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Monsieur le premier ministre, comme plusieurs au Québec, je suis sidéré devant les décisions prises par votre gouvernement sous prétexte d'équilibrer le budget. Et j'ai peur que votre gouvernement soit en train de nous enfoncer dans la crise économique, sociale, politique.
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Monsieur le premier ministre,

Comme plusieurs au Québec, je suis sidéré devant les décisions prises par votre gouvernement sous prétexte d'équilibrer le budget. Et j'ai peur que votre gouvernement soit en train de nous enfoncer dans la crise économique, sociale, politique. Je crains qu'on ait à payer longtemps pour des décisions prises à courte vue dans la frénésie de l'obsession budgétaire et que votre gouvernement soit en train de risquer notre avenir collectif. J'en appelle donc à votre sens des responsabilités et, ce faisant, je me fais la voix de très nombreux Québécois.

Il y a deux façons d'atterrir sur la cible de l'équilibre budgétaire : un crash ou un atterrissage en douceur. Si vous persistez dans la voie de l'austérité, sans politique de soutien économique, ce sera le crash. Pour atterrir en douceur, il faut mettre un frein à la précipitation budgétaire en reportant d'un an l'atteinte du déficit zéro et lancer au plus tôt une politique de soutien à l'économie.

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Pour ce qui est de l'équilibre budgétaire, vous devriez cesser de perpétuer le mensonge du déficit imaginaire de 5,7 milliards que vous auriez à résorber. Cet épouvantail ne sert qu'à justifier une offensive de démantèlement de l'État. Comme l'a écrit Pierre Fortin : « Le déficit actuel équivaut à 0,25 % du PIB annuel du Québec. Il ne faut pas le traiter à la légère, mais il ne justifie en rien la panique, voire l'hystérie. En comparaison, le déficit budgétaire de l'Ontario, qui est sept fois plus important (1,75 % du PIB), est beaucoup plus préoccupant».

Vous pouvez vous laisser guider par l'orgueil politique, l'impératif partisan. Je suis, pour ma part, convaincu que les Québécois vous sauront gré de réviser vos objectifs à la lumière des circonstances actuelles. C'est ce que le gouvernement précédent a fait. Le ministre des Finances d'alors, Nicolas Marceau, a placé l'intérêt supérieur du Québec au-dessus de nos intérêts partisans en repoussant l'atteinte de l'équilibre budgétaire. Vous-même, alors chef de l'opposition, aviez affirmé à l'époque qu'il serait plus sage de reporter le déficit zéro et de l'étaler sur plusieurs années, avant d'être rabroué par vos députés mettant leur intérêt partisan au-dessus de tout.

Je n'hésiterais pas, pour ma part, à reporter l'atteinte du déficit zéro d'un an, jusqu'en 2016-2017. Cela vous donnera le temps de mettre en place une politique économique de soutien à nos entreprises en matière de productivité, d'innovation, de recherche. La croissance est au rendez-vous aux États-Unis et avec la baisse du dollar canadien, c'est le temps d'aider notre économie à en profiter. Si votre gouvernement est en panne d'idées, qu'il reprenne simplement la politique économie Priorité Emploi du précédent gouvernement, qui avait été saluée par tout le milieu économique.

Ce report d'un an vous donnera en outre le temps de bien évaluer les conséquences de chacune de vos décisions et d'entrer en dialogue avec la population. Un vrai dialogue, dans lequel la voix des Québécois sera entendue et écoutée.

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Depuis quelques mois, votre gouvernement a multiplié les annonces de compressions et de hausses de taxes et de tarifs. L'éducation, la petite enfance, la science, la recherche, le développement économique, tout y passe. Ce sont principalement les travailleurs et les familles de la classe moyenne, les commerçants, les PME et finalement, toute notre économie qui s'en trouvent ébranlés. Le résultat, c'est que les acteurs économiques ont le pied sur le frein. Un climat de morosité et d'incompréhension s'est installé si profondément que de nombreux économistes craignent désormais que la croissance économique ne soit plus au rendez-vous.

Cela signifie que les revenus ne seront pas au rendez-vous non plus et que, pour atteindre l'équilibre, vous serez obligé d'ajouter encore des compressions, ce qui ne manquera pas de nuire à la croissance.

Je parcours le Québec depuis des mois et j'entends partout les mêmes interrogations, la même incompréhension, le même climat d'inquiétude. En Abitibi, les gens qui s'occupent de l'essor économique de la région sont stupéfaits de vous voir leur enlever des mains leurs outils de développement. Les membres de la chambre de commerce et les syndicalistes parlent d'une même voix.

J'ai rencontré un néo-Québécois qui a choisi d'installer son commerce à Rouyn. Il est très fier d'avoir créé des emplois, de servir ses nouveaux compatriotes, de participer activement à l'économie, d'autant que ses affaires allaient bien jusque-là. Il me disait que, depuis que vous avez commencé à semer la crainte partout dans la société québécoise, son chiffre d'affaires avait diminué de 20%. Ses collègues entrepreneurs vivent la même situation. Nous entendons ces inquiétudes partout.

Les parents de jeunes enfants inquiets de ce qu'ils vont devoir payer pour les services de garde font attention à leurs dépenses. Même chose pour les enseignants, les infirmières, les employés de la fonction publique, les entrepreneurs. C'est toute la classe moyenne qui s'est mise en mode d'austérité forcée. Or, la classe moyenne, les petites entreprises, les entrepreneurs forment l'épine dorsale de notre économie, qui en souffre.

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Monsieur le premier ministre, profitez du temps des fêtes pour vous promener un peu et questionner les Québécois, les familles de la classe moyenne, les commerçants. Écoutez-les. Ils vont vous dire qu'ils souhaitent que nos finances soient équilibrées, mais pas n'importe comment, pas dans le désordre et l'improvisation, pas dans la précipitation, pas en affaiblissant l'économie, pas en appauvrissant la classe moyenne.

Je vous écris cette lettre avec Alain Therrien, député de Sanguinet, économiste de profession et entrepreneur de vocation. Pas une semaine ne passe sans qu'il ne reçoive les confidences d'un de ses confrères ou qu'il entende les cris du cœur de ses amis entrepreneurs. Il faut en finir avec ce climat, lui répètent-ils. Vous serez peut-être surpris d'apprendre que nombre d'entre eux sont des sympathisants du Parti libéral que vous dirigez. Et pourtant, ils ne vous suivent plus.

Si vous vous dites que ce que je raconte n'est qu'anecdotique, prenez le temps de lire les textes du prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, qui parle de l'austérité comme d'une idée toxique. Et si vous vous dites que ces économistes sont partisans, sachez que l'Association des économistes québécois a mené un sondage auprès de ses membres et qu'une forte majorité d'entre eux (68%) « ...jugent que le ministre des Finances devrait reporter son objectif d'équilibre budgétaire».

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Monsieur le premier ministre, vous pouvez bien sûr choisir de continuer à n'écouter que les chantres de l'austérité menés par Martin Coiteux. Vous pouvez perpétuer le mensonge de ce déficit imaginaire de 5,7 milliards de dollars qui vous sert de justification. Vous pouvez choisir la fuite en avant.

Ou bien, vous pouvez écouter la voix de nos commerçants, la voix des jeunes familles, la voix des travailleurs de la classe moyenne et celle de très nombreux économistes. Vous pouvez choisir la voix de la prudence, la voix de la prospérité, la voix de la raison.

Bernard Drainville, député de Marie-Victorin, avec Alain Therrien, député de Sanguinet

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