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N'en déplaise à M. Fukuyama, l'Histoire n'est pas encore finie. La hargne politique et le débat idéologique persistent. Mais si l'on tient encore à faire paraitre le corps policier comme un arbitre impartial dans cette arène, ne changeons surtout pas de réalisateurs ni de scripteurs, car la critique est depuis longtemps conquise...
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QMI

La formule miracle

Un scénario hollywoodien typique (ou du moins un des moules utilisés ad nauseam) se résume souvent ainsi: une puissante institution se voit manipulée à des fins machiavéliques par un scélérat sans scrupule. Pratique, efficace; on dégotte un coupable bien défini, véritable incarnation de l'avarice, et l'on préserve ainsi l'intégrité éthique du patrimoine, du rôle de ce corps institutionnel. Si la tangente est plutôt au dénigrement ou à la dénonciation modérée, le héros, honnête et solitaire, symbole omnipotent, fera fi de l'adversité et s'acharnera contre un système corrompu par les pommes pourries qui profitent de ses failles. Un organisme vicié par ces malotrus, dévié de sa mission; mais jamais son essence même. Il rétablira la réputation et redorera le blason du Cabinet d'avocat, de l'État, de l'Armée, de la Banque, etc. On parlera toujours de « réformes », de « retour aux sources », mais jamais ne remettra-t-on en cause la légitimité ou la nécessité d'être de ladite instance politique, économique ou sociale. Souligner qu'elle permet en fait d'assouvir les envies de domination, de pouvoir, de certains individus, reviendrait à révéler une tumeur bien plus grave.

Cette rhétorique mystificatrice n'est pas l'apanage du cinéma populiste. La place publique (journaux, télévision, radio, tribunes médiatiques diverses), là où le débat devrait s'épanouir libre de contraintes, est un autre médium où l'on évite l'analyse contestataire, la tâche de plonger ses mains dans la boue. Surtout lorsque des intérêts sont en jeu. Le discours éditorialiste - autant à la gauche qu'à la droite - des médias de masse y a recours abondamment. Il permet souvent d'effleurer le problème, de se donner bonne figure, de feindre la rigueur journalistique, mais sans plus.

L'institution

Les forces policières, durant la grève étudiante, par exemple. Elles ont eu à l'occasion une visibilité peu flatteuse, mais toujours utilisait-on l'indémodable « écart de conduite » pour nommer le matraquage quotidien. Certains ont été mis à l'index; le SPVM a essuyé plusieurs critiques sur son mandat. Mais jamais sa légitimité ne fut atteinte, jamais sa vocation ne fut assaillie par une critique vigoureuse; hormis venant de ceux sur qui ils tapochaient, et pas tous, encore (je pense à certains journalistes de La Presse, entre autres).

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Grand Prix: les arrestations

Grand Prix du Canada: les arrestations le soir du 7 juin 2012

Donc, la police. Pas le patrouilleur, ni l'homme-radar, ni celui qui répond à l'appel; mais celui qui se dresse devant la contestation, la plèbe. Je ne prétendrai pas en avoir une idée bien objective; une légère allergie tendancieuse envers certaines autorités, surtout celles qui me sont imposées, m'indispose un brin à discourir avec neutralité sur le Bras armé de l'État. J'essaierai d'éviter les coups bas, tout de même.

Le mythe

« Notre boulot, à la police, c'est la répression. Nous n'avons pas besoin d'un agent sociocommunautaire comme directeur, mais d'un général. Après tout, la police est un organisme paramilitaire, ne l'oublions pas. » - Yves Francoeur, président de la fraternité des policiers et policières de Montréal

Toute première citation candide, citée et tirée d'un nouvel ouvrage écrit en collectif et dirigé par Francis Dupuis-Déri, À qui la rue? Répression policière et mouvements sociaux (Écosociété, 2013). Un essai qui vient jeter une brique dans la marre. Le postulat du livre (citations, témoignages, preuves, faits à l'appui) est celui-ci: la réaction policière vis-à-vis des manifestants n'est pas corolaire aux actes de ces derniers, mais plutôt à leur position idéologique. Il y a les bons et les mauvais manifestants; les premiers étant « des pères de famille », des « salariés », dont les revendications sont légitimes et circonstancielles, tandis que les seconds seraient des trouble-fêtes, des casseurs, dont les opinions politiques seraient non seulement illégitimes, mais « déviantes ». Profilage, discrimination négative, les termes se valent. Un comportement enfreignant la loi, venant des premiers, a toutes les chances d'être toléré; alors que la seule mobilisation d'un contingent anarchiste, anticapitaliste, étudiant, plus critique à l'endroit des autorités établies, risque de se heurter à une répression sévère. Deux poids deux mesures, en somme.

Maintenant, la Commission spéciale d'examen sur les manifestations du printemps 2012. Sans détour, avant même qu'elle ne débute, plusieurs invités la boudent déjà. La formule en huis clôt pour les uns; la présence d'une ex-syndicaliste pour certains; que l'idée initiale d'une enquête sur les méthodes et les frasques policières soit reléguée aux oubliettes; envoyer une crotte de nez vers un adversaire électoral; tous ont leurs raisons de boycotter l'exercice.

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« The show must go on... »

Mais bon, aurait-on eu accédé à la requête des associations étudiantes, bien que franchement nécessaire, certes, qu'aurions-nous obtenu comme spectacle? Hypothétiquement, un peu le même cinéma que Toronto a servi suite au merdier du G20. Quelques têtes de la haute hiérarchie seraient tombées pour calmer le jeu, un comité de réflexion bidon sur le métier policier et son engagement dans la société serait fondé, la promesse d'une déontologie plus efficace, de plates excuses pour satisfaire les groupes militants et rassurer les nouveaux sceptiques?

Une nouvelle structure morale et éthique pour encadrer le travail des policiers face à un mouvement social?

Cet espoir naïf relève plus du folklore et du mythe que de l'histoire du rôle policier dans le monde occidental. Plus d'un groupe social ou citoyen (mouvements féministes, syndicats, anarchistes, anticapitalistes, étudiants, etc.) en ont dégusté de la délicatesse en armure lorsque leurs revendications risquaient d'empiéter sur les privilèges de l'État ou de certaines élites. Préserver le statu quo, protéger les intérêts des acteurs les plus influents, voilà le véritable mot d'ordre; la paix sociale semblant rimer avec le mutisme et l'apathie tant inculquée à ceux qui ont le moins accès au processus décisionnel.

N'en déplaise à monsieur Fukuyama, l'Histoire n'est pas encore finie. La hargne politique et le débat idéologique persistent. Mais si l'on tient encore à faire paraitre le corps policier comme un arbitre impartial dans cette arène, ne changeons surtout pas de réalisateurs ni de scripteurs, car la critique est depuis longtemps conquise...

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