autre grosse claque.
«Nous cherchons un appartement depuis le 27 avril dernier, et nous ne trouvons rien.»
Courtoisie
«Nous cherchons un appartement depuis le 27 avril dernier, et nous ne trouvons rien.»

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Ma compagne Karine Reilly, son fils Tchay et moi cherchons un appartement depuis le 27 avril dernier, et nous ne trouvons rien. Nous avons tous les deux 40 ans, je travaille dans le milieu de la restauration et Karine dans celui de l’éducation. Son fils a 11 ans.

“Nous avons répondu à 30-40 annonces, obtenu environ 15 réponses, avons rempli des actes de candidature pour environ une dizaine d’appartements qui ont été refusés à chaque fois.”

Nous nous sommes bien tournés vers des organismes - le FRAPRU, l’Office municipal d’habitation de Montréal -, mais la demande est telle qu’ils peuvent avoir du mal à suivre. Il y a d’autres cas comme le mien.

Ce que nous voulons? Un 4 et demi, budget 1000 dollars, mais nous avons augmenté à 1100 dollars, car nous ne trouvions rien de décent à ce prix. Il faut dire qu’il y a beaucoup de taudis. Aussi, on voudrait une relation saine avec notre propriétaire, un appartement aéré et pas de champignons.

Mais nous subissons toutes les étapes de la discrimination appliquée par les propriétaires. Le rapport de force avec les propriétaires existe vraiment, il ne faut pas se le cacher.

Laissez-moi vous expliquer.

Un litige qui cause problème

Nous étions les locataires d’un logement payé quelque 900 dollars depuis le 1er juillet 2016 dans le quartier d’Hochelaga-Maisonneuve, que nous avons quitté précipitamment à cause d’un litige avec le propriétaire et l’agence de location concernant un dégât d’eau.

«La rareté des logements décents entraîne une forme de pouvoir unilatéral des locateurs.»
Westend61 via Getty Images
«La rareté des logements décents entraîne une forme de pouvoir unilatéral des locateurs.»

Pour résumer les choses, une infiltration d’eau venant du toit nous a causé beaucoup de soucis. L’eau coulait dans les murs, dans ma chambre, c’était humide et nous étions de plus en plus malades et fatigués. Je souffrais de saignements de nez et de stress intense. Nous voulions quitter le logement car le propriétaire niait le dégât d’eau en plus de n’effectuer aucune réparation.

Nous avons porté plainte à la Régie du logement, mais le délai de traitement est si long et très compliqué! Que faire dans l’attente?

Le 27 avril dernier, nous avons donc fait le choix de partir de l’appartement, pour notre santé physique, mais aussi mentale. De notre point de vue, nous avons cassé le bail pour insalubrité. Mais selon mon propriétaire, nous sommes partis sans payer le loyer.

“En me rendant jusqu'au litige, j’ai simplement refusé de me laisser marcher sur les pieds et de subir de plein fouet les conséquences de la pénurie.”

Si le rapport entre l’offre et la demande définit les prix sur le marché, il en conditionne également le rapport de force en cas d’écart trop important: les bases favorables aux propriétaires locateurs sont posées. La rareté des logements (plus encore des logements décents) entraîne donc une forme de pouvoir unilatéral des locateurs dans la relation locataire/locateur. Relation pourtant encadrée par le contrat du bail, lui-même réglementé par le code civil québécois.

Si ma mémoire est correcte, en 2004, la répartition des plaintes enregistrées par la Régie du logement était constituée à 90% de demandes de locateurs contre 10% de requêtes des locataires. Croyez-vous que la distribution des infractions dans la réalité est aussi univoque?

“Les citoyens locataires n’osent pas faire valoir leurs droits.”

On dirait qu’ils sont résignés devant la complexité et les délais administratifs, tandis que certains locateurs s’affranchissent d’autant plus de leur devoir.

Des étapes discriminatoires

Nous vivons donc actuellement chez les parents de ma compagne, à Longueuil.

Le coût mensuel de l’entreposage de nos biens personnels s’élevait à 700 $ par mois, jusqu’au 30 juin dernier. Depuis le 1er juillet, nous avons réduit ce coût à 500 $, mais cela reste une dépense énorme.

«J’ai dépensé, et je dépense encore, beaucoup de mes économies, que je gardais pour ouvrir un petit café.»
Valerie Loiseleux via Getty Images
«J’ai dépensé, et je dépense encore, beaucoup de mes économies, que je gardais pour ouvrir un petit café.»

