Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'antimondialisme triomphe à Washington

Le système politique américain a osé, à sa manière, remettre en cause les bénéfices de la mondialisation, à la manière des manifestants européens déçus de l'austérité et de la toute-puissance de l'Union européenne.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Certes, la capitale américaine n'est ni Madrid ni Rome, et encore moins Athènes. Les gens ne descendent pas dans la rue, le gouvernement n'est pas sur le point de s'effondrer et les États-Unis ne sont pas au bord de la faillite.

Vendredi 12 juin pourtant, lors d'un vote parlementaire, le système politique américain a osé, à sa manière, remettre en cause les bénéfices de la mondialisation, à la manière des manifestants européens déçus de l'austérité et de la toute-puissance de l'Union européenne.

L'économie américaine s'est mieux tirée de la crise de 2008 que la plupart des autres pays. Cependant, l'écart qui sépare les plus riches du reste de la population s'est creusé dans des proportions record. En valeur réelle, le salaire moyen des Américains n'a pas évolué depuis plus de dix ans, alors que les indemnités des dirigeants explosent.

La Chambre des représentants, emmenée par ses anciens alliés démocrates, a fait capoter le projet d'accord commercial global avec 11 pays d'Asie soumis par Barack Obama, et d'autres mesures techniques visant à améliorer les volumes d'investissement, d'emploi, de production et de télécommunication dans le monde entier.

Après des décennies de soutien aux mesures de ce type - encouragées par les entreprises américaines, les principaux leaders d'opinion et tous les présidents, anciens ou actuel -, une coalition de Républicains et de Démocrates a manifesté son désaccord, du moins en l'état.

Les bénéfices du commerce mondial sur le long terme, quels qu'ils soient, sont moins frappants et manifestes qu'une usine qui ferme, une masse salariale réduite de moitié, ou une entreprise américaine incapable de s'adapter face aux imports à bas prix venus d'Asie. C'est particulièrement le cas pour les industries du Midwest, mais aussi dans la plupart des zones rurales, où le patriotisme et la rancœur à l'égard des étrangers pèsent parfois lourd dans la balance.

Sander Levin, un démocrate du Michigan, dont les électeurs ont été sévèrement touchés par la crise, a ainsi déclaré que les précédents projets de loi sur les accords commerciaux avaient "détruit des millions d'emplois pour les classes moyennes".

Divers autres facteurs expliquent l'échec d'Obama. Pendant une grande partie de ses six années à la tête du pays, son équipe et lui, aussi doués soient-ils, ont souvent manifesté une certaine arrogance et un manque d'ouverture, voire du mépris pour les rouages du Congrès et ses représentants. Jeudi, le président s'est rendu à l'improviste à un match de baseball pour tenter de convaincre le chef de la minorité parlementaire du bien-fondé de cet accord. San Francisco, la circonscription de Nancy Pelosi, démocrate de Californie, est en effet l'une des plus favorables aux accords de libre-échange. Il est même allé plaider sa cause vendredi devant les démocrates au Congrès.

Mais Nancy Pelosi, et un grand nombre de membres de son propre parti, ont choisi de ne pas le soutenir dans cette démarche.

Quand il a accepté d'accélérer le vote de ces accords commerciaux, le Sénat a inséré une clause conditionnant le budget de formation continue des employés à des coupes de 700 millions de dollars dans le budget de la Santé, ce que la Maison-Blanche a accepté. Les Démocrates au Congrès s'en sont saisis pour reprendre l'avantage.

Sans oublier que les spécificités de ces accords sont en réalité secrètes : les parlementaires n'y ont accès que dans une pièce sécurisée et ils n'ont pas le droit de faire des copies des documents consultés. Cette façon de procéder - habituelle dans le cadre d'accords commerciaux - n'a fait qu'alimenter la méfiance du monde entier, et les accusations d'élitisme. Mais le problème est plus profond.

Tous les sondages montrent que les électeurs américains savent que le libre-échange est théoriquement une bonne chose -et qu'il est quasiment inévitable- mais qu'ils sont de plus en plus sceptiques quant à la répartition équitable des bénéfices qui en résultent.

Quel intérêt d'importer des chemises moins chères parce qu'elles sont fabriquées au Vietnam, par exemple, si l'on n'a pas un emploi suffisamment bien payé pour se permettre de les acheter ? Et que penser du fait que les chefs d'entreprise gagnent en moyenne trois cents fois plus que les salariés, un ratio dix fois plus élevé qu'il y a vingt ans ? Telles sont les questions que posent aussi certains mouvements populistes du Sud de l'Europe -notamment en Italie, en Grèce et en Espagne-, facteurs de déstabilisation pour leurs gouvernements.

Aux États-Unis, les salariés ne sont pas dans la rue. A Washington, tout a été géré par les groupes de pression et, pour une fois (ce qui est suffisamment rare pour être signalé), les syndicats et leurs alliés ont remporté la partie.

Obama et ses troupes reviendront à l'attaque. En fin de compte, la nécessité de renforcer les liens commerciaux avec les pays d'Asie face à la suprématie galopante de l'économie chinoise sera peut-être l'argument le plus efficace du Président. Mais si les salariés américains risquent d'y laisser des plumes, Obama doit le reconnaître et s'expliquer plus clairement.

Ce blogue, publié à l'origine sur Le Huffington Post (États-Unis), a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Barack Obama 2009-2016

Les présidents américains de l'histoire

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.