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Weight Watchers critiquée après le lancement d'une application de perte de poids pour ados

Des diététiciens croient que Kurbo pourrait encourager les enfants et les adolescents à développer une relation malsaine avec la nourriture.
Kurbo, mise sur pied par WW, est une application de perte de poids destinée aux jeunes âgés entre 8 et 17 ans.
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Kurbo, mise sur pied par WW, est une application de perte de poids destinée aux jeunes âgés entre 8 et 17 ans.

La compagnie anciennement connue sous le nom de Weight Watchers s’attire de nombreuses critiques, après avoir lancé la semaine dernière aux États-Unis une application s’adressant aux adolescents, qui encourage «une alimentation saine».

Kurbo, mise sur pied par WW, est une application de perte de poids destinée aux jeunes âgés entre 8 et 17 ans. L’entreprise affirme que son objectif est de réduire l’obésité chez les enfants et d’encourager une alimentation saine, mais plusieurs opposants doutent de l’efficacité de l’application. Et, plus important encore, elle enseignera aux enfants des idées erronées sur le poids et la santé, croient-ils.

L’application n’a pas encore été lancée au Canada, selon ce qu’a affirmé WW au HuffPost Canada dans un courriel. L’entreprise prévoit une expansion dans le futur, mais elle n’a pas encore fixé une date précise pour un lancement canadien.

«Les études montrent qu’une gestion du poids basée sur le comportement ne cause pas de troubles alimentaires. En fait, cela fournit aux enfants des outils pour faire des choix alimentaires équilibrés et contrôler leur poids de manière saine», a ajouté WW.

Le lancement de cette application aux États-Unis a suscité de vives réactions, notamment sur les réseaux sociaux, où le mot-clic #WakeUpWeightWatchers («Réveillez-vous, Weight Watchers») a rapidement émergé. Des internautes ont aussi lancé une campagne pour faire fermer cette application, et de nombreux experts en nutrition ont exprimé leurs réserves.

«La suggestion de montrer des photos ″avant″ et ″après″ la perte de poids d’un enfant est horrible. La prise de poids durant l’enfance et l’adolescence est normale et souhaitée. Si elle ne survient pas, il y a un problème médical», a écrit sur Twitter cette diététicienne.

Lisa Rutledge, une diététicienne agréée travaillant à Montréal, confie que sa première réaction lorsqu’elle a entendu parler de cette application a été «l’horreur».

«J’étais renversée que quelqu’un puisse penser qu’on doive imposer un régime alimentaire à des enfants», a-t-elle affirmé au HuffPost Canada.

Bien que l’application ait été conçue pour encourager des habitudes saines, selon Lisa Rutledge, «elle causera exactement le contraire», en incitant les enfants à devenir «hyper vigilants» à propos de ce qu’ils mangent, à catégoriser les aliments comme bons ou mauvais et à relier le concept d’être en santé directement au corps et au poids.

«Ça m’a choquée que quelqu’un puisse avoir pensé que c’était une bonne idée», résume-t-elle.

Comment ça fonctionne, Kurbo?

L’application n’interdit aucun aliment, les divisant plutôt en trois catégories.

Alors que l’application pour adultes inclut les calories et les quantités de protéines, de glucides et de gras contenues dans un aliment, Kurbo utilise plutôt un code de couleur basé sur celui des feux de circulation. Les aliments «verts» sont considérés comme «bons en tout temps»; alors qu’on devrait calculer les portions des «jaunes» et «s’arrêter pour réfléchir» avant de consommer «les rouges».

Screenshot / Kurbo by WW

Le système des feux de circulation «est parmi les outils les plus efficaces et documentés pour aider les enfants et les adolescents à intégrer de saines habitudes alimentaires», a répondu WW au HuffPost Canada, ajoutant que cela s’appuie sur des recherches du Stanford’s Pediatric Weight Control Program. L’application offre également l’option d’un mentorat virtuel.

Pourquoi tant de personnes sont-elles craintives?

De nombreux experts ne croient toutefois pas que ce système de feux de circulation est un outil sain pour aider les enfants à réfléchir à la nourriture. Des organismes aidant les personnes avec des troubles alimentaires avancent que les régimes et les diètes sont souvent le point de départ de ces comportements problématiques.

Une étude réalisée en 2016 par l’American Academy of Pedatrics a démontré que les adolescents qui suivent une diète ne sont pas plus en santé. En fait, les diètes sont si inefficaces que les filles qui en ont suivi une en neuvième année (l’équivalent de la troisième secondaire) sont trois fois plus à risque d’être en surpoids, rendues en douzième année (cinquième secondaire) que celle qui n’en ont pas suivie. Et ce n’est pas tout: les adolescentes qui ont suivi un régime à un niveau «modéré» sont 5 fois plus à risque de développer un trouble alimentaire, alors que celles qui se restreignaient sévèrement sont, elles, 18 fois plus à risque.

