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L'hidradénite suppurée: ma maladie de marde

L’errance médicale moyenne pour les gens qui souffrent de cette maladie est de 8 ans. J’ai été chanceuse, ça n’aura pris qu’un an pour moi.
Dương Nhân/Pexels

Ma maladie de marde. Je l’appelle comme ça. C’est plus simple ET plus représentatif que son vrai nom, ou plutôt que ses trois vrais noms. Oui oui, ma maladie a trois noms différents. Parce que ça aurait été trop simple d’en avoir juste un, déjà que personne ne la connaît… ils ont rajouté un coefficient de difficulté. Why not?

Et c’est sa semaine. Bin oui. Elle me scrape la vie et eux, ils lui consacrent une semaine. Mais non, je déconne, je sais bien que c’est une bonne nouvelle, qu’elle ait sa propre semaine. Ça veut dire qu’on en parle. Parce qu’en plus d’être merdique, ma maladie de marde est aussi taboue.

Son vrai nom, c’est l’hidradénite suppurée. «HS», pour les intimes. Dans la communauté anglophone, on utilise seulement cette version, soit en anglais: «Hidradenitis Suppurativa». J’ai découvert ça après trois-quatre mois à faire des recherches inutiles avec le nom francophone, peu utilisé. Les français de France disent «la maladie de Verneuil». On peut aussi dire «hidrosadénite», mais personne ne dit jamais ça.

Quand j’ai eu mon diagnostic, on m’a remis un dépliant. Dans ce dépliant, il y a un gros graphique en première page, un cercle infini qui inclut 5 caractéristiques de la maladie : chronique, incurable, douloureuse, auto-immune et évolutive.

Hey, merci pour le courrier première classe! Franchement, comme entrée en matière, on ne pouvait pas espérer mieux. J’aurais pris un shooter avant, sérieux, tant qu’à manger une gifle comme ça.

C’est ma dermatologue qui m’a remis ce dépliant. Et non, je ne lui en veux pas, au contraire, une chance qu’elle est là. C’est la seule de tous les médecins et spécialistes que j’ai vus qui a été en mesure de me diagnostiquer. L’errance médicale moyenne pour les gens qui souffrent de cette maladie est de 8 ans. J’ai été chanceuse, ça n’aura pris qu’un an pour moi. Mon médecin de famille ne connaissait pas. Mon pharmacien ne connaissait pas. Les autres médecins de cliniques sans rendez-vous ne connaissaient pas. Ma gynécologue ne connaissait pas. Heureusement, ma dermato est une encyclopédie sur pattes. Et quand elle m’a donné mon dépliant, elle était désolée. Elle me l’a remis avec une face qui voulait dire: «Pauvre toi, je m’excuse, ta vie va devenir de la marde». Sa face avait pas tort.

J’ai évidemment fait des petites recherches, ce qui m’a permis d’apprendre que ma maladie de marde figure dans le top 10 des maladies les plus douloureuses DE LA PLANÈTE. Aux côtés de l’Ebola et des pierres aux reins. Nice.

Fondation canadienne de l'hidradénite suppurée

Comme l’explique l’Association canadienne de dermatologie, «l’hidradénite suppurée (HS), aussi appelée hidrosadénite, est une maladie chronique caractérisée par la présence d’inflammation causant sous la peau des bosses et des abcès souvent douloureux et dont s’écoule parfois du pus ou un liquide à l’odeur déplaisante. Les zones les plus souvent touchées sont les aisselles, le dessous des seins et l’aine, là où il y a des replis de peau».

Ouache, hein? Bin oui. Moi aussi ça m’écoeure. Y a beaucoup trop de mots dégueulasses dans la même phrase pour pouvoir la lire sans plisser le nez, I know. Mais c’est rien, ça, c’est juste la définition de base. C’est beaucoup plus compliqué que ça, et j’y reviendrai plus tard.

Il n’y a pas de traitement.

Il n’y a pas d’autre chose à dire. Pour le stade où je suis, il n’y a rien à faire. Si, on peut prendre des antibiotiques, mais ça ne fait que retarder les poussées, qui vont sortir éventuellement parce que de toute façon, on s’entend que c’est pas mieux si le pus reste en-dedans. Les antibiotiques ne sont pas une option pour moi, à cause de mon estomac. Il y a un traitement immunosuppresseur par injection qui est disponible pour les cas très graves (ce qui n’est heureusement pas mon cas actuellement): ce médicament était à l’origine prescrit pour la maladie de Crohn et ils se sont rendus compte que ça aidait aussi pour l’HS. Il paraît que c’est miraculeux. Je n’y ai pas accès et c’est 1000$ par semaine, non-couvert par la RAMQ. De toute façon, mon médecin refuserait de me le prescrire actuellement, car je suis seulement stade 2.

