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Le jour où mon fils est passé de «petit cute» à «grand dérangeant»

J'ai pensé à tous ces parents d’enfants différents qui sont aussi confrontés à ce genre de situation au quotidien. J'ai eu l'idée de faire des chandails avec des messages clairs qui nous aideraient à nous sortir de l’embarras, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Daphnée Gagnon et ses trois enfants
Courtoisie/Daphnée Gagnon
Daphnée Gagnon et ses trois enfants

Chapitre un: mère courage et ses enfants

Je m’en souviendrai toujours. Il y a de cela quelques années, j’écoutais un sitcom un soir de semaine quand soudain, une réplique m’a frappée: «La trisomie c’est bien «cute» chez un enfant, mais rendu à l’adolescence, c’est vraiment dérangeant». Je me rappelle avoir été vraiment choquée, avoir trouvé cette affirmation d’une cruauté sans nom.

Parce qu’au fond, c’est vrai; le jour finit par arriver où les «drôles» de manies de ton fils, comme te sentir le coude comme s’il s’agissait d’un riche cacao importé, deviennent sources de malaises en plein centre commercial. Vous savez, quand votre garçon est pratiquement aussi grand que vous et que techniquement, il devrait être être à l’âge de faire des conneries d’ado… Eh bien mon garçon à moi, il me renifle les coudes (oui oui!), vide les comptoirs d’échantillons de jujubes sans gêne et se désorganise si je porte ma veste détachée. Vous imaginez le regard des autres?

Même si ces petites manies deviennent pas mal moins «cutes» quand ton enfant neuro-atypique a pratiquement du poil au menton, jusque-là, ce n’était pas encore SI dramatique… J’imagine? Même si, quand on doit utiliser les toilettes publiques et que je dois accompagner Lucas jusqu’à la cabine, dans la toilette des femmes, les regards pèsent, et les jugements me font mal. Les espèces de «What the F$%?» dans les yeux des passants m’atteignent plus que je n’aurais pu le penser.

Chapitre deux: le voyage

Un jour, sur un gros coup de tête, on a fait une folie. Vous savez, le genre de gros coup de tête clairement au dessus de tes moyens? Voilà: escapade en avion dans le sud avec le grand, le moyen et le bébé tout neuf qui ne marche pas et qui est encore au sein. En prévoyant un minimum les aléas du voyage avec ma gang et mon garçon autiste, j’ai eu le flash de demander à ma belle-soeur, qui a une calligraphie incroyable, de me dessiner des chandails à messages dans le genre de «Je suis autiste, moi aussi je te juge!» ou «I’m autistic, what’s your problem?!» pour le voyage.

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Magie! Grâce à ces simples chandails, j’ai finalement eu droit à de beaux sourires, de beaux commentaires, mais surtout à de la compréhension. C’est comme si toutes les manies de mon fils redevenaient cutes tout d’un coup. Pour une fois, j’ai pu profiter de mes vacances sans me tracasser du regard des autres. Quel soulagement!

Chapitre trois: le (ok la...) COVID-19

Avec les années, j’ai appris à composer avec le poids du regard des autres. J’en étais arrivée au stade où ça me dérangeait moins, que ce soit par habitude, ou simplement par déni... Ou les deux!

Et là, BOUM. Un nouveau revers à essuyer: la Pandémie, avec un grand P. Cette maladie et le nouveau mode de vie qu’elle nous a imposé du jour au lendemain a fait disparaître au passage tous les précieux acquis de mon grand Lucas. Entre le 14 mars et le retour à l’école en septembre, je ne peux pas vous dire à quel point ça a été difficile.

De un, être enfermé à la maison sans routine, c’est désastreux pour un enfant qui a des besoins particuliers. Nous n’avions aucun échappatoire pour lui changer les idées. Mon fils a perdu tous ses repères. Pris comme dans un état de détresse constant, les crises étaient de plus en plus fréquentes. Encore plus difficile considérant que Lucas est non verbal, et qu’il est impossible pour lui de communiquer ce qu’il ressent, d’extérioriser ou de nommer de quoi il a envie.

“La police citoyenne était présente à chaque coin d’allée pour passer des commentaires désobligeants, pour pointer du doigt, accuser…”

Comment expliquer à ton enfant autiste que tout s’est arrêté? Qu’on ne peut même pas aller au Dollarama? Au parc? Chez des amis? Justement, un des moments les plus précieux que j’ai avec mon fils, c’est de l’emmener faire l’épicerie. C’est un des rares endroits où il passe pratiquement inaperçu.

Le jour où les épiceries ont enfin accepté un accompagnateur, j’ai sauté sur l’occasion pour apporter mon grand, changer d’air et lui faire choisir tout ce qu’il voulait manger. Lucas, contrairement à certains autres enfants autistes, adore manger... voire parfois, TROP manger! Quand il commence le sac de Skittles, disons qu’il est difficile à arrêter. La nourriture, c’est vraiment son petit plaisir.

