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Deuxième lettre d'un autiste à ses cousins humains

Je fais partie d'une minorité. Je suis de ces autistes qui arrivent à travailler, à bien gagner leur vie et à conserver leur emploi. Comment cela est-il possible? C'est la question que tu m'as le plus souvent posée cette semaine. Certains m'ont même appelé en studio pour me demander «d'arrêter de faire des blagues».
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Rebonjour à toi, mon cousin humain.

Tu m'as fait pleurer la semaine dernière. Tes mots m'ont enveloppé d'amour et d'affection que j'ai ressentis dans chacune des neurones de mon cerveau en ébullition.

Je suis autiste. J'ai reçu mon diagnostic à 35 ans et 6 ans plus tard, j'ai choisi de l'annoncer au monde entier. C'était mercredi dernier.

Je fais partie d'une minorité; ça, tu me l'as fait réaliser. Je suis de ceux qui arrivent à travailler, à bien gagner leur vie et à conserver leur emploi. Nous représentons à peine 10% des personnes vivant avec un TSA (trouble du spectre de l'autisme). Qui plus est, je suis animateur d'une émission de radio matinale et j'aide des milliers de résidents de l'Outaouais à commencer leur journée du bon pied.

Comment cela est-il possible? C'est la question que tu m'as le plus souvent posée cette semaine. Certains m'ont même appelé en studio pour me demander « d'arrêter de faire des blagues » en prétendant être autiste Asperger. C'est pourquoi j'ai senti le besoin de t'écrire ce deuxième message.

La plupart des Aspies (terme mignon adopté par les autistes Asperger et que j'aime bien) arrivent à parler très tôt et réussissent bien à l'école - ce fût mon cas. Mais j'ai réalisé rapidement que je ne n'arrivais pas à communiquer aussi bien que toi, cousin humain. Mon visage était différent. Mes expressions faciales plutôt bizarres. J'étais passionné par le dessin technique; je reproduisais des studios de radio et de télévision dans leurs moindres détails.

Dans la cour d'école, je préférais aller me cacher en bordure de la forêt et attendre que le temps ne passe. Tu étais trop simple et tellement complexe à la fois... C'est à ce moment que j'ai pris la décision d'apprendre à entrer en communication avec toi! Je voulais te parler, te comprendre et réussir à exister autrement à tes yeux. Je me disais que ton langage devait s'apprendre - comme une formule mathématique - puisque tu finissais toujours par répéter la même chose.

J'ai donc passé des heures (des jours et des mois) enfermé dans mon sous-sol à regarder la télévision. Dans mon petit village isolé du fond de l'Outaouais, l'arrivée du câble en 1992 a été l'une des choses les plus marquantes de mon adolescence. Je m'étais même fabriqué une fausse console d'aiguillage télé et je jouais au réalisateur en regardant mes émissions préférées.

Même si j'ai 41 ans de vie au compteur, je réagis comme un enfant de 5 à 7 ans quand vient le temps d'interagir avec toi sur une base personnelle, cousin humain.

J'ai été fasciné par Oprah Winfrey et Claire Lamarche. J'ai écouté et appris par cœur leur façon de bouger, de parler, de prononcer leurs mots. J'ai copié leur style et peaufiné l'art de la conversation. Je m'y suis entrainé à tous les jours, lisant à haute voix des articles des magazines de ma mère, afin de m'assurer que je pouvais finir par t'intéresser et faire preuve d'empathie.

De fil en aiguille, j'ai même convaincu la directrice de la radio communautaire de mon village de me laisser animer ma propre émission. Pauvre elle! Je me réécoute aujourd'hui et je dois avouer que c'est pire que mauvais; c'est presque indécent pour l'oreille. Mais à force de travail acharné, j'ai ciselé mes intonations, parfait mes silences, rythmé mon débit et je pense y être arrivé.

Les défis des Aspies sont liés aux aspects plus sociaux de la vie de tous les jours. Même si j'ai 41 ans de vie au compteur, je réagis comme un enfant de 5 à 7 ans quand vient le temps d'interagir avec toi sur une base personnelle, cousin humain.

Je suis incapable de me laisser caresser sans ressentir un pincement désagréable sur ma peau. Quand tu me touches, j'ai l'impression que des dizaines de petites aiguilles me piquent. Dans mon cerveau, j'aurais envie que tu m'embrasses partout, que nos lèvres s'enlacent comme celles des adolescents en quête d'affection. Mais le corps est plus fort et il bloque ton contact. Le signal est dissous dans ma peau et chaque fois, je vis un deuil.

Alors cette semaine, quand j'ai lu et relu les centaines de messages que tu m'as envoyés, j'ai beaucoup pleuré. Dans mon petit cerveau autiste, je ressens tout ce que tu me dis et tout ce que tu vis. Je n'ai pas besoin de te tenir la main ou de sécher tes larmes pour comprendre que tu as mal toi aussi.

Retiens bien ces mots : toi et moi sommes connectés.

Quand je retourne dans mon monde magique, je vois que nous sommes tous connectés les uns les autres. C'est - je crois profondément - ce qui explique pourquoi certains autistes n'arrivent pas à communiquer avec toi, cousin humain. Ils sont si bien dans leur Lune, qu'ils n'y voient pas la nécessité d'en redescendre.

Mais en écrivant ces mots, je réalise que j'ai reçu un cadeau : la capacité de pouvoir faire le pont entre toi et nous.

Suis-moi, et tu verras!

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