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De caporale dans l'armée à sexologue des laissés-pour-compte

Kanica Saphan voit son parcours de «mouton noir» comme un atout pour accompagner des communautés rarement desservies par les sexologues.
Kanica Saphan, sexologue
Courtoisie
Kanica Saphan, sexologue

À 16 ans, elle faisait son entrée dans les Forces armées canadiennes. Aujourd’hui, elle est sexologue et aide de nouveaux arrivants à comprendre les subtilités de la société québécoise. Kanica Saphan a un parcours hors du commun, mais une chose l’a toujours guidée: sa curiosité et sa fascination pour l’être humain dans toute sa complexité.

Sa première carrière, elle l’a débutée alors qu’elle était adolescente, et aujourd’hui, la Montréalaise d’origine cambodgienne se demande ce qui lui est passé par la tête à l’époque. «C’est un milieu tellement hostile pour les femmes», raconte celle qui a conclu ses cinq ans dans l’armée avec le grade de caporal. Aujourd’hui, je me demande comment j’ai fait ça. Voir que je suis entrée dans l’armée à 16 ans, voyons donc!», s’exclame la jeune femme, qui estime tout de même que son expérience dans ce milieu d’hommes a été très formatrice.

Kanica Saphan lorsqu'elle était dans les Forces armées canadiennes.
Courtoisie/Kanica Saphan
Kanica Saphan lorsqu'elle était dans les Forces armées canadiennes.

Puis, à 22 ans, Kanica a senti qu’elle avait fait le tour et a décidé de retourner aux études. Encore une fois, elle prend une décision un peu sur un coup de tête, sans se douter de ce qui l’attend. «Je pensais que [la sexologie], c’était le sexe et l’amour!, se souvient-elle en riant en pensant à sa naïveté de l’époque. Je suis tellement chanceuse, je suis tombée sur un domaine dans lequel je peux m’épanouir et où j’ai plein d’opportunités.»

La jeune thérapeute explique qu’encore aujourd’hui, le rôle des sexologues est bien méconnu. «Quand les gens entendent “sexologue”, ils entendent juste le mot sexe et pensent à la chambre à coucher. C’est tellement plus vaste que ça. Ça inclut aussi la façon dont on entre en relation, les enjeux sociaux, culturels, éthiques, les rapports homme-femme. C’est super large», explique-t-elle, mentionnant que l’aspect sociologique de la sexualité est ce qui l’intéresse particulièrement.

Kanica a grandi à Brossard - où il y a une importante communauté asiatique - avec ses parents, des réfugiés qui ont fui le régime des Khmers rouges. Elle affirme que c’est seulement à son arrivée à l’université, à 22 ans, que le fait d’être une Asiatique au Québec a pris un tout autre sens.

«C’est la première fois que j’étais une minorité visible. J’ai grandi entourée d’immigrants de première et de deuxième génération comme moi», raconte celle qui, entourée de futures thérapeutes blanches, s’est mise à penser que son bagage lui permettrait d’intervenir auprès d’une population peu prisée par ses consoeurs: les immigrants et les réfugiés.

«Une personne [avec le vécu de] mon père n’irait pas consulter Jocelyne de Longueuil», avance Kanica. Elle affirme que son expérience de vie lui permet de saisir des subtilités qui pourraient échapper à des sexologues blanches. «Si on dit que les émotions, c’est des palettes de couleur, je suis chanceuse, je me dis que j’ai peut-être 20 couleurs tandis que d’autres en ont 15. Je ne dis pas que mes couleurs sont les mêmes que celles des clients avec qui je travaille, mais il y a des nuances que j’ai acquises à travers mes expériences et les populations que j’ai côtoyées», illustre celle qui a voyagé dans une trentaine de pays.

Kanica, comme la majorité des professionnels dans son domaine, oeuvre comme thérapeute au privé - elle a fondé son cabinet, le Sofa sexologique - mais l’autre partie de son travail consiste à donner des ateliers et des conférences sur l’intégration au Québec aux immigrants. Au menu: discussions sur la séduction, le divorce, l’avortement, la diversité sexuelle, la contraception, l’égalité homme-femme...

