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«Le Caravage»: La tragédie clair-obscur

Manara raconte avec verve et émotion le funeste destin de ce peintre maudit.
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Glénat

Il y a quelques années j'ai eu le plaisir de visiter Malte. La république aux maisons couleur miel - qui a longtemps été la base des Hospitaliers, ces moines-soldats de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem - est un musée à ciel ouvert où tout nous les rappelle. Particulièrement à La Valette, la capitale immuable, qui vit toujours au rythme des réminiscences de cette présence. Si d'aventure vous visitez la Co-cathédrale Saint- Jean de La Valette, vous pourrez y admirer de magnifiques toiles du Caravage, qui fut pour un court moment, chevalier de l'ordre.

La déchéance de l'exil

Ce séjour maltais fait justement l'objet de la conclusion du diptyque que Milo Manara a consacré au maitre du clair-obscur. Accusé d'avoir tué un membre d'une des plus puissantes familles romaines, Michelangelo Merisi da Caravaggi doit fuir Rome, en 1606, pour éviter la mort. Pour le peintre commence alors un exil marquée par ses nombreuses rixes, ses arrestations fréquentes et ses délires éthyliques suicidaires. Perpétuel apatride, incapable de se fixer, tiraillé entre ses démons et sa quête d'une inaccessible rédemption, le peintre erre de ville en ville, détruit par l'alcool, dégoûté par sa propre déchéance, jusqu'à ce 18 juillet 1610 où on le retrouve mort sur la plage de Porto Ercole en Toscane.

Magnifique lettre d'amour du grand Manara au peintre, Le Caravage vaut le détour. Pour ses dessins, entre autres, qui nous font redécouvrir toute la richesse et l'élégance du trait d'un bédéiste qu'on a fini par réduire qu'à ses bédés coquines (Le déclic, Le parfum de l'invisible).

Tranchant avec le style qui l'a imposé sur la scène mondiale de la bande dessinée, Manara dévoile une nouvelle facette de son graphisme. Un trait qui se moule à merveille au Caravage, sans pour autant trop l'appuyer, en lui insufflant une lumière moins dramatique qu'utilisait le peintre.

Et même s'il prend quelques fois des raccourcis et qu'il tourne à l'occasion les coins ronds, malgré la pertinence de ses sources, Manara raconte avec verve et émotion le funeste destin de ce peintre maudit. À travers ses triomphes et ses faiblesses, Manara explore son âme tourmentée et en fait le protagoniste parfait pour une funeste mais magnifique tragédie à la hauteur de son génie.

Brillant exercice - même si un troisième album aurait été le bienvenue – Le Caravage nous donne envie de relire Manara mais surtout de redécouvrir les toiles de ce tragique artiste qui a su peindre si justement toute l'authenticité de l'expression humaine.

La grande marche

Du maître du clair-obscur on passe à celui de la ligne claire: Edgar P. Jacobs. Attention je précise, plus particulièrement à trois de ses héritiers Yves Sente, Teun Berserik et Peter Van Dongen qui viennent de lancer le premier volet de La vallée des immortels.

Blake et Mortimer

Situé au lendemain de la chute de l'Empire Jaune - Le bâton de Plutarque et Le secret de l'Espadon – le nouvel album du trio a comme théâtre l'Empire du Milieu. Une Chine en plein chaos où le gouvernement de Tchang Kaï-chek fuit vers Formose devant l'irrésistible rouleau compresseur des armées communistes de Mao Zedong.

Un climat de tension exacerbé par la présence d'une colonie britannique en plein territoire chinois: Hong-Kong. Un microcosme parfait qui annonce une nouvelle définition des relations internationales où devront évoluer un Blake et un Mortimer, mal préparés pour cette nouvelle donne qui se joue dans l'ombre et au rythme de la realpolitik.

Ce n'est pas une nouvelle pour personne. J'aime les aventures du duo, surtout celles qui sont animées par les successeurs de Jacobs. J'y trouve un dynamisme, une richesse psychologique et une subtilité politique à la John Le Carré que je ne percevais pas toujours chez le créateur.

Et encore une fois l'ombre du grand écrivain d'espionnage est présente dans ce nouvel opus. Manifestement, Sente maîtrise l'implacable écriture du créateur des Gens de Smiley et sait, comme lui, construire une intrigue solide, logique et fertile en rebondissements crédibles et subtils.

Magnifiquement mis en image par les Néerlandais, Berserik et Van Dongen, La vallée des immortels met en place avec nuances l'échiquier chinois au destin impossible à cerner tant l'incertitude règne.

Excellente bédé d'espionnage, le nouveau Blake et Mortimer est à la fois respectueux de la tradition et innovateur dans son regard historique sur le passé. Ce que ne pouvait pas faire Jacobs, j'en conviens.

Définitivement, j'adore cette volonté des héritiers de combler le grand vide entre chaque album du maître. Peu à peu, album après album, la saga de Blake et Mortimer se dévoile devant nous.

Et n'est-ce par le propre d'une saga d'avoir plusieurs créateurs qui s'y investissent et la modifient au fil de leurs interventions?

Manara, Le Caravage deux tomes, Glénat.

Yves Sente, Teun Berserik, Peter Van Dongen, La vallée des immortels, tome 1, Blake et Mortimer.

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