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L'anti-campagne catalane

Le camp du Non a bien appris les leçons de l'Écosse et du Canada et utilise la peur comme principal argument : le président de l'Espagne menace de destituer les politiciens indépendantistes, les forces armées laissent planer la possibilité d'envahir la Catalogne, la presse espagnole attaque ouvertement l'école obligatoire en catalan et l'association des grandes banques menacent de déménager toutes les institutions bancaires au lendemain de l'indépendance.
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Admettons que vous êtes un touriste de passage à Barcelone, que vous êtes plus ou moins politisé et que vous ne parlez ni catalan ni espagnol. Vous ne saurez probablement pas que la Catalogne est en pleine campagne électorale. Pire, vous n'auriez pas l'impression que le pays pourrait être à quelques jours de déclarer son indépendance.

C'est le constat que je fais après trois jours passés dans la métropole, qui abrite près des deux tiers des citoyens catalans. Dans la ville, on ne croise personne avec un macaron de l'un des nombreux partis en élections, il n'y a aucune pancarte sur les poteaux et presque personne ne distribue de tracts. À part des affiches discrètes et des publicités sur les arrêts de bus, la campagne n'est pas visible.

D'une durée officielle de 15 jours, une campagne électorale n'est pas un moment fébrile comme on les connait au Québec. La véritable campagne, elle, a eu lieu bien avant, et elle n'a pas été menée par les partis politiques.

En effet, les partis politiques ne font que ramasser les fruits d'un dur labeur effectué par des associations de la société civile. Ces groupes (principalement Omnium cultural et Assemblea nacional de Catalunya) ont, ensemble, plus de membres que les trois partis indépendantistes réunis (CDC de centre-droit, ERC de centre-gauche et CUP de gauche radicale). Depuis plusieurs mois, ils organisent une campagne de masse intitulée Ara es l'hora (il est l'heure) où plus de 5000 bénévoles sont venus chaque semaine dans un centre d'appel ultramoderne pour tenter de gagner des centaines de milliers de Catalans aux vertus de l'indépendance.

C'est donc sans surprise que les dirigeantes - oui, deux femmes ! - de ces grandes organisations se retrouvent en tête de liste de la coalition électorale Junts pel si (ensemble pour le Oui). On ne sait pas si c'est la société civile qui s'est imposée aux partis politiques ou s'ils l'ont suppliée de se joindre à eux pour les élections.

Peu importe, l'effet est le même. L'arrivée des acteurs de la société civile a dynamisé la coalition du Oui, qui a pu recruter d'autres personnalités du milieu des arts, du cinéma et du sport professionnel.

Il semble que cette « départisanisation » de la question nationale ait son effet d'entrainement.

On peut croiser facilement des Catalans qui disent s'impliquer dans une campagne électorale pour la première fois à cause du caractère non partisan et ouvert de la coalition. En temps normal, il ne leur aurait pas passé par la tête de faire de même pour un parti politique, tout indépendantiste soit-il.

Le parti de gauche radicale indépendantiste, la CUP, n'a pas fait la même analyse. En refusant de faire alliance avec les deux autres partis, ils sont demeurés fidèles à leurs positions anti-austérité. Il est vrai que le gouvernement de Artur Mas (CDC), actuellement au pouvoir en Catalogne, a procédé à de douloureuses coupures en santé et en éducation.

À défaut de faire partie de la coalition du Oui, la CUP se rallie quand même à la feuille de route indépendantiste qui prévoit une période de transition de 18 mois après le vote, pendant lesquels le nouveau parlement catalan tentera de rédiger une nouvelle constitution et négocier la partition avec Madrid. De plus, en étant distincte de la droite indépendantiste, la CUP a les mains libres pour aller affronter son principal adversaire dans le champ gauche, PODEMOS, et sa proposition de réforme fédérale de l'Espagne. Pour l'instant, cette stratégie semble payante car selon les sondages, la CUP devrait plus que doubler sa députation le 27 septembre.

Pendant ce temps, le champ droit est encore plus morcelé. Quatre partis proposent le statu quo constitutionnel et deux autres partis présentent leur propre variante d'un fédéralisme renouvelé. Cette grande division est un détail, car le vrai camp du non est basé à Madrid. Le camp du Non a bien appris les leçons de l'Écosse et du Canada et utilise la peur comme principal argument : le président de l'Espagne menace de destituer les politiciens indépendantistes, les forces armées laissent planer la possibilité d'envahir la Catalogne, la presse espagnole attaque ouvertement l'école obligatoire en catalan et l'association des grandes banques menacent de déménager toutes les institutions bancaires au lendemain de l'indépendance. La peur fonctionne, après tout. Pourquoi réinventer la roue ?

Habilement, le premier ministre catalan Artur Mas a répondu cette semaine que si l'Espagne ne s'engageait pas à négocier la partition advenant un vote majoritaire pour l'indépendance, la nouvelle République de Catalogne laisserait l'Espagne s'arranger seule avec sa dette nationale.

Cette perspective pourrait fortement déplaire à l'Allemagne, qui détient une grande partie de l'énorme dette espagnole. Ne soyez donc pas surpris si jamais Angela Merkel figure parmi les premiers chefs d'État à reconnaitre la Catalogne libre.

Comme quoi, ici comme ailleurs, l'argent est le nerf de la guerre.

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