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La relation entre ma belle-fille et moi est-elle un combat?

La belle-fille. Voilà, c'est singulièrement plus facile d'être la belle-mère d'un garçon que d'une fille. Ou, pour le dire autrement : être la marâtre d'une jeune fille, c'est s'engager, malgré soi et à l'aveugle, dans un long combat.
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Après quelques billets décomplexants à destination des marâtres (ici, ici ... moi, monomaniaque?), j'ai pensé qu'il devait être possible d'aborder un sujet épineux sans que l'on m'instruise un procès en ressentiment. La belle-fille. Voilà, c'est singulièrement plus facile d'être la belle-mère d'un garçon que d'une fille. Ou, pour le dire autrement : être la marâtre d'une jeune fille, c'est s'engager, malgré soi et à l'aveugle, dans un long combat.

Ce n'est pas le folklore qui me contredira. Cendrillon, Blanche-Neige, Raiponce. Autant d'infectes marâtres, et autres ersatz de mères, qui martyrisent, torturent, humilient leurs innocentes belles-filles. Des combats à mort. En général, c'est la belle-mère qui y laisse ses plumes. On n'oublie pas que celle de Cendrillon est originellement condamnée à danser avec des souliers de métal en fusion jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Je propose de regarder le combat d'un autre œil. Celui de la méchante. Et quand on regarde les choses sous cet angle-là, ce que l'on trouve est loin d'être trivial : la belle-mère souffre.

En matière de beau-parentalité, je m'y connais (un peu). Comme de nombreuses filles et fils des années 80, j'ai eu ma dose de belles-mères en tant que fille de parents divorcés. Et je suis depuis 5 ans "marâtre" de deux enfants. G, 9 ans et E., 17 ans - deux enfants de deux mamans différentes. J'ai rencontré G. lorsqu'il avait 4 ans, et je vis depuis avec lui et son papa, puisque c'est lui qui en a la garde. Même si ce n'est pas de la tarte d'élever un enfant qui n'est pas le sien, de faire la mère sans l'être, ça va. Ce n'est pas trop difficile, à défaut d'être plutôt facile, parce que notre relation a l'évidence du quotidien. Parce que lorsque j'ai rencontré G. c'était un petit enfant angoissé qui avait besoin d'une paire de bras rassurants et de stabilité. Parce que c'est un garçon.

Rencontré suffisamment tôt, le bel-enfant n'est pas une espèce si redoutable que ça. On a tout le temps pour s'apprivoiser, s'apprécier, se découvrir, grandir ensemble. Et si le spécimen est de sexe masculin, c'est encore plus confortable pour nous, les marâtres. Pas de rivalité féminine, pas de jalousie autour du père.

La rivalité pour le père... il est là l'enjeu majeur du combat. Comme le dit justement la psychanalyste Catherine Audibert, dans son bienveillant Complexe de la marâtre, "Les schémas oedipiens qui existent déjà dans une famille normale - fille qui veut séduire son père, fils qui veut être aimé de sa mère - sont multipliés par dix dans une situation de famille recomposée". Voilà qui s'annonçait prometteur...

Avec E. ce fut donc une autre histoire. Une fille, ado, vivant avec sa mère. Avec seulement 14 ans de différence d'âge entre nous, tous les ingrédients semblaient réunis pour que ça capote dans les grandes largeurs.

De mon côté, c'est clair, j'appréhendais. Je cherchais ma place. Je n'avais pas de gamin, pas l'âge d'être sa mère. D'ailleurs la sienne me l'avait très bien fait comprendre - que j'étais trop jeune, trop immature, trop greluche pour mériter respect et considération de sa part. J'étais mal à l'aise. D'autant plus que devenir belle-mère d'une adolescente me replongeait 20 ans en arrière, dans des souvenirs pas toujours agréables, dans des conflits, des histoires moches, des abandons.

J'avais de la compassion pour l'ado qui m'évoquait ces années lointaines, et je m'étais juré de ne pas lui faire endurer ce que j'avais dû supporter. Je voulais être une belle-mère bienveillante, pas jalouse, qui ne demanderait jamais à son amoureux de choisir entre elle et ses enfants. Mais, au fond de moi et malgré ces bonnes intentions, j'avais peur de découvrir en elle une rivale. J'avais peur de rentrer dans la galère d'un complexe d'Électre mal (di)géré. J'étais d'autant plus intimidée par cette relation de rivalité potentielle que nos âges semblaient davantage nous rapprocher que nous installer dans des sphères indépendantes. Et j'imaginais d'autant plus facilement l'ado hostile envers l'intruse qui-a-quinze-ans-de-moins-que-papa, que je l'avais connue à l'époque la marâtre-décomplexée-qui-veut-faire-disparaître-les-gosses-de-son-mec. Bref, j'étais mitigée. Tout à la fois pleine de compassion et d'appréhension.