Malheureusement, l’excitation fut de courte durée. La police citoyenne était présente à chaque coin d’allée pour passer des commentaires désobligeants, pour pointer du doigt, accuser… Le pire, c’est qu’on m’entend et on me voit bien intervenir avec mon enfant, tout au long du parcours (bien oui, les maudites flèches).

“Je suis 100% POUR le port du masque obligatoire, mais je savais TRÈS bien que ce serait UN ENFER d’essayer de le faire porter à mon fils, du genre mission impossible sans Tom Cruise pour t’aider.”

«Lucas, fais pas ci, Lucas prends tes distances, touche pas à ça!» . Je suis même allée jusqu’à prendre l’habitude de lui parler avec des signes pour que les gens se disent: «Oh, il est peut-être malentendant, il doit être «différent». J’ai adopté cette stratégie en espérant que les gens continuent leur chemin sans me faire de commentaires à moi, la mère qui rush sur un moyen temps. Mais bon, semble-t-il que cette tactique ne fonctionne pas en temps de pandémie.

Et est-ce qu’on peut parler du masque!? Je suis 100% POUR le port du masque obligatoire, mais je savais TRÈS bien que ce serait UN ENFER d’essayer de le faire porter à mon fils, du genre mission impossible sans Tom Cruise pour t’aider.

Cette fameuse fois à l’épicerie où la madame à l’entrée me demande: «Quel âge a votre enfant?»

Moi: «12 ans».

Commis: «Mais, vous savez madame, le gouvernement a dit que finalement c’était 10 ans…»

Moi: «Oui je comprends, mais il est autiste...»

Gros malaise. Jusque-là ce n’est pas si dramatique. Bon, on s’est fait «vérifier», la commis fait son travail après tout, on devrait être OK pour la suite. Eh bien non! S’en est suivi de multiples interrogatoires, et ce, à tous les départements, par tout le staff, mais surtout par la police citoyenne. Au total: neuf personnes m’ont arrêtée cette journée-là, alors que je voulais simplement acheter une salade iceberg, des frites congelées et un poulet rôti.

Une fois aux caisses, je n’en pouvais plus, j’ai craqué et j’ai demandé à parler au gérant de service. Les larmes aux yeux, j’ai expliqué au gérant qu’on m’avait «vérifiée» à l’entrée, ce que je comprends parfaitement. Que nous avions passé les «douanes» de l’épicerie et que mon garçon étant autiste, qu’il fait partie des exceptions.

Pourquoi alors, est-ce que je me fais questionner par littéralement tous les employés (sans compter notre chère police citoyenne)? Une fois la douane passée, il me semble que je ne devrais pas avoir besoin de montrer mon passeport pour acheter un poulet cuit! Le gérant s’est excusé et il m’a dit qu’il allait sensibiliser le personnel en mentionnant que les commis sont à cran. Je les comprends! Mais cette fois-ci, après des semaines de confinement, j’étais vraiment au bout du rouleau. Est-ce que je peux faire mon marché, comme tout le monde, en espérant un minimum d’humanité et d’empathie de la part des humains qui vont croiser ma route?

Cette journée-là, en pleurs dans le stationnement d’une épicerie de la Rive-Nord, j’ai repensé à ces chandails qui avaient été tellement utiles lors de notre voyage. Je pensais à tous ces autres parents d’enfants différents, d’ici ou d’ailleurs, qui devaient se confronter eux aussi à ce genre de situation sur une base quotidienne. Et si j’en faisais, moi, des chandails avec des messages clairs qui pourraient nous aider à nous sortir de l’embarras, ne serait-ce qu’un tout petit peu? J’ai immédiatement appelé Ariane, mon amie artiste. Je lui ai parlé de mon idée, et à mon grand bonheur, elle a sauté à pieds joints dans le projet!

Lucas porte son chandail «Ça tombe bien, moi aussi, je te trouve bizarre»
Courtoisie/Daphnée Gagnon
Lucas porte son chandail «Ça tombe bien, moi aussi, je te trouve bizarre»

C’est ainsi que Projet Spécial a vu le jour.

L’été 2020 en a été un intense; des réunions (à distance!), des essais, des erreurs, beaucoup de recherche, quelques échecs et quelques remontées fulgurantes vers ce qui s’approchait de plus en plus de ce qu’est aujourd’hui notre Projet Spécial.

Nous avions à coeur de créer quelque chose qui serait le plus près possible de nos valeurs. On voulait offrir un produit local, mais à un prix accessible, être inclusive dans notre offre de tailles, puis trouver le bon dosage entre le style, l’humour, et le message sans avoir l’air d’imposer une étiquette sur qui que ce soit.

On propose des t-shirts avec des messages comme: «J’ai un handicap invisible, le port du masque est impossible», «Ça tombe bien, moi aussi je te trouve bizarre» et «J’ai besoin d’espace».

Un jour, on aimerait s’associer à des organismes, des causes qui nous tiennent à coeur. Ce n’est que le début!

C’est tough par bouttes, comme on dit en bon français. Mais aujourd’hui, je vais mieux. On va mieux.

Comme quoi, parfois, du chaos naissent de belles choses.

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