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Le Canada termine bon dernier dans un classement des lois sur les lanceurs d'alerte

Le Canada est notamment critiqué pour avoir négligé de réviser périodiquement l'efficacité de sa loi.
Entrée en vigueur en 2007, la loi n'a été révisée par un comité parlementaire qu'en 2017. Ses suggestions ont ensuite été ignorées par le gouvernement de Justin Trudeau.
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Entrée en vigueur en 2007, la loi n'a été révisée par un comité parlementaire qu'en 2017. Ses suggestions ont ensuite été ignorées par le gouvernement de Justin Trudeau.

Le Canada se retrouve au bas d’un classement international des pays offrant une protection aux divulgateurs d’actes répréhensibles (whistleblower), derrière le Bangladesh, le Pakistan et le Botswana.

Un rapport publié mardi par le Government Accountability Project (Projet sur la responsabilité gouvernementale), basé aux États-Unis, et par l’Association internationale du barreau, basée au Royaume-Uni, a évalué les structures de dénonciation de 37 pays dotés de telles lois afin de déterminer leur efficacité réelle.

Ce qu’ils ont découvert, c’est qu’ils ne le sont pas.

«Trop souvent, les droits qui semblent impressionnants sur papier ne sont qu’un mirage de protection en pratique», écrivent les six auteurs principaux de l’étude.

«Soit ils ne font aucune différence, soit, dans certains cas, ils rendent la dénonciation plus dangereuse.»

La situation est particulièrement sombre au Canada, qui se place à égalité avec le Liban et la Norvège avec les lois de protection les plus faibles au monde. La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles et son bilan ne répondent qu’à un seul des 20 critères. Les États-Unis, l’Australie et la directive de l’Union européenne sur la protection des lanceurs d’alerte sont à égalité au sommet, remplissant 16 critères sur 20. Les autres pays en bonne position sont la Serbie et l’Irlande, avec 15 sur 20 chacun, et la Namibie, avec 14.

Les critères du classement évaluent par exemple l’étendue de la loi, si elle protège l’identité des lanceurs d’alerte ou si elle les protège contre différents types de harcèlement. Ils vérifient aussi si elle les protège des bâillons et leur offre une véritable procédure judiciaire avec un accès au tribunal, des décisions en temps opportun et la prise en charge des frais juridiques.

«Si une loi efficace est le fondement du droit, notent les auteurs, ce n’est que la première étape d’un long parcours. Trop de lois sur les lanceurs d’alerte s’avèrent inefficaces en pratique.»

Cela conduit les divulgateurs d’actes répréhensibles à choisir de s’exprimer sur différents canaux - via les réseaux sociaux ou les journalistes - ou, souvent, à garder le silence.

Après une année au cours de laquelle la pandémie de COVID-19 a mis en lumière l’importance des lanceurs d’alerte pour la protection de la santé publique - du médecin chinois Li Wenliang qui a mis le monde en garde contre la COVID-19 aux médecins et infirmières qui ont sonné l’alarme sur les conditions dans les centres de soins de longue durée et le manque d’équipement de protection individuelle - Sternford Moyo, le président de l’Association internationale du barreau, espère que le rapport favorisera une meilleure protection des lanceurs d’alerte, leur donnera les moyens de s’exprimer et les protégera lorsqu’ils le font.

«Trop souvent, des tentatives ont été faites pour faire taire de telles voix», indique Moyo dans le rapport. «Le Dr Li a reçu l’ordre de la police de “cesser de faire de faux commentaires” ; de nombreux médecins, infirmières et employés du gouvernement ont perdu leur emploi pour avoir pris la parole.»

“Trop de lois sur les lanceurs d'alerte s'avèrent inefficaces en pratique.”

- Les six auteurs principaux de l'étude

C’est également vrai au Canada, où des infirmières, par exemple, ont reçu des avertissements et d’autres ont été envoyées en congé forcé sans solde.

Les auteurs du rapport de 81 pages ont réprimandé le Canada pour sa faible législation - qui ne couvre que les fonctionnaires - et ont souligné qu’il y a peu de preuves démontrant qu’elle fonctionne.

