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Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a distribué plus de 1,1 milliard $ au Québec durant l’été

Les subventions ont profité aussi bien aux microbrasseries qu’au secteur minier.
Les premiers ministres Philippe Couillard et Justin Trudeau avec le président et chef de la direction de CAE Marc Parent, le 8 août 2018.
Christinne Muschi / Reuters
Les premiers ministres Philippe Couillard et Justin Trudeau avec le président et chef de la direction de CAE Marc Parent, le 8 août 2018.

Le Parti libéral du Canada a versé des aides financières totalisant 1,1 milliard de dollars au Québec cet été, alors que les élections fédérales de 2019 se profilent à l'horizon.

Le HuffPost Canada a tenu compte des subventions et des prêts exclusivement octroyés au Québec entre la fin de la session parlementaire et la Fête du Travail, soit entre le 21 juin et le 3 septembre. On y retrouve les 62 millions $ attribués au branchement à Internet de 14 communautés inuites et les 10 millions $ attribués à l'entretien de pistes de motoneige, pour ne nommer que ces exemples.

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Le total de 1,131 milliard $ exclut toutefois les budgets de recherche distribués à la grandeur du Canada (soit 378 millions $) annoncés dans la circonscription d'Outremont, qui fera l'objet d'une élection partielle dans les mois à venir.

Les circonscriptions libérales ont obtenu 70 des 157 projets recensés (44,5 % du total); les circonscriptions néo-démocrates en ont obtenu 55 (35 %); les circonscriptions conservatrices en ont obtenu 22 (14 %); tandis que les circonscriptions bloquistes en ont obtenu 9 (6 %). La circonscription de Beauce, représentée par le député du nouveau Parti populaire du Canada Maxime Bernier, n'a reçu qu'une seule subvention. Les circonscriptions détenues par l'opposition bénéficient donc d'une faible majorité des projets financés.

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Nous nous sommes entretenus avec Laval Boulianne, qui s'est vu accorder des prêts sans intérêt totalisant 929 550 $ pour rénover les chambres de deux établissements hôteliers d'Alma.

Bien qu'il ne cache pas ses convictions fédéralistes, l'homme d'affaires estime que la politique n'a rien à voir avec cette décision : « Quand ça a été annoncé... les gens m'ont associé au Parti libéral. Mais absolument pas... Aujourd'hui il faut que les politiciens livrent la marchandise, pas pour une personne, mais pour l'ensemble de la population. »

La ville d'Alma est située dans la circonscription de Lac-Saint-Jean, qui était représentée par le Parti conservateur depuis 2007 mais a basculé dans le camp libéral à l'élection partielle d'octobre 2017. Ayant voté tour à tour pour les libéraux et les conservateurs, Boulianne prétend ne pas avoir été impliqué en politique active depuis au moins 30 ans.

« La politique d'aujourd'hui, c'est un problème parce que les gouvernements changent, les gens changent, et on est mal perçu si on est trop identifié à un parti ou à un autre », affirme-t-il.

Cet été, la circonscription de Lac-Saint-Jean a reçu un total de 14,66 millions $ de financement fédéral.

Le brise-glace Louis S. St-Laurent
Jonathan Hayward/CP
Le brise-glace Louis S. St-Laurent

Dans l'ensemble du Québec, les sommes les plus importantes ont toutefois été attribuées à des circonscriptions détenues par l'opposition. Il s'agit du contrat de 610 millions $ accordé au chantier naval Davie pour la construction de deux brise-glace de la Garde côtière canadienne, et de l'investissement de 21,1 millions $ dans une entreprise de Sherbrooke qui développe des poudres métalliques destinées aux marchés de l'impression 3D et de la microélectronique.