«Notre corps ne peut pas être conditionné à manger moins», affirme Lisa Rutledge, soulignant que c’est pour cette raison que les diètes échouent lamentablement.

«Si on mange trop peu de calories, ce n’est pas soutenant, et on va éventuellement reprendre ce poids pour de nombreuses raisons psychologiques et physiologiques», ajoute-t-elle.

Au Canada, le Centre national d’information sur les troubles alimentaires a aussi condamné cette application, en écrivant sur Twitter que «les enfants méritent mieux que d’être culpabilisés sur leurs poids par des multinationales».

La recherche démontre que les diètes pavent souvent la voie à des troubles alimentaires chez les adolescents.
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La recherche démontre que les diètes pavent souvent la voie à des troubles alimentaires chez les adolescents.

Un autre problème soulevé à propos de cette application est qu’elle ne semble pas en phase avec la façon dont les enfants et les ados pensent, selon Lisa Rutledge.

«Les enfants ne pensent pas comme les adultes, explique-t-elle. Pour eux, les choses sont noires ou blanches. Un aliment catégorisé «jaune», c’est vraiment dur pour eux de comprendre ce que ça veut dire.»

Cela va inévitablement entraîner les jeunes qui utilisent cette application à catégoriser les aliments comme «bons» ou «mauvais», selon la quantité de calories qu’ils contiennent. Cela n’est pas une manière saine de considérer la nourriture, pour n’importe qui, mais surtout pour des enfants qui n’ont pas fini de grandir, souligne la diététicienne.

«Les enfants doivent prendre du poids pour être en santé, rappelle-t-elle. Et quand on encourage des enfants en pleine croissance à manger moins que ce dont ils ont besoin, on encourage en fait un retard de croissance. On leur impose une relation malsaine avec la nourriture, alors que leur corps va continuer de croître de toute façon.»

Cette idée de voir la prise de poids comme étant problématique est nocive, même lorsque c’est relié à la santé, ajoute-t-elle: «Notre société est tellement grossophobe qu’on a maintenant peur que nos enfants prennent du poids.»

Une approche plus saine

Ce dont les enfants ont besoin pour être en santé, selon Lisa Rutledge, c’est d’affiner leurs intuitions par rapport à la nourriture. Nous naissons tous avec un instinct naturel qui nous dicte quand nous avons faim et lorsque nous devons arrêter de manger. Ce sont les messages externes qui nous font douter de ces instincts et nous amènent à nous conformer à des descriptions rigides de ce qu’est une «alimentation saine», explique la diététicienne.

Expliquer aux enfants comment les aliments les font sentir est une manière saine d'encourager de bonnes habitudes, selon la diététicienne Lisa Rutledge.
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Expliquer aux enfants comment les aliments les font sentir est une manière saine d'encourager de bonnes habitudes, selon la diététicienne Lisa Rutledge.

Selon elle, une meilleure façon d’aborder la question serait de faire comprendre aux enfants comment ils se sentent quand ils mangent certains aliments.

«Expliquer aux enfants d’où proviennent les aliments, leur faire explorer différents types de saveurs, de textures, préciser si cet aliment pousse dans la terre ou dans un arbre, ou s’il provient d’un animal»... voilà des façons «neutres» pour les enfants de réfléchir à la nourriture et de faire des liens avec la santé, précise Lisa Rutledge.

Être du côté des intimidateurs

Évidemment, tous les parents veulent que leurs enfants soient en santé, et personne ne veut qu’un enfant soit intimidé en raison de son poids, reconnaît la diététicienne.

«Mais quand on dit à un enfant: ″Nous allons contrôler ton poids, nous allons t’aider avec ta faim, nous allons t’aider à réduire ton poids pour que tu ne te fasses pas intimider″, en réalité, on se met du côté des intimidateurs», croit-elle.

Bien manger est important, mais nous devons comprendre que cela n’est pas toujours relié directement au poids de quelqu’un, ajoute-t-elle.

«Il existe plusieurs facteurs qu’on ne peut pas toujours contrôler qui déterminent la taille de notre corps. Ce qu’on mange n’est qu’une très, très petite partie des causes de notre grosseur.»

Lisa Rutledge précise qu’une grande partie de son travail consiste à aider les personnes aux prises avec un trouble alimentaire résultant de cette «culture de la diète». Elle est habituée de rencontrer des adultes avec des problèmes de ce genre. Mais les enfants, c’est une tout autre affaire, dit-elle.

«WW a un comportement de prédateur envers les enfants, des personnes très vulnérables, des éponges absorbant tous ces messages de la culture de la diète... qui seront très dommageables et difficiles à défaire plus tard, lorsqu’ils voudront être réellement en santé.»

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l’anglais.

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