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L'origine religieuse du conflit entre sunnites et chiites au Moyen-Orient

Le début de l'année 2016 a été marqué par l'explosion de vives tensions entre l'Arabie saoudite, le foyer du sunnisme, et l'Iran, celui du chiisme, à la suite de la décapitation par le régime saoudien de Nimr Baqr al-Nimr, chef religieux chiite.
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Le début de l'année 2016 a été marqué par l'explosion de vives tensions entre l'Arabie saoudite, le foyer du sunnisme, et l'Iran, celui du chiisme, à la suite de la décapitation par le régime saoudien de Nimr Baqr al-Nimr, chef religieux chiite.

Cette crise a mis en évidence la rivalité séculaire opposant sunnites et chiites dans le monde musulman. Nos médias ont certes fait référence à la distribution géographique des sunnites et des chiites ainsi qu'à leurs luttes politiques au Moyen-Orient, mais ils ont oblitéré l'origine religieuse de la division entre sunnites et chiites. Cette occultation du rôle de l'islam dans le conflit actuel s'explique en bonne partie par le tabou entourant les questions relatives à cette religion, par crainte d'éviter toute forme d'«amalgame» et de «stigmatisation», fléaux qui entretiendraient ce nouveau mal du siècle que serait l'«islamophobie».

Aujourd'hui, on ne peut parler de l'islam qu'à la condition de marteler que cette religion prône la paix et l'amour et que la majorité de ses fidèles sont des modérés de bonne volonté. Pourtant l'histoire de l'islam se caractérise par de continuelles luttes intestines, souvent meurtrières.

Apparue dès l'origine de l'islam, l'opposition entre les sunnites et les chiites est née d'une simple querelle de succession. À la mort du prophète Mahomet en 632, certains, qui seront appelés chiites (de l'arabe chiat Ali, du parti d'Ali), désignèrent comme successeur et chef légitime de la communauté musulmane Ali, cousin et gendre de Mahomet, parce qu'il était un membre de sa famille.

Rejetant ce principe de la primauté des liens familiaux, d'autres musulmans, qui deviendront les sunnites, étaient plutôt d'avis que tout homme valeureux s'inscrivant dans la tradition du prophète (sunna en arabe) puisse lui succéder et assumer la fonction de calife, de commandant des croyants.

Au cours des premières années de cette querelle de succession, la famille de Mahomet fut décimée par l'assassinat d'Ali puis par la décapitation de son fils Hussein, qui s'était révolté contre le calife sunnite. Depuis, les chiites considèrent que tous les chefs sunnites de l'islam sont des usurpateurs. Le ressentiment des chiites envers les sunnites est encore si profond que chaque année, à l'occasion de l'achoura, des milliers d'hommes dans le monde musulman s'automutilent en public en commémoration des souffrances du martyr de Hussein.

Il convient de souligner que, malgré leur rivalité, le sunnisme comme le chiisme appartiennent à l'islam et partagent les mêmes croyances fondamentales. Les deux se réfèrent aux mêmes textes sacrés: le Coran et la Sunna. Les deux vénèrent Allah comme dieu unique et Mahomet comme son messager. Ils respectent les cinq mêmes obligations religieuses: la profession de foi, la prière quotidienne, le jeûne du ramadan, l'aumône légale et le pèlerinage à La Mecque.

Cependant, au fil du temps, des différences d'ordre doctrinal ont creusé la division entre ces deux branches de l'islam, qui se subdivisent elles-mêmes en plusieurs écoles et courants dont on ne traitera pas ici. La principale différence tient au rôle du clergé. Pour les sunnites, il n'y a pas d'intermédiaire entre Allah et le croyant, celui-ci devant tirer l'essentiel de sa foi de sa lecture personnelle du Coran et de l'imitation du prophète; l'imam sunnite est un pasteur chargé simplement de diriger la prière à la mosquée sans avoir forcément suivi de formation particulière.

Au contraire, chez les chiites, les chefs religieux exercent un rôle d'intermédiaire spirituel et sont par conséquent investis d'une grande autorité. À la différence des sunnites, les religieux chiites doivent avoir fréquenté des écoles islamiques et sont organisés selon une hiérarchie stricte où les mollahs dépendent des ayatollahs.

Plusieurs autres points de divergence existent. Par exemple, pratiquant une sorte de culte des saints, les chiites accomplissent des pèlerinages dans des mosquées dédiées à des figures religieuses importantes; des fanatiques sunnites, ceux notamment de l'État islamique, ont détruit plusieurs de ces mosquées parce que le sunnisme réprouve toute forme de vénération adressée à une autre créature qu'Allah. Afin de se prémunir des persécutions sunnites, le chiisme a institué la taqiya, manœuvre qui consiste à mentir pour défendre sa foi dans un milieu hostile; adopté ensuite par les sunnites, ce mensonge autorisé rend hasardeuse toute discussion entre les deux groupes en raison de la méfiance réciproque qu'il entraîne.

Majoritaires, les sunnites représentent aujourd'hui environ 90 % des musulmans, les chiites seulement 10 %. L'Iran contient la plus forte concentration de chiites. Les autres pays à majorité chiite sont l'Irak, l'Azerbaïdjan et Bahreïn, mais des minorités non négligeables existent dans bien d'autres pays musulmans comme le Liban, le Yémen et la Syrie.

Le schisme entre sunnites et chiites a pris des proportions politiques du fait notamment que le pouvoir a été accaparé dans certains pays par un groupe au détriment de l'autre. En Irak, le sunnite Saddam Hussein a longtemps exercé sa dictature sur la majorité chiite. À l'inverse, en Syrie, le gouvernement chiite d'al-Assad s'impose encore à la majorité sunnite qui soutient les milices rebelles participant à la guerre civile.

L'antagonisme entre les deux camps au Moyen-Orient s'est accentué à la suite de la révolution iranienne en 1979, qui a porté au pouvoir un gouvernement chiite fort, capable de défier l'Arabie saoudite. C'est d'ailleurs autour de ces deux théocraties ennemies que sunnites et chiites se livrent maintenant à d'incessantes luttes pour la domination régionale. Les alliances dans la région se nouent ainsi en fonction de cette rivalité. Dans la guerre civile au Yémen, l'Iran appuie les rebelles chiites, alors que l'Arabie saoudite les combat aux côtés du gouvernement sunnite.

Ces luttes politiques à base religieuse constituent en quelque sorte des guerres de religion contemporaines qui proviennent de l'islam. La chrétienté, qui a connu aussi de terribles guerres de religion aux XVIe et XVIIe siècles, en est heureusement sortie, à l'encontre de l'islam qui est encore et toujours aux prises avec ses luttes interreligieuses. Le conflit actuel entre sunnites et chiites au Moyen-Orient, s'il s'aggrave, peut avoir pour le monde des conséquences désastreuses qu'on commence à peine à mesurer. Ces divisions interconfessionnelles séculaires risquent d'ébranler la planète entière.

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