Fondation canadienne de l'hidradénite suppurée

À part ça, il n’y a rien d’autre à faire que des remèdes maison pour soulager. Je les ai tous essayés, avec plus ou moins de succès. Il faut attendre que ça passe, et endurer. Quand les abcès finissent par se rejoindre sous la peau (on appelle ça des tunnels) ils considèrent que la chair est assez maganée (elle est littéralement GRISE sous la peau), alors ils opèrent. Et s’ils n’enlèvent pas TOUTES les cellules malades, la maladie reviendra. Si tout est beau, ce sont six semaines de convalescence avec une plaie OUVERTE, car on ne peut pas suturer une plaie de Verneuil, ça pourrait faire revenir la maladie. J’ai parlé avec des gens qui avaient subi ça des dizaines de fois.

J’ai lu, beaucoup lu. J’ai cherché de l’aide. Tsé, si j’avais le cancer, je serais allée sur «cancer.ca» pis j’aurais appelé la ligne d’information sur le cancer. Si j’avais une maladie du cœur, je serais allée sur le site de l’Association des maladies du cœur. Si mon enfant avait la leucémie, j’aurais appelé Leucan.

Pour quelqu’un qui a géré pendant 5 ans une mine d’informations gigantesque sur le site d’une association en cancer, je m’attendais à de quoi de plus officiel quand vint le temps pour moi de trouver de l’aide en ligne. J’ai été déçue. (Précision: c’était en novembre dernier, et mes recherches ont été compliquées par le fait que la maladie a trois noms différents. Je me rends compte ce matin qu’une nouvelle Fondation canadienne de l’hidradénite suppurée a vu le jour en 2019, wouhou!)

“Il n’y a aucune vedette qui fait le «cover» du «7 jours» avec un beau foulard sous les aisselles et en titre «J’arrive à vivre avec l’Hidradénite suppurée!»”

Parce que ma maladie de marde n’est pas tendance. On ne fait pas de campagnes de financement pour ma maladie. On ne marche pas au milieu des lampions ou des applaudissements pour ma maladie. On n’en meurt pas (ou très rarement). Elle est dégueulasse. Elle est honteuse, car ses symptômes ressemblent à des ITSS (infections transmises sexuellement et par le sang). Elle est sous-diagnostiquée, et elle a un très gros impact sur la qualité de vie des gens atteints.

Il n’y a aucune vedette qui fait le cover du 7 jours avec un beau foulard sous les aisselles et en titre «J’arrive à vivre avec l’Hidradénite suppurée!» avec en-dessous un article qui mentionne les traitements qu’elle a endurés, les opérations qu’elle a subies ou la dépression qui en a découlé. Pourtant, nous sommes 1% à 3% de la population qui vivons avec cette maladie de marde.

Si on compare avec la maladie cœliaque, qui ne concerne que 0,3 à 1% de la population, dieu sait qu’il y a une ÉNORME industrie des produits sans gluten pour ces gens, et que tout le monde connaît ça ou en a entendu parler. Mais pour les gens comme moi, il n’y a pas d’industrie qui pense à nous. Il y a des théories de régime paleo ou keto qui seraient utiles, mais rien qui ne soit prouvé scientifiquement ni dédié aux gens qui souffrent de l’HS.

Bricoler ses pansements

Il n’y a même pas de pansements adaptés à nos plaies! On est obligé de se bricoler nous-mêmes des pansements qui ressemblent à un mauvais projet Pinterest raté, plusieurs fois par jour, avec des pommades et du paper tape parce que si on utilise du tape normal, on crée D’AUTRES PLAIES!

Sérieusement, moi (tsé la fille qui bricole pas) je suis en train de coudre un prototype de pansement lavable pour aisselle, dédié aux gens qui souffrent de la même maladie que moi. Pour que MOI je sois obligée de patenter ça, il faut vraiment qu’il y ait une lacune sur le marché. Quand je regarde l’étagère de 7 pieds de haut remplie de 12 000 sortes de pansements au magasin, et que je constate qu’aucun d’entre eux ne convient à mes plaies, je me sens vraiment laissée pour compte.

Heureusement qu’il y a les groupes de discussion. Nous sommes plus de 30 000 sur les 4 ou 5 groupes Facebook que j’ai répertoriés, dont la majorité sont anglophones. C’est avec eux que je partage, que je ventile, que je trouve des trucs ou des solutions. S’ils n’étaient pas là, je ne sais pas où j’en serais.