Le député néo-démocrate de Drummond, François Choquette, constate que les libéraux font de grands efforts pour remporter toutes les circonscriptions du Québec. Il s'attend néanmoins à ce que les fonds fédéraux servent à autre chose : « J'espère qu'ils offrent le développement économique partout à travers le Québec et le Canada d'une manière juste et équitable. »

(À l'échelle nationale, une autre étude du HuffPost Canada révèle cependant que les 43 milliards $ de mesures financières annoncées cet été ciblent principalement l'est du pays, où le Parti libéral détient la plupart des sièges.)

La circonscription de Drummond, en particulier, a reçu 1,48 million $ durant l'été. Cet argent servira à agrandir une bibliothèque publique, à soutenir un centre d'emploi jeunesse et à apporter des améliorations à deux centres sportifs.

Justin Trudeau a été chaleureusement accueilli à Drummondville au mois de juin, puisque la région n'avait pas reçu la visite d'un premier ministre en période non électorale depuis plus de trois décennies. Cette circonscription n'a pas voté rouge depuis 1984, mais le Parti libéral ne l'a perdue que par une faible marge de 2040 voix à l'automne 2015.

Priorité au développement économique du Québec

Le Programme de développement économique du Québec représente à lui seul des engagements financiers de plus de 68,7 millions $. L'argent promis servira à stimuler les investissements régionaux, l'emploi local et le tourisme.

Voici quelques-uns des projets soutenus par les fonds fédéraux :

  • Octroi d'un prêt sans intérêt de 2,7 M$ pour la construction d'une fromagerie Mini Babybel à Sorel-Tracy.
  • Octroi de 2 M$ à l'entreprise de transformation de pommes de terre St-Arneault Inc. pour l'aider à acquérir une friteuse, un tunnel de surgélation et des systèmes connexes.
  • Octroi de 1,8 M$ au Festival d'été de Québec, un événement qui attire des artistes de calibre mondial tels que Beck, Cyndi Lauper et les Foo Fighters.
  • Octroi d'un prêt de 1,2 M$ à l'entreprise Les Cuisines Gaspésiennes, qui souhaite informatiser son usine de transformation de viande.
  • Octroi d'un prêt de 900 000 $ à l'entreprise de gestion de carburant Coencorp pour faciliter l'ouverture d'un bureau au Texas et favoriser son expansion aux États-Unis.
  • Octroi d'une subvention non remboursable de 600 000 $ au Groupe MISA, un réseau d'experts en innovation minière.
  • Versement de 500 000 $ à Blücare Lab Inc. afin de favoriser la recherche scientifique et le développement de granulés pouvant aider à détecter les maladies félines.

Depuis longtemps acquise au Bloc québécois, la péninsule gaspésienne n'avait pas la réputation d'être favorable aux libéraux, mais ceux-ci y ont tout de même remporté deux sièges en 2015.

La circonscription de Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine se classe au premier rang en ce qui concerne le nombre de projets financés. La députée locale et ministre du Revenu Diane Lebouthillier y a annoncé des investissements de 2 693 822 $ le 12 juillet, ainsi que des prêts et des subventions non remboursables s'élevant à 1 694 759 $ deux semaines plus tard. Sa circonscription a donc reçu à elle seule près du quart (24 %) de tous les crédits de développement économique annoncés au Québec.

Parmi les entreprises bénéficiaires, l'on retrouve L'Hôtel Baker (ex-Hôtel des commandants), qui a reçu un prêt de 57 000 dollars pour améliorer la qualité des salles de bain dans 68 chambres; l'Auberge La Seigneurie des Monts, qui a reçu un prêt de 98 830 $ pour acheter de l'équipement informatique et rafraîchir ses chambres; ainsi que le Manoir de Percé, qui a reçu 50 000 $ afin de rénover son hall de réception.

Le Camp de Base Coin-du-Banc a pour sa part reçu 45 000 $ afin d'acquérir des vélos à pneus surdimensionnés et des planches à bras et mieux accueillir les touristes en quête d'une « expérience gaspésienne authentique ».