Et en effet ce n'était pas simple. Pas simple pour elle, pas simple pour moi. Son statut d'aînée configurait une relation très exclusive et pétrie de culpabilité avec son père -de cette culpabilité qui laisse tout passer, qui vous ôte la parole et vous confisque votre autorité. Elle, élevée comme une fille unique sans lui la plupart du temps, se retrouvait un week-end sur deux catapultée grande sœur d'une famille en voie de recomposition. Pas facile, dans ce contexte, de trouver sa place et de se construire, en particulier en ce champ de bataille émotionnel qu'est l'adolescence.

Malaise, sans doute, de l'aînée vis-à-vis de son petit frère qui pouvait profiter de son père au quotidien, lui. Prise de pouvoir de la fille dans la famille aussi. C'est une conséquence fréquente des séparations et divorces que de voir les enfants prendre le pouvoir (sans forcément le chercher consciemment) dans la famille décomposée, chercher à s'arroger une place d'adulte auprès du parent, abolissant ou renversant les hiérarchies. Occuper une place vide et sortir de son rôle d'enfant. Il y a mille et une manières de le faire - en se sentant responsable de son parent le plus faible, en nourrissant la nostalgie du couple de ses parents, en occupant de fait la place d'un conjoint auprès de son parent, etc.

J'ai fini par comprendre à force d'y être confrontée qu'il était assez commun que la belle-fille se comporte à la fois comme une toute petite fille très dépendante de ses parents, assez immature émotionnellement, et comme une adulte rivale. Alors de temps en temps, nécessairement, ça coinçait. Ce n'était pas sa faute, ce n'était pas à dessein, elle avait été élevée et avait grandi comme cela. Le problème évidemment est venu du fait que les circonstances, elles, évoluaient dans leur coin et que personne ne la préparait à les accepter sereinement.

Je passe sur la suite d'événements infortunés, de quiproquos, de non-dits qui ont précipité ma disgrâce. Pour la faire courte, nous avons eu une petite fille. J'avais imaginé ce bébé comme un petit bout de ciment qui souderait cette famille en devenir - je voulais tellement qu'elle existe, même balbutiante, même fragile. Mais ce bébé, en fait, s'est révélé être un explosif. La naissance de sa demi-sœur est devenue le drame de ma belle-fille, elle a ravivé des douleurs, et réveillé l'angoisse de n'être plus la seule fille dans la vie de son père.

Particulièrement mal gérée, cette crise s'est installée, a dégénéré, s'est gangrénée.

Pendant ma grossesse, et plus encore après mon accouchement, j'ai été désignée comme la mauvaise femme, avide, cupide, égoïste. J'étais devenue, à mon corps défendant, et sans rien y comprendre une marâtre de conte. J'avais commis une faute irréparable : j'avais eu un enfant.

Manuel d'auto-défense de la marâtre

Belles-mères, soyez donc vigilantes. Faites attention à vos belles-filles. Prenez-en soin, et prenez-soin de votre relation, car elle ne grandira pas sans attentions et efforts. Mais ne soyez pas naïves. Car cette relation est semée d'embuches. Ne vous méfiez pas de vos belles-filles comme individus, mais de la place qu'elles occupent dans la configuration familiale. De la même manière que je crois que nous, marâtres, sommes ambigües en raison du rôle que nous occupons, c'est-à-dire sans que nous y soyons pour rien en tant que personne, je pense que nos belles-filles sont ambigües structurellement. Rien à voir avec leur personnalité, mais avec la répartition des places dans le paysage familial.

C'est de nos interactions que jaillissent les étincelles. Nous nous modifions mutuellement, nous transformons nos comportements réciproquement. Il faut être vigilante donc. Bien répartir les rôles. Chacune à sa place. La femme, c'est la femme. La fille, c'est la fille. L'ex, c'est l'ex. Toutes gravitent autour du père, le désirant ou le détestant. Mais attention au mélange des genres. Ce n'est pas à l'ex de vous dire quoi faire à manger le soir. Ce n'est pas à la fille d'attribuer les chambres dans la maison. Ce n'est pas à la femme de décider de la scolarité de sa belle-fille. Les ennuis viennent souvent de ce que chacune cherche à sortir de son territoire légitime pour revendiquer plus que ce à quoi elle peut prétendre. Ne pas s'excuser d'être là, ou d'avoir fait irruption dans la vie de la jeune fille. C'est aussi inconfortable pour nous que pour elle. Ne pas surjouer la gentillesse, c'est suspect. Ne pas chercher à être aimée à tout prix, c'est tyrannique (et épuisant).

Une hypothèse pour finir. Peut-être que le moyen le plus sûr de se prémunir de l'ampleur du conflit c'est de ne pas lui résister, de ne pas fermer les yeux, d'assumer sa position. Prendre les coups pour ce qu'ils sont - dirigés non pas contre vous comme personne, mais contre votre rôle. Dépassionner le conflit, en quelque sorte.

Belles-mères nous sommes confrontées à un paradoxe insoluble - donner de soi sans aucune contrepartie et sans aucune attente raisonnable. Pas d'amour maternel, ni de notre côté ni du leur, auquel se raccrocher. Être belle-mère c'est créer, inventer à force de patience et d'efforts parfois intenses des relations qui peuvent se briser pour un mot. C'est nager, bien souvent, à contre-courant et en eaux troubles.

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