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Le développement technologique et l’avenir du travail

Le débat prend l’allure d’une opposition entre progrès technologique et aliénation.
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Le développement technologique de l'économie, comportant la robotisation et l'automatisation de la production, l'intelligence artificielle et l'émergence des plateformes numériques, change fondamentalement la nature du travail, les façons de fonctionner des entreprises et les manières de vivre des travailleurs. Les transformations induites par ce développement donnent lieu à des commentaires tantôt optimistes tantôt pessimistes quant à l'avenir du travail. Pour les uns, l'émergence des technologies favoriserait un nouveau modèle d'emploi flexible généralisé alors que d'autres verront dans les nouvelles réalités un affaiblissement du salariat, progressivement remplacé par une accumulation de petits boulots et de tâches pénibles. Le débat prend l'allure d'une opposition entre progrès technologique et aliénation.

Demeurer dans ce débat polarisé tend toutefois à limiter la compréhension des nouvelles réalités économiques qui doivent être appréhendées dans toute leur complexité. L'interaction entre les nouvelles technologies et le travail s'annonce remplie d'opportunités, mais elle mène également à des ruptures radicales par rapport au passé. Vecteur d'une productivité élevée et d'une croissance économique forte, les nouvelles technologies ont un impact important sur l'emploi, sur les compétences exigées de la part des travailleurs de même que sur la distribution de la richesse créée. La nature et le sens même du travail s'en trouvent modifiés.

L'emploi

Sur le marché de l'emploi, le développement technologique contribue au processus de «destruction créatrice» mis en évidence au début du siècle passé par l'économiste autrichien Joseph Schumpeter : des emplois sont détruits parce que d'autres, plus productifs, sont créés ailleurs. Les innovations technologiques améliorent la productivité et leur impact sur l'emploi est positif. En France par exemple, on a estimé qu'au cours des 15 dernières années, l'Internet a détruit environ un demi-million d'emplois, mais en a créé dans le même laps de temps 1,2 million ce qui représente 2,4 emplois créés pour chaque emploi détruit. Aux États-Unis, un tiers de nouveaux emplois créés au cours des 25 dernières années n'existaient pas auparavant.

Aux États-Unis, un tiers de nouveaux emplois créés au cours des 25 dernières années n'existaient pas auparavant.

L'émergence des technologies transforme également les formes d'emploi et conduit à un déplacement du travail salarié vers le travail indépendant, qui se développe comme résultat du choix des individus d'offrir leurs services sur des plateformes numériques comme Uber, Upwork ou Etsy. Ce type de travail atteint aujourd'hui 15% de l'ensemble de l'emploi au Québec et 30% aux États-Unis. Environ 20% de ces travailleurs indépendants exercent leur travail à partir de plateformes numériques. Leur nombre est en croissance continue dans un contexte de diminution du nombre d'emplois traditionnels et en raison de l'intérêt des travailleurs pour l'emploi flexible. Le développement de ces marchés orientés vers la tâche entraîne un affaiblissement des normes du travail et une augmentation des incertitudes par la diminution des protections sociales et par l'externalisation des risques. Toutefois, cette réalité ne couvre pas l'ensemble des boulots réalisés par l'intermédiaire des plateformes ni l'ensemble des expériences des travailleurs, puisque ce type de travail offre aux individus des gains personnels d'efficacité, une plus grande flexibilité et favorise une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée. Notons également que les technologies numériques créent pour les individus de nouvelles possibilités entrepreneuriales, notamment pour les petites entreprises, comme le montre le nombre important de start-ups apparues au cours des dernières années. Les freelancers et les auto-entrepreneurs seront des figures de proue de l'économie numérique.

Des nouvelles compétences exigées des travailleurs

Dans un monde « technologisé », les entreprises fonctionnent de plus en plus par projets courts et ciblés sur des activités particulières. La conception des produits permet de disperser la fabrication sur une multitude de sous-traitants. Cette organisation du travail exige de nouvelles compétences pour les travailleurs, notamment des compétences techniques, de communication ou de travail en équipe. Elle contribue, d'une part, au développement d'une forme superficielle de savoir qui permet de s'adapter à des changements rapides; les individus apprenant beaucoup de choses différentes et étant stimulés par le changement technologique. Mais beaucoup parmi eux ne peuvent investir un temps long dans l'acquisition d'une qualification poussée. D'autre part, les innovations font reculer les frontières techniques et l'avancement des connaissances engendre une spécialisation croissante qui, à la longue, peut s'avérer appauvrissante sur le plan humain et social. L'«éthos de la superficialité» et l'appauvrissement par la spécialisation poussée sont les deux faces d'une même médaille.

La distribution de la richesse

L'économie de l'innovation est une formidable machine à produire de la richesse pour l'ensemble des collectivités, mais aussi un instrument d'exclusion. Plus que dans l'économie traditionnelle, la richesse sera distribuée non pas selon les mérites et l'effort de chacun, mais selon des aléas incontrôlables. Les nouvelles technologies contribuent à une polarisation du marché du travail avec d'un côté des emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés et de l'autre des emplois nécessitant des compétences élevées, très bien payées. Le modèle d'affaires des plateformes en ligne, «the winner takes all», qui entraîne une transformation importante des modalités de la concurrence contribuera à l'accroissement de cette tendance à l'inégalité économique. Contrairement aux marchés traditionnels où les individus sont payés sur la base de la performance absolue, sur le marché numérique, la rémunération est en fonction de la performance relative (une application légèrement meilleure qu'une autre remporte tout le marché).

L'économie de l'innovation est une formidable machine à produire de la richesse pour l'ensemble des collectivités, mais aussi un instrument d'exclusion

Nature et sens du travail

Les technologies ont un impact important sur les façons de travailler. Les 9 à 5 pour un seul employeur à vie, les congés fixes, le travail dans la même équipe et dans les mêmes bureaux sont en train d'être remplacés par un mode de vie professionnel volatil. Les horaires de travail flexibles qui vont se généraliser, la transformation des tâches et de la manière de les réaliser feront en sorte que l'expérience de travail des individus deviendra fragmentée. Les travailleurs ne pourront plus avoir un sentiment de continuité de leur vie professionnelle dans une économie en flux et seront amenés à rechercher plus fortement des liens de sociabilité et un sens à leur vie professionnelle dans l'expérience du travail, qui deviendra le critère primordial de la réalisation individuelle. La multiplication des choix offerts dans l'économie numérique va probablement miner le pouvoir d'achat comme baromètre de la richesse individuelle et l'expérience du travail deviendra prioritaire par rapport au niveau de vie dans la hiérarchie des critères de bonheur. Le travail, qu'il soit réel ou virtuel, exercé en présence, dans un lieu défini ou à distance se trouvera investi de nouveaux sens.

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