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Les jeunes et la pandémie: le désespoir de l'inertie

Aujourd'hui, quand on dit à nos enfants: «plus d'amis, plus de sorties», c'est comme si on leur enlevait leur raison d'être, qu’on leur coupait l’oxygène.
Thanasis Zovoilis via Getty Images

C’était au mois de mars, avril peut-être. L’époque qu’on appelle maintenant «la première vague». J’étais dans la cuisine, la radio allumée, quand j’ai entendu pour une première fois l’annonce qui sera martelée sur toutes les chaînes de radio pendant les quatre prochains mois: «Je reste à la maison. Je joue à des jeux vidéos. Je sauve des vies.»

J’ai failli m’étouffer avec mon café.

Pardon?

Avertissement: je ne suis pas une covidiote, ni une complotiste. Je comprends que nous sommes en pandémie, qu’il faut suivre les consignes sanitaires afin de freiner la transmission de la COVID-19. Mais là, que le gouvernement fasse une fausse équivalence entre jouer aux jeux vidéos et sauver des vies - on est à un tout autre niveau de dissonance cognitive. C’est comme si nous avons collectivement perdu nos moyens.

Déjà il faut être un peu marginal, c’est-à-dire, remettre constamment en question ce qui nous est présenté comme étant normal, pour lutter contre la place grandissante des technologies dans la vie des jeunes (et dans notre vie à nous tous), et vouloir laisser ses enfants découvrir librement leur environnement par essai-erreur - et risque d’accident - au contraire des parents-hélicoptère. Et comment résister à l’énorme attractivité pour les jeunes du monde virtuel par rapport à des activités fades de lecture, de conversation, de jeu réel?

(Pour ceux qui n’ont pas encore écouté le documentaire «The Social Dilemma», je vous encourage à le faire. Et à vous interroger sur nos choix de société.)

Quand le collège privé de notre fils a annoncé qu’ils allaient eux aussi adopter la tendance iPad en remplaçant les manuels scolaires par ces tablettes numériques, j’étais la première à signaler mon opposition. Un écran reste un écran; la technologie qu’on emploie pour accéder à l’information n’est aucunement interchangeable ni anodine - Marshall McLuhan nous l’annonçait déjà à l’ère de la télévision: The medium is the message. Or, remplacer les manuels scolaires par des tablettes a pour finalité globale plus de temps d’écran pour l’élève, une plus grande tentation à la distraction, et surtout une submersion de plus en plus profonde dans un monde technicisé.

“J'ai lutté toute ma vie de parent pour que nos enfants soient dans le monde et non pas hors du monde, qu'ils soient dehors et non pas devant les écrans, qu'ils socialisent en vrai plutôt qu'en virtuel.”

Et puis, pas le choix: dans cette première vague, maintenant lointaine, le confinement nous gardait tous rivés à nos écrans pendant de longues heures à tous les jours, la salle de classe et le bureau enfin sublimés dans des rencontres à distance sur plateformes virtuelles. L’éducation? En ligne. Le travail? En ligne - pour ceux qui ne sont pas sur les lignes de front des travailleurs essentiels! Le divertissement? La vie sociale? Aweille donc, en ligne!

Je comprends qu’il faut rester chez soi. Mais j’ai lutté toute ma vie de parent pour que nos enfants soient dans le monde et non pas hors du monde, qu’ils soient dehors et non pas devant les écrans, qu’ils socialisent en vrai plutôt qu’en virtuel. Alors j’ai une tristesse profonde à m’entendre répéter les consignes du gouvernement: pas d’amis, pas de sorties, restez devant vos écrans.

Que le gouvernement nous impose des restrictions sanitaires, soit. Il a le devoir moral de protéger la santé publique. Qu’il encourage les jeunes à se consacrer aux jeux vidéo, avec en plus des félicitations pour leur geste qui «sauve des vies»? Je rejette ce message anti-humaniste. Le sacrifice de la jeunesse à la technologie sur l’autel de la longévité n’est pas un choix moralement défendable.

“«Je joue à des jeux vidéos, je sauve des vies» n’est pas un message acceptable, c’est une sentence de mort de l’âme.”

Vous souvenez-vous de vos 16 ans? Vos premières amours, les émotions fortes, les amitiés vitales, les passions palpitantes?

Aujourd’hui, quand on dit à nos enfants: «plus d’amis, plus de sorties», c’est comme si on leur enlevait leur raison d’être, qu’on leur coupait l’oxygène. «Je joue à des jeux vidéos, je sauve des vies» n’est pas un message acceptable, c’est une sentence de mort de l’âme.

Suivons les consignes sanitaires. Portons le masque, restons à la maison. Mais soyons sensibles aux sacrifices qu’on demande à notre société, et à leur impact, surtout sur notre jeunesse.

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