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Je vais te dire pourquoi je le fais pour moi

Imagine que demain, ta vie se retrouve suspendue à un fil, et que pour te rattraper, il faut couper le fil de l’autre.
Virojt Changyencham via Getty Images

Je vais te dire pourquoi je le fais pour moi.

Ce qui est difficile, c’est qu’on nous demande de faire les efforts pour les autres, pis c’est là qu’on se dit qu’on est en sécurité, parce qu’on est jeune, en santé, en forme, et ça fait qu’on a moins envie de se priver. Tout ça fait appel à notre générosité, notre empathie, pis c’est là que ça devient moins motivant.

Si t’as un effort de plus à donner, comme un genre de drive qui viendrait soudainement soulever l’envie de donner au suivant, ben c’est maintenant. Si t’en laissais passer un peu de temps en temps, pis que tu cherches déjà comment contourner les mesures comme le couvre-feu, faudrait que, drette là, tu commences à penser autrement. On a tous triché un peu, juste une petite heure, juste un ami ou deux, mais aujourd’hui, on est ailleurs.

Là, tu vas te demander je suis qui et je sors d’où avec mes grands discours. Tu vas pas penser que je prends mes infos dans les médias, ben non, tu vas penser que je pose mes questions à Siri, je parle pas à Siri. Je suis personne, ni infirmière ni dans le milieu des statistiques, j’ai pas d’actions dans les compagnies pharmaceutiques. Je suis comme toi, je suis tannée pis j’ai hâte que ça finisse, moi aussi je m’ennuie.

“J’ai compris que mon choix de me priver ou non aura un impact sur la vie d’un autre, comme si mon battement d’ailes provoquait un tsunami dans une autre vie.”

J’ai compris de quoi différemment pis depuis ce moment-là, tout a changé, parce que c’est comme si maintenant je le faisais pas pour le gouvernement ou pour aider les autres, c’est comme si maintenant je le faisais pour moi.

Je t’explique.

J’ai compris que mon choix de me priver ou non aura un impact sur la vie d’un autre, comme si mon battement d’ailes provoquait un tsunami dans une autre vie.

J’ai compris vraiment quand on m’a dit que bientôt, si ça ne va pas en s’améliorant, si j’ai un grave accident d’auto, mettons, on devra débrancher quelqu’un pour me soigner moi, parce que je suis jeune, en santé, pis en forme. Moi je serai là, inconsciente, souffrante, toute brisée, j’entendrai ma famille qui braille pis juste un peu avant, pendant qu’on opérait mes différents traumas, des gens auront sorti le document qui permet de sélectionner le patient qui sera débranché, POUR MOI.

Ouin, pendant que je serai sur la table d’opération, quelqu’un que je connais pas recevra un appel qui l’informera que sa mère avait la plus courte paille.
Un seul code, deux petits chiffres, une autorisation de prendre la vie avant son temps,

Shit.

J’aimerais ne pas avoir ça sur ma conscience, j’aimerais ne pas m’endormir le soir en me demandant si j’ai contribué en me permettant une petite heure, un ami ou deux, peut-être que si j’avais pas choisi de l’échapper des fois, juste un peu, une heure ou deux, personne n’aurait à payer ce prix pour ma vie.

“J’ai compris que des gens que je connais même pas étaient accrochés après moi.”

La vie continue, c’est plein d’imprévus. Imagine que demain, ta vie se retrouve suspendue à un fil, et que pour te rattraper, il faut couper le fil de l’autre. Comme dans les films d’escalade quand ça va pas ben pis que le gars qui se retient à une paroi fait volontairement tomber celui qui se tient après lui pour pouvoir se remonter sans crever.

J’ai compris que des gens que je connais même pas étaient accrochés après moi. Je voudrais pas que pendant que je suis chez nous avec un ami ou deux, juste une heure ou deux, des gens soient débranchés contre leur volonté pis celle de leur proche.

PARCE QUE C’EST DRETTE LÀ QU’ON S’EN VA.

Comme toi, je sais pas si on va en arriver là, mais j’me dis pourquoi prendre une chance. Alors j’ai décidé de me priver pour moi, pour ma conscience, pour mon karma. J’ai décidé de contribuer, pour que si j’ai un accident pis que je me retrouve aux soins intensifs, personne payera de sa vie pour que moi, je poursuive la mienne.

“Les médecins étudient pour sauver des vies, ils veulent pas choisir qui devra partir.”

Les documents sont prêts, rédigés, tout y est, chaque établissement est sur le qui-vive, en alerte, ils veulent tellement laisser ce document-là sur une tablette. Les médecins étudient pour sauver des vies, ils veulent pas choisir qui devra partir. Ça se peut que tu penses que ça ferait du bien de purger les plus malades pis les plus vieux, ben moi je suis pas là, sorry.

J’ai pas le contrôle sur ce qui pourrait m’amener aux soins intensifs, mais j’ai un peu de contrôle sur le fait que tu perdras pas ta mère parce que moi j’arrive. Je veux faire en sorte qu’on sera, elle et moi, voisines de chambre, qu’on aura de la place, ensemble. J’aimerais mieux la regarder rentrer chez elle pis lui souhaiter bonne chance, plutôt que savoir que t’es en deuil parce qu’on a dû mettre fin à sa vie pour me donner son lit.

Ça, non merci, je porterai pas le poids de me demander si juste une p’tite heure, un ami ou deux, aurait fait la différence, je veux pas ça sur ma conscience.

C’est pour ça que je le fais, parce que dans les films, quand on sacrifie l’un au profit de la survie de l’autre, ben je braille, pis j’aime pas jouer à la courte paille.

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