Comme le HuffPost Canada le signalait le mois dernier, depuis que la loi est entrée en vigueur en 2007, seulement huit cas - sur 392 rapports de représailles - ont été renvoyés au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs. Cet organe est censé décider si des représailles ont eu lieu et, dans l’affirmative, offrir un recours et recommander des mesures disciplinaires contre ceux qui ont exercé les représailles.

Sur ces huit affaires - dont trois étaient liées au même incident - six ont été réglées avant d’être saisies par le tribunal. Seules deux affaires ont été entendues et le tribunal s’est prononcé contre le lanceur d’alerte dans chacune d’elles.

Les auteurs ont noté que peu de dénonciateurs au Canada se voient offrir une protection contre les représailles.

Pour les deux affaires entendues au Tribunal, il a fallu une durée déraisonnable pour obtenir une décision. Dans un cas, il a fallu 2 501 jours - plus de 6 ans et demi - avant une résolution, et l’autre, 2 398 jours.

«Le lanceur d’alerte doit être tenace et disposé de ressources financières pour entretenir un différend pendant plus de six ans, et éventuellement le perdre», notent les auteurs.

Une déconnexion majeure?

Le Canada a été critiqué pour avoir ignoré sa propre exigence légale qui requiert un examen périodique de l’efficacité de sa loi sur les divulgateurs d’actes répréhensibles. Bien qu’elle doive être revue tous les cinq ans, ce n’est qu’en 2017 qu’un comité parlementaire s’est penché sur la loi, recommandant 25 changements. Des suggestions que le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a ignorées.

La loi canadienne a également été citée par les auteurs et placée en tête de liste pour avoir «d’importantes lacunes en matière de sécurité nationale ou d’application de la loi» concernant les restrictions à la divulgation d’informations non classifiées.

À la fin du mois de février, les députés de l’opposition ont voté pour renvoyer leur rapport de 2017 à la Chambre des communes afin que le gouvernement soit à nouveau obligé de répondre.

David Hutton, chercheur principal au Center for Free Expression dont l’analyse a été citée par les auteurs, a déclaré mardi au HuffPost qu’il n’était pas surpris que le rapport ait trouvé le système canadien «plus ou moins complètement inefficace».

«Nous disons cela depuis des années», a-t-il déclaré. «Je suis un peu surpris que nous soyons tout en bas - aucun pays n’a obtenu pire que nous!»

Hutton a dit espérer que le message ainsi envoyé au gouvernement Trudeau montre le décalage majeur entre les mots et les actions - et que des réformes sont nécessaires de toute urgence.

«Les gouvernements successifs ont sciemment laissé ce système dysfonctionnel intact pendant 14 ans, tout en nous assurant qu’il était très important de protéger les lanceurs d’alerte, et même en faisant des affirmations absurdes au sujet de la loi - le “mont Everest” de la protection des lanceurs d’alerte selon un ministre», a déclaré Hutton, se référant aux commentaires de l’ancien ministre conservateur John Baird qui a introduit la loi dans sa forme actuelle.

«Apparemment, ce n’est pas un sommet imposant, mais plutôt l’un des pires marécages de la planète», a-t-il illustré.

* * *

Lois nationales sur la dénonciation conformes aux meilleures pratiques telles que compilées par les auteurs du rapport. Le chiffre correspond au nombre de critères remplis.

16 - Directive de l’UE sur la protection des lanceurs d’alerte, Australie, États-Unis

15 - Irlande, Serbie

14 - Namibie

13 - Kosovo

12 - Iles Caïmans, Croatie, Lettonie, Macédoine du Nord, Zambie

11 - Kenya, Nouvelle-Zélande

10 - Guyane, Lituanie, République de Corée

9 - Slovaquie

8 - Albanie, Jamaïque, Malte, Ouganda, Vietnam

7 - Bosnie, France, Ghana, Malaisie, Tanzanie, Tunisie

6 - Moldavie

5 - Grande-Bretagne, Japon, Pakistan, Afrique du Sud

4 - Bangladesh, Belgique, Botswana, Italie, Rwanda

3 - Papouasie-Nouvelle-Guinée, Roumanie, Suède

2 - Israël, Hongrie, Pays-Bas, Pérou

1 - Canada, Liban, Norvège

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l’anglais.

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