«Ils peuvent arriver ici et penser que la femme domine, qu’elle détient tous les pouvoirs», donne-t-elle en exemple, insistant pour dire qu’il faut toutefois faire attention de ne pas mettre tous les nouveaux arrivants dans le même panier. «On est plus avancé que dans d’autres pays, mais c’est encore le patriarcat ici. Quand on regarde les PDG, les dirigeants de banques, les militaires, les politiciens, c’est encore majoritairement des hommes.»

Dans la foulée des dernières vagues de dénonciations d'agressions sexuelles, Kanica Saphan a décidé d'organiser des conférences sur le thème du consentement destinées aux militaires, une clientèle qu'elle connait bien.
Courtoisie/Kanica Saphan
Dans la foulée des dernières vagues de dénonciations d'agressions sexuelles, Kanica Saphan a décidé d'organiser des conférences sur le thème du consentement destinées aux militaires, une clientèle qu'elle connait bien.

Sans vouloir leur imposer une façon de penser, Kanica les sensibilise aux réalités de leur pays d’accueil, notamment en matière de diversité sexuelle. «Il y en a qui pensent que l’homosexualité c’est une maladie et que ça s’attrape. Au Canada, on accepte la diversité sexuelle de la même façon qu’on accepte la diversité culturelle. Vivre et laisser vivre, tout le monde a droit à son propre bonheur. Je leur dis qu’ils ont le choix de l’ignorer ou de s’adapter, parce que leur enfant vit dans cette société-là.»

En tant que fille de réfugiés, la jeune sexologue estime qu’elle peut transmettre quelque chose de précieux à cette clientèle. «Il y en a beaucoup d’entre eux qui sont venus ici pour donner une meilleure vie à leur enfant. Je suis devenue une citoyenne active du Québec, je symbolise un petit peu l’intégration réussie. Ils peuvent voir que malgré l’adversité qu’ils vont traverser et tous les sacrifices qu’ils ont faits, ça peut porter fruit, ça va valoir la peine», observe Kanica.

La sexualité pour tous

Toujours motivée à partager son savoir à des groupes qui ont moins facilement accès à des initiatives d’éducation sexuelle, la Kanica propose aussi des conférences aux aînés; leur faire comprendre qu’eux aussi ont droit à une sexualité lui tient à coeur. Même s’ils ne verbalisent que rarement leur intérêt, elle sait très bien qu’elle répond à un besoin.

«Ils arrivent, me regardent, ils ne disent rien, mais ça se voit qu’ils ont juste hâte, ils avalent ce que je dis. Ils écrivent leurs questions sur un papier, comme “est-ce que c’est correct si mon mari est décédé et que j’ai encore une vie sexuelle?” Après les conférences, ils viennent me voir individuellement et me disent que ça n’existait pas [la sexologie] dans leur temps et qu’ils avaient besoin de ça», raconte Kanica, touchée.

“Je suis [comme un] mouton noir et j’espère frayer le chemin pour d’autres pour qu’il y ait des milieux moins associés à un groupe majoritaire.”

- Kanica Saphan

Quand elle pense à son incursion dans l’armée à un jeune âge et entourée d’hommes, aux défis auxquels elle est confrontée en tant que sexologue et entrepreneure issue de la diversité, Kanica estime qu’elle s’est toujours un peu retrouvée là où on ne l’attendait pas «Je suis [comme un] mouton noir et j’espère frayer le chemin pour d’autres pour qu’il y ait des milieux moins associés à un groupe majoritaire.»

Et la thérapeute, que l’on pourra d’ailleurs voir comme collaboratrice à «La semaine des 4 Julie» se considère chanceuse que sa pratique lui permette de partager son savoir et son vécu à des populations parfois oubliées; parce qu’après tout, la sexualité sous toutes ses formes concerne absolument tout le monde.

«À un moment donné, je me suis retrouvée, la petite Asiatique francophone, à parler de sexualité à un club social d’aînés caribéens anglophones de Montréal. Il y a quelques années, tu n’aurais jamais imaginé ça. On est tellement chanceux d’être rendu à cette époque.»

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