Le «déguerpissement» que nous avons vécu n’est pas un déménagement classique, c’est une opération d’urgence qui implique une rapidité des actes. Pas de magasinage possible, il faut louer ce qu’il est possible de louer, au prix disponible.

On a même dû louer un appartement sur Airbnb pour se reposer quelques jours. J’ai dépensé, et je dépense encore, beaucoup de mes économies, que je gardais pour ouvrir un petit café. Mais j’ai quand même de l’argent, c’est pour ça que je me suis permis cela. Imaginez les familles qui ne peuvent pas se le permettre, elles se taisent et c’est tout.

On cherche sur Kijiji, sur Facebook, en passant par notre réseau. Mais c’est l’enfer! D’abord, les propriétaires se permettent d’écrire: «idéal pour couple ou personne seule», ce qui veut dire «pas d’enfants», sur beaucoup d’annonces. C’est tout simplement discriminatoire! Bien sûr, ce n’est jamais dit ouvertement, mais c’est ce que ça veut dire.

“Rien que de trouver un appartement qui correspond à vos critères de prix, de localisation et de propreté est un défi en soi. Un appartement affiché depuis 6 heures a déjà 500 ou 600 visites! C’est de la folie!”

Après, si jamais vous franchissez cette étape et arrivez à entrer en contact avec la personne qui a publié, il y a l’étape de la visite.

On refuse de faire la file avec une quinzaine de personnes, on n’est pas au zoo!

Donc déjà, ça élimine beaucoup d’appartements. On croit qu’un bail est un contrat moral qu’on passe avec un propriétaire, et on désire le rencontrer en personne.

La deuxième étape de discrimination pour ma famille est l’enquête de crédit et les références. Pensez-vous que quand le propriétaire voit que nous avons une procédure de litige en cours, cela nous est favorable? Oh que non. Je vis un litige, et alors que mon ancien propriétaire peut relouer son logement, moi et ma famille sommes pénalisés. Encore une fois, le rapport de force est à notre désavantage. Et quand on leur dit qu’on a eu un litige avec l’ancien propriétaire et qu’on ne peut pas leur donner de numéro de téléphone, que pensez-vous qu’il arrive?

Et pendant ce temps, les jours passent et nous n’avons toujours pas de chez-nous… Et ça, croyez-moi, ça vient vous chercher profondément.

De lourdes conséquences psychologiques

Vous devenez irritable en deux minutes, les relations sont plus tendues, tout le monde en souffre. Mais on continue à se battre. Nous sommes fiers de nous serrer les coudes.

Malgré la plainte enregistrée auprès de la Régie du logement, malgré l’aide des proches, amis comme famille, c’est un sentiment d’injustice et de colère qui nous anime.

«Nous avons porté plainte à la Régie du logement, mais le délai de traitement est si long et très compliqué!»
Busà Photography via Getty Images
«Nous avons porté plainte à la Régie du logement, mais le délai de traitement est si long et très compliqué!»

Pendant que notre ancien locateur a rénové son logement de fond en comble et l’a très certainement reloué, nous sommes encore privés de chez nous. Pendant que notre réputation est entachée, que nous passons pour de mauvais payeurs, nous multiplions les candidatures toujours infructueuses pour nous loger. Pendant que l’inspection de la Ville suit son cours, nous multiplions l’énergie pour compenser notre déracinement. C’est simplement incompréhensible et intenable.

En plus de toutes les contraintes matérielles et psychologiques qu’implique le fait de ne pas avoir de maison, nous sommes aussi privés de vacances. Dans tout ce contexte, nous ne nous sentons pas respectés dans notre chair et nous ne nous sentons pas entendus!

“Aujourd’hui, je prends la parole publiquement pour toutes les familles qui ne peuvent pas le faire.”

Bien que ma conjointe, son fils et moi sommes assez discrets et que nous ne voulons pas apparaître comme des victimes, je voulais dire publiquement que notre liberté et notre droit ont été, et sont toujours, bafoués.

Nous vivons cette situation comme une attaque à nos conditions d’humains. C’est pour cela que je crois qu’il est important de parler, et de refuser ce nouveau rapport de force que l’on peut voir sur le marché à Montréal.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Céline Gobert.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.