Trois microbrasseries se sont partagé un total de 265 809 $ pour acquérir de l'équipement, garantir leur bail ou prendre de l'expansion. Il s'agit de la Brasserie Auval, de la Société secrète et de la Microbrasserie Cap Gaspé.

La distillerie gaspésienne O'Dwyer, qui fabrique du gin à partir de champignons sauvages, peut maintenant compter sur une subvention de 148 433 $ qui servira à automatiser ses processus et agrandir ses installations. Le communiqué de presse indique qu'un emploi additionnel sera créé.

La circonscription d'Abitibi—Témiscamingue arrive au deuxième rang avec 22 projets financés. Bien que les libéraux en prennent le crédit, la députée néo-démocrate Christine Moore croit que ces subventions reflètent le travail qu'elle et son équipe ont accompli pour faciliter les démarches des entreprises de la région.

Top 3 des circonscriptions ayant obtenu le plus de projets

1. Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (29)

2. Abitibi–Témiscamingue (22)

3. Lac-Saint-Jean (9)

Top 3 des circonscriptions ayant obtenu le plus de financement

1. Bellechasse—Les Etchemins—Lévis: $620,560,600

2. Manicouagan: $190,262,783

3. Abitibi—Baie-James—Nunavik—Eeyou: $77,662,639

Moore ne manque pas de rappeler que sa circonscription figurait au deuxième rang en matière de financement d'infrastructures communautaires sous le gouvernement Harper. Lors de son passage dans la région au mois d'août, le premier ministre Trudeau a lui-même invité la députée à monter sur le podium pour prendre la parole. « Après que j'ai parlé, il a souligné ma force et mon courage alors..si je suis une de ces circonscription ciblée, il a quand même une drôle de façon de d'agir!»

Justin Trudeau n'est pas le seul chef de parti à avoir parcouru le Québec cet été. Le conservateur Andrew Scheer et le néo-démocrate Jagmeet Singh ont tous les deux tenté de se faire connaître davantage.

Les trois principaux partis considèrent le Québec comme un élément clé de leur succès électoral en 2019. Le Parti libéral y détient une courte majorité de 40 sièges sur 78, tandis que le NPD, le Parti conservateur et le Bloc québécois y détiennent respectivement 15, 11 et 10 sièges.

Selon les données que nous a fait parvenir le conseiller en communications Samir Goulamaly, Développement économique du Canada pour les régions du Québec (une agence sous la responsabilité du ministre de l'Innovation Navdeep Bains) dispose d'un budget total de 276,5 millions $, en légère baisse par rapport aux années précédentes. À titre indicatif, l'agence disposait de 537,3 millions $ avant les élections de 2011.

La plupart des aides financières distribuées par cette agence consistent en prêts sans intérêt que les entreprises doivent rembourser en sept ans. Cet échéancier inclut des remboursements sur 5 ans ainsi qu'une période de grâce de 24 mois après la fin du projet. Les OBNL, les organismes régionaux de développement des exportations ainsi que certaines entreprises reçoivent occasionnellement des subventions.

Selon Goulamaly, le taux de remboursement des prêts oscille autour de 96 pour cent.

« Presque toutes nos contributions remboursables sont effectivement remboursées, sauf en de rares cas de faillite, d'insolvabilité ou de bris d'engagement », explique-t-il par courriel.

« La volonté du gouvernement d'appuyer un projet peut faire toute la différence », affirme Jean-Michel Laurin, vice-président de la firme de relations publiques National à Ottawa.

Les fromageries Bel Canada ont fait appel aux services de National pour toucher une assistance financière lui permettant de construire une usine de fabrication de Mini Babybel à Sorel-Tracy.

Un prêt sans intérêt de 2,7 M$ a été octroyé pour la construction d'une fromagerie Mini Babybel à Sorel-Tracy.
PC
Un prêt sans intérêt de 2,7 M$ a été octroyé pour la construction d'une fromagerie Mini Babybel à Sorel-Tracy.

