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La Tunisie est piégée entre le risque de restauration de l'ancienne dictature et celui du retour de l'islamisme aux prochaines élections.
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La Tunisie s'est dotée, il y a un mois, d'un nouveau parlement élu au terme des deuxièmes élections législatives libres de son histoire. Les islamistes d'Ennahda vainqueurs lors de l'élection de la constituante, il y a trois ans, ne sont plus la première force du pays. À elle seule, cette nouvelle constitue un événement de grande importance. Les islamistes peuvent donc être battus dans des élections libres et accepter de quitter le pouvoir. Les Tunisiens viennent aussi de voter pour leur futur président. Avec le deuxième tour prévu dans un mois, la Tunisie aura finalement réussi à faire honneur aux espoirs que les peuples d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient avaient placés en elle.

Il convient de rappeler que la Tunisie a longtemps vécu sous la dictature avant que son peuple, et notamment sa jeunesse instruite, mais désœuvrée, ne prenne son sort en main et décide, en décembre 2010, de se débarrasser d'un des pires dictateurs au monde, Zine el-Abidine Ben Ali, pour réclamer un changement profond dans la société, symbolisé par les slogans brandis par les milliers de manifestants de la place Bardo « pain, liberté et dignité ».

Au bout de quelques semaines d'imposantes manifestations pacifiques, Ben Ali avait dû se résoudre, face à l'ampleur du mouvement, à quitter le pouvoir et à s'enfuir vers l'Arabie Saoudite. L'insurrection du peuple tunisien baptisée révolution du jasmin, par sa victoire, donnera alors confiance aux peuples voisins qui s'insurgeront à leur tour contre leurs tyrans. La suite, on la connait, c'est la désillusion presque totale : guerres en Libye et en Syrie et dictature militaire en Égypte après une courte et amère expérience au pouvoir des Frères musulmans.

En Tunisie, les islamistes d'Ennahdha, vainqueurs en 2011, n'ont pas pu mener le processus de la constituante à son terme ni prendre en charge les aspirations de la population. Le pays a failli lui aussi basculer vers l'inconnu et l'instabilité : assassinats politiques, terreur des groupes armés, manœuvres pour confisquer le pouvoir et pour rédiger une constitution rétrograde...etc. Le tourisme, principale source en devises du pays, a souffert durant le règne des islamistes et le grand déséquilibre régional, pointé du doigt durant la révolution, n'a pas été réduit. Le taux de chômage a dépassé les 15% et plus de 30% chez les moins de 25 ans.

L'échec de l'expérience au pouvoir des islamistes et la peur d'un scénario à l'égyptienne ont sans doute précipité leur départ du gouvernement en janvier dernier. Dix mois plus tard, le peuple tunisien a l'occasion d'élire librement un nouveau parlement et pour la première fois de son histoire un président de la République, même si le pays n'est plus sous un régime présidentiel. Les femmes représentent par ailleurs près du tiers de la députation.

La Tunisie vient de démontrer que l'alternance et l'organisation d'élections libres ne sont pas réservées aux Occidentaux et que la démocratie est possible dans les pays musulmans. Tout ne sent pourtant pas le parfum du jasmin dans l'actualité de ce pays et au-delà de la volonté consensuelle d'asseoir un régime d'alternance démocratique, il reste qu'on est encore loin de répondre aux aspirations de la révolution

Où va le pays ?

Même s'ils ont été battus aux législatives par Nidaa Tounes (Appel de la Tunisie), les islamistes d'Ennahdha ont quand même obtenu 69 sièges, dans la nouvelle assemblée qui en compte 217. Ils sont en embuscade. Ils savent qu'ils ont perdu beaucoup de crédit après leur passage au pouvoir. Depuis quelques mois, ils font profil bas. Ils n'ont pas présenté de candidat à l'élection présidentielle même si leurs électeurs ont été encouragés à voter pour le candidat Moncef Merzouki, président intérimaire depuis 2011. Ils ont choisi d'être patients et font le pari de l'échec de Nidaa Tounes à répondre aux attentes des Tunisiens et des Tunisiennes.

Nidaa Tounes une coalition hétéroclite, dirigée par Béji Caïd Essebsi, presque nonagénaire et ancien des régimes de Bourguiba et de Beni Ali, avec 86 sièges, est la nouvelle première force du pays, mais son score ne lui permet de gouverner seule. Elle est composée d'anciens du régime de Ben Ali, d'entrepreneurs, de syndicalistes, de militants de gauche tous réunis au nom de l'urgence de la lutte contre l'intégrisme islamiste et pour la sauvegarde d'une Tunisie « moderne ». Certains de ses membres ne seraient pas contre le retour de l'ancien régime quand d'autres minimisent le risque de restauration de la dictature. Sur le plan économique, Nidaa Tounes semble avoir une orientation libérale.

Le Front populaire (gauche), qui aurait souhaité que le débat électoral puisse porter sur les enjeux et stratégies de développement et dont le programme est sans doute le plus à même de réaliser les aspirations sociales de la révolution, n'a fait élire que 15 députés. Même si la gauche n'est pas marginalisée, c'est sans doute trop peu pour peser sur les futures orientations économiques et sociales du pays.

C'est dire que la Tunisie est piégée entre le risque de restauration de l'ancienne dictature et celui du retour de l'islamisme aux prochaines élections. À moins que la jeunesse révolutionnaire, qui a déjà averti que « s'ils reviennent, nous reviendrons », décide de se prendre à nouveau en main pour parachever le travail qu'elle avait commencé et montrer que les processus révolutionnaires dans la région ne sont pas condamnés au chaos.

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