Parce que ma maladie ne se contente pas de faire des abcès. Pendant que mon système immunitaire attaque pour aucune raison mes propres glandes sudoripares, il me vide de toutes mes ressources pour faire ça. Du jour au lendemain, je deviens épuisée, au-delà des mots. Je peux dormir une nuit de 12h, me lever le matin, me recoucher vers 10h, et dormir jusqu’à 15h l’après-midi. J’ai déjà snoozé mon alarme pendant une sieste et littéralement dormi 3h de plus que prévu. Ça tire tout mon jus et il ne me reste plus rien ensuite. Donc ma solution : je dors.

Les crises viennent avec des nausées et des maux de tête. Une diminution de l’appétit. Une déprime qui s’ajoute. Je vivais déjà avec la dépression depuis 2 ans, mais maintenant que je vais mieux, c’est pendant mes crises d’HS que je retombe au plus bas. Que je me demande comment je vais y arriver.

C’est connu, et c’est prouvé. Les gens qui souffrent de l’HS font plus souvent face à la dépression également. Il y a également des risques d’autres pathologies associées, comme la maladie de Crohn, l’arthrite rhumatoïde et le cancer de la peau.

Ah oui et c’est aussi une maladie génétique, qui se transmet dans 30% à 40% des cas, alors j’ai au-dessus de ma tête, l’épée de Damoclès que constitue la terrifiante idée d’avoir transmis cette merde à mes enfants.

Une révolte de plusieurs mois

C’est une des raisons qui m’ont poussée à travailler à mon compte, pour pouvoir travailler chez moi. Pour pouvoir dormir si je combats un abcès. Pour pouvoir aller à l’hôpital si mon abcès s’infecte trop et vire en septicémie (ce qui arrive souvent). Pour pouvoir travailler toute nue si j’ai trop mal pour porter des vêtements. Pour pouvoir travailler la nuit si le jour je ne vais pas bien. Pour pouvoir être ma propre boss et cesser de culpabiliser parce que ‘’je manquais le travail pour des boutons.’’

Quand j’ai été diagnostiquée, je suis passée par les étapes normales que tout le monde traverse :

  • Choc initial
  • Déni : « Ce n’est pas vrai! »
  • Révolte : « Pourquoi moi ? »
  • Négociation : « D’accord, je n’ai pas le choix, mais… »
  • Réflexion : « Je ne serai plus jamais comme avant ! »
  • Acceptation : la maladie est acceptée (ou « supportée »)

Ça a été très dur à traverser et ma phase de révolte a duré quelques mois. Actuellement, je suis dans la phase de réflexion, soit l’avant-dernière. Je comprends tranquillement que ma vie ne sera plus comme elle l’a été. Moi qui aime tant organiser des rencontres, des soupers, je commence à comprendre que ça sera de plus en plus difficile pour moi, car j’annule vraiment très souvent.

“Dans le meilleur des mondes, on sera encore ensemble une cinquantaine d’années, elle et moi. C’est long, 50 ans à cohabiter avec quelque chose qu’on déteste viscéralement.”

Moi qui étais si heureuse de m’inscrire à des cours de sport (yoga et kick-boxing) depuis que je suis à la maison, je me rends compte qu’une fois sur deux je ne peux pas y aller. Quand vous m’invitez à souper chez vous, je dis oui avec plaisir, mais derrière mes yeux il y a une petite larme parce que je sais, au fond de moi, qu’il y a 50% de chances que je ne puisse pas y aller. À cause de la douleur, à cause de l’incapacité de bouger, ou de manger, ou juste de fonctionner. Ou juste parce que ce jour-là je vais me lever avec toute la tristesse du monde et je serai incapable d’affronter qui que ce soit.

C’est une maladie horrible. Je la déteste. Elle sera avec moi toute ma vie, et je n’ai que 37 ans. Dans le meilleur des mondes, on sera encore ensemble une cinquantaine d’années, elle et moi. C’est long, 50 ans à cohabiter avec quelque chose qu’on déteste viscéralement, et personne autour de nous pour comprendre pourquoi elle nous rend folle. Alors j’ai décidé, malgré la honte, malgré la peine, malgré l’horreur, malgré la gêne et malgré le tabou, de profiter de la semaine officielle de reconnaissance de l’hidradénite suppurée, pour vous raconter c’est quoi, ma vie avec ma maladie de marde.

Le ruban mauve symbolise la lutte contre l’hidradénite suppurée. Partagez, faites connaître cette maladie. Pour que les gens sachent que ça existe. Pour que les médecins et les pharmaciens sachent que ça existe. Pour que les Paul Arcand de ce monde sachent que ça existe. Pour que les politiciens sachent que ça existe. Pour que les scientifiques sachent que ça existe. Pour qu’ils fassent de la recherche et trouvent un remède.

Parce que nous sommes là. Nous sommes des milliers. Et nous avons besoin de vous.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

*Annick Cormier tient le blogue «Un pas de toutoune à la fois» sur Facebook.

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