Cette enveloppe de 22,7 millions $ – qui inclut une subvention de 5 millions $, un prêt de 15 millions $ de Québec et un prêt de 2,7 millions $ d'Ottawa – a été annoncée par les deux paliers de gouvernement à la fin d'août, à quelques semaines du déclenchement de la campagne électorale québécoise.

Cette aide conjointe et les efforts de la filiale ont fini par porter fruit. Le Groupe Bel, dont le siège social est situé à Paris, a décidé d'initier la construction d'une nouvelle usine au Québec.

«C'est un projet que l'entreprise considérait comme important, mais il a fallu se battre à l'interne pour aller chercher ces fonds-là. On ne pouvait rien prendre pour acquis », explique Jean-Michel Laurin.

Le président des Bières de la Nouvelle-France, François-Eugène Lessard, estime pour sa part que la contribution du fédéral lui a facilité la vie : « On aurait pu emprunter plus à la caisse, mais [les remboursements] seraient beaucoup plus stressants — en faite, [ette aide] nous apporte une sécurité financière. »

Fondée par ses parents il y a 20 ans, la microbrasserie de Saint-Alexis-des-Monts a reçu 220 768 $ cet été afin de prendre de l'expansion, moderniser son équipement et acheter une canneuse qui lui permettra enfin de vendre sa bière en canettes.

Les bières artisanales sont un marché en pleine expansion qui met en concurrence 208 microbrasseries québécoises, alors que la province en comptait 74 en 2010. « En ce moment, il en ouvre deux par mois », explique Lessard.

Lessard s'inquiète de voir les microbrasseries authentiques disparaître des bars et des étagères.

L'acquisition du Trou du diable par Molson et l'acquisition d'Archibald par Labatt indiquent que les grandes multinationales n'hésitent pas à faire main basse sur la concurrence.

« C'est terrible ! Je ne sais pas ce qui va arriver, parce que honnêtement, en ce moment,il y a beaucoup trop de produits sur les tablettes. »

Les Bières de la Nouvelle-France est l'une des sept microbrasseries ayant reçu du financement fédéral cet été. Goulamaly estime que l'appui à de telles entreprises correspond à l'objectif de l'agence, qui est de soutenir les entreprises québécoises prometteuses et susceptibles de stimuler la croissance et la création d'emplois en faisant appel au savoir-faire local.

Renaud Brossard n'est pas de cet avis. À titre de membre de la Fédération canadienne des contribuables, il croit que ces subventions sont un gaspillage de fonds publics : « Elles devraient être éliminées. Le processus manque souvent de transparence. Il est insensé de demander aux contribuables de la classe moyenne, qui ont de la difficulté à arriver dans leur budget, de donner des millions de dollars à des entreprises déjà millionnaires ou milliardaires afin qu'elles étendent leurs activités. »

Si les entreprises souhaitant prendre de l'expansion, elle devraient se tourner vers les institutions financières et payer les taux d'intérêt du marché, dit-il. «Compte tenu de l'inflation, un taux d'intérêt de zéro ça équivaut à une subvention de deux pour cent par année. C'est une perte pour les contribuables. »

Pour sa part, le député Conservateur Gérard Deltell ne voit pas de problème à financer le développement régional, mais constate que les libéraux dépensent sans compter : « Il est évident que le gouvernement doit faire des investissements judicieux qui créeront de la richesse, des emplois et une économie canadienne plus forte. Mais la prudence reste de mise. »

« Quand un gouvernement dépense trop, perd le contrôle des finances publiques et n'a aucun plan de retour à l'équilibre budgétaire, c'est mauvais signe. Avec de tels chiffres, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter », affirme t-il.

— Avec des informations de Zi-Ann Lum

Cet article est le second d'une série du HuffPost Canada faisant enquête sur les dépenses gouvernementales.

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