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«Jouliks», de Mariloup Wolfe, accusé de faire l'appropriation culturelle

«On a été assez choqués. Tous les stéréotypes sur les Roms étaient véhiculés. On leur a fait part de nos inquiétudes», affirme la fondatrice de l'organisme Romanipe.
Lilou Roy-Lanouette, dans le rôle de Yanna, dans le film «Jouliks», réalisé par Mariloup Wolfe
Les Films Vision 4
Lilou Roy-Lanouette, dans le rôle de Yanna, dans le film «Jouliks», réalisé par Mariloup Wolfe

Le film Jouliks n’est pas encore à l’affiche, mais il fait déjà réagir. Le long métrage réalisé par Mariloup Wolfe et scénarisé par Marie-Christine Lê-Huu, qui sortira vendredi, est critiqué par certains Roms qui l’ont visionné et en ont lu le scénario, puisqu’il diffuse plusieurs stéréotypes, selon eux. La réalisatrice affirme de son côté avoir fait plusieurs concessions.

Le nomadisme comme synonyme de liberté, une femme ayant tout du look d’Esmeralda en train de danser devant un feu, une fillette que le père refuse de coiffer et de scolariser... Selon Dafina Savić, la directrice et fondatrice de Romanipe, un organisme de défense des droits de la personne des populations roms basé à Montréal, on retrouve dans le film de nombreux clichés qu’on entretient à propos des Roms. Jusqu’au titre, un mot russe signifiant «voyou» et utilisé comme insulte pour définir les Roms.

«On a été très déçus», résume Dafina Savić.

D’autant plus qu’elle et sa soeur ont eu l’occasion d’avertir l’équipe de production du film, avant qu’il ne soit tourné. Dafina affirme que l’équipe a contacté son organisme pour qu’il lui réfère des acteurs roms, peu avant le tournage, à l’été 2018 (juste avant que le scandale de Slav n’éclate et que les mots «appropriation culturelle» soient partout). Elle a d’abord voulu lire le scénario.

«On a été assez choqués. Tous les stéréotypes sur les Roms étaient véhiculés. On leur a fait part de nos inquiétudes. On leur a dit: on ne peut pas vous référer des acteurs, dans l’état actuel du scénario, ce n’est pas quelque chose qu’on peut endosser. Par contre, si vous êtes prêts à faire des changements, on peut vous accompagner.»

«Il y a eu très peu de volonté de faire des changements de leur part, continue Dafina. Ils nous ont répondu qu’au nom de la liberté artistique, ils n’étaient pas prêts à faire des concessions. Alors on leur a conseillé fortement de retirer toutes les mentions roms. Et on n’a pas eu de nouvelles depuis.»

“On a eu un dialogue, on a fait des changements, on a été très ouverts. Mais ce n’était pas assez.”

- Mariloup Wolfe

En entrevue avec le HuffPost Québec, Mariloup Wolfe s’est dite «peinée» d’apprendre la réaction de Dafina Savić.

«On a eu un dialogue, on a fait des changements, on a été très ouverts, affirme la réalisatrice. Mais ce n’était pas assez. Quand on a compris qu’on n’allait peut-être pas s’entendre, on s’est dit que le mieux était de retirer certaines connotations à la communauté rom. Et c’est ce qu’on a fait, ça n’existe plus dans le film.»

«Pour moi, c’est un conte pour adultes, ajoute-t-elle. Ça se passe dans les années 1970, dans le temps des valeurs hippies.»

Pourtant, selon Dafina Savić, les références culturelles aux populations roms sont encore très présentes et très reconnaissables, dans le film.

«La musique... c’est une chanson traditionnelle rom, très reconnaissable, donne en exemple Dafina. On fait jouer les enfants avec des cartes de tarot, le personnage du père travaille le métal, un métier traditionnel des Roms...»

«Ce ne sont que deux scènes»

Pour Mariloup Wolfe, il est important de préciser que l’histoire du film ne tourne pas autour de l’identité rom.

«C’est l’identité qu’on donnait au personnage de Zak, au départ. On l’a enlevée. Mais il faut faire la différence entre la représentation d’une communauté et un personnage. C’est une histoire d’amour. L’histoire est sur le personnage, qui est confronté aux valeurs de son amoureuse. Ce sont deux personnes élevées de façon différente, qui élèvent leur enfant différemment, dans la marge. Ce n’est pas parce qu’ils choisissent de ne pas l’envoyer à l’école que ça représente la communauté rom.»

Cette particularité a pourtant choqué Dafina Savić, d’origine serbe, alors que ses parents ont choisi le Canada justement pour que leurs enfants puissent étudier... et que dans certains pays d’Europe, les enfants roms subissent encore beaucoup de persécution.

“C’est blessant. Et sincèrement, c’est un manque de respect. Mais c’est plus que ça. Il y a des impacts réels pour les populations roms.”

- Dafina Savić

«Les familles se battent pour que leurs enfants soient scolarisés. En Hongrie, les enfants sont presque automatiquement placés dans des institutions pour les personnes ayant des troubles mentaux... Parce qu’on suppose que les Roms ne veulent pas éduquer leurs enfants.»

«Il faut resituer que ce ne sont que deux scènes sur 120, dans le film, précise Mariloup Wolfe. La première, c’est Zak qui retourne dans sa famille avec sa fille. Et l’autre, c’est une fête, un feu de camp, avec des personnages qui dansent et font la fête autour de roulottes. J’ai l’impression que c’est cette image-là qui est un peu clichée… mais est-ce que c’est une image clichée qui n’a jamais existé? Est-ce que c’est vraiment une erreur, alors que le film se déroule dans les années 1970?»

Mais ce genre de clichés fait mal, encore aujourd’hui, selon Dafina Savić.

«C’est blessant. Et sincèrement, c’est un manque de respect. Mais c’est plus que ça. Il y a des impacts réels pour les populations roms. Par exemple, ça renvoie l’image que les Roms sont un peuple nomade. Alors que dans les faits: 90% des Roms sont sédentaires. Et cette perception a donné lieu à des politiques discriminatoires, un peu partout dans le monde.»

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