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La Russie à la mesure de sa démesure

Il ne sera pas toujours possible de remédier au recul économique des citoyens russes en satisfaisant leur ego par le biais d'interventions militaires qui montrent que la Russie a encore un rôle de superpuissance déterminant.
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De tout temps, la Russie a tenté de dépasser ses limites. On demanda un jour à la tsarine Catherine II pourquoi la Russie était en guerre avec la Prusse. «C'est très simple répondit-elle, car nous voulons tous deux la même chose... La possession de la Poméranie.»

Cette réplique dévoile les ambitions d'expansion russes après la victoire sur Charles XII de Suède au début du XVIIIe siècle, ambitions ravivées ensuite par la victoire du tsar Alexandre Ie contre Napoléon. Au siècle suivant, la Russie étendit son influence en direction de l'Asie et devint le plus grand pays du monde occupant près d'un sixième de la surface terrestre. Cette expansion territoriale se fit alors même que la Russie souffrait de nombreuses carences: la longévité moyenne était de 30 ans, soit près de 20 ans de moins qu'en Europe occidentale; seul le tiers de la population était alphabétisé. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la victoire de Staline sur Hitler se conclut par l'occupation de facto de l'Europe de l'Est et l'Union soviétique devint une superpuissance militaire* malgré les carences économiques graves du régime communiste soviétique.

Ce régime dictatorial s'est désintégré en 1991. Les pays de l'Europe de l'Est se sont tournés vers l'Occident et plus particulièrement l'Allemagne pour relancer leur économie. La Russie a grandement profité du cours élevé du Brent et a investi près de 50 G$ pour la tenue des Jeux olympiques d'hiver à Sotchi en 2014.

Toutefois, malgré la manne du pétrole, la libéralisation qui a suivi la chute du communisme n'a pas donné les résultats escomptés, tant elle est minée par l'oligarchie et la corruption. Or, une fois l'euphorie initiale passée, la Russie a ressenti comme une trahison le ralliement des pays de l'Europe de l'Est à l'Occident et à l'OTAN.

L'ambition de demeurer une superpuissance est toujours vive. Dans les années 90, des incursions militaires de petite envergure ont été initiées en Moldavie puis en Géorgie, faisant de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud un protectorat non reconnu au plan international. La dure répression de la révolution tchétchène a suivi.

L'annexion de la Crimée et le soutien indirect aux séparatistes ukrainiens ont été généralement bien perçus par le public russe, mais l'Union européenne a réagi en imposant des sanctions économiques. Six nouvelles bases militaires ont été construites dans l'Arctique. Enfin, la Russie s'est affirmée au grand jour comme grande puissance à la suite de son intervention en Syrie qui a sauvé le régime du président Assad et consolidé la présence militaire russe dans la base navale de Latakieh.

Or, les espoirs mis dans les bienfaits de la libéralisation de l'économie russe se sont estompés du fait des sanctions imposées par l'Union européenne et plus encore en raison de la chute du prix du pétrole d'une centaine à une trentaine de dollars le baril. Le produit national brut (PNB) russe est passé de 2 T$ en 2013 à 1.2 T$ en 2016. L'inflation est de l'ordre de 13% et le pouvoir d'achat ajusté à l'inflation a chuté de 9,5%. Le rouble a perdu 50% de sa valeur par rapport au dollar US. Les cerveaux et les capitaux russes fuient à l'étranger et les investisseurs hésitent à se mouiller en Russie.

Mis à part les ventes de pétrole et les taxes sur le pétrole qui comptent pour 50% des revenus, la vente d'armements est aussi une source de revenus importante. La Russie vient au deuxième rang dans la liste des exportateurs d'armes (23% du marché mondial en 2014 à comparer aux 37% pour les États-Unis). Les lacunes révélées lors de l'intervention militaire russe en Géorgie ont poussé le président Poutine à planifier un réarmement modernisé de l'Armée russe en y consacrant un investissement de 700 G$ étalé jusqu'en 2020. Mais la chute du prix du pétrole fait que la Russie ne peut plus respecter ce plan ambitieux. L'intervention russe en Syrie aura coûté près d'un demi-milliard de dollars, mais la démonstration de force russe a fait grossir substantiellement son carnet de commandes d'armements.

Il ne sera pas toujours possible de remédier au recul économique des citoyens russes en satisfaisant leur ego par le biais d'interventions militaires qui montrent que la Russie a encore un rôle de superpuissance déterminant. Le PNB russe est de l'ordre de 1,5% du PNB américain et la Russie ne peut rivaliser avec les États-Unis. Le rôle international de la Russie et la négociation d'un modus vivendi avec l'Ukraine ont besoin d'être redéfinis. La Russie qui jouit d'un excellent système d'instruction et d'un excellent niveau scientifique peut relever des défis qui peuvent dynamiser son économie. Toutefois, l'impasse économique actuelle ne pourra être dépassée sans l'implantation de réformes économiques profondes et d'un système gouvernemental imputable, ce sans quoi elle risquerait d'embourber le régime du président Poutine.

*Il faut préciser qu'il y eut cependant des revers militaires dans l'histoire russe: lors de la guerre de Crimée en 1853, de la guerre russo-japonaise de 1905, du retrait de l'Afghanistan en 1989 et de la perte de la mainmise sur les États de l'Asie centrale et ceux de l'Europe de l'Est après la dissolution de l'Union soviétique en 1991.

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