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Je ne veux pas d’enfants et je suis lasse d’expliquer mes raisons

J’apprends progressivement que je n’ai pas à me justifier. Demande-t-on à une mère d’expliquer pourquoi elle a des enfants?
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«Je ne veux pas d'enfants.»
Luis Alvarez via Getty Images
«Je ne veux pas d'enfants.»

On me fait le coup depuis mes 25 ans: vers le troisième dimanche de mai, les inconnus qui me croisent dans la rue me saluent d’un «Joyeuse fête des mères!» des plus respectueux.

Les premiers temps, j’étais perplexe. J’étais tentée d’aborder ces personnes et de leur expliquer ce qu’elles ne pouvaient savoir: je n’ai pas d’enfants. Être saluée de la sorte pour une fête qui ne m’était pas destinée me semblait blasphématoire. Et puis, depuis dix ans, j’ai appris à goûter ces petits moments de bienveillance. Je souris, les remercie et poursuis mon chemin.

Pourtant, je ne veux pas d’enfants.

J’ai peu à peu commencé à évoquer publiquement ce choix personnel. Quand on me demande si j’ai des enfants, je ne me contente plus de répondre par la négative. J’ajoute que je n’en veux pas. Parfois, je soulève moi-même la question lors des conversations sur ce qu’on veut dans sa vie.

Je suis davantage sûre de moi et n’éprouve plus le besoin de contraster d’un: «Un jour, qui sait…» Surtout, j’apprends progressivement que je n’ai pas à me justifier. Demande-t-on à une mère d’expliquer pourquoi elle a des enfants?

À quelques exceptions près, et même avec mes proches, la réponse la moins hostile que j’obtiens est excessivement polie, un petit toussotement, un rire mal à l’aise, quelques battements de paupières et on passe à un autre sujet.

Mais les gens sont souvent moins délicats. Tout de suite, j’observe un changement de ton, que ce soit dans leur voix ou dans notre relation. Parfois, on s’interroge. On dirait qu’ils ne savent tout simplement pas quoi penser d’une personne – surtout d’une femme – qui ose dire ça.

«Cette importance culturelle et individuelle accordée à ma maternité me frustre beaucoup.»
Carlos G. Lopez via Getty Images
«Cette importance culturelle et individuelle accordée à ma maternité me frustre beaucoup.»

Les jours où je suis d’humeur empathique, j’arrive à me dire que ma vision des choses peut être quasiment incompréhensible. Qu’importe l’époque ou l’endroit où nous avons grandi: la plupart d’entre nous avons été élevés dans la perspective d’avoir un jour des enfants.

Faire le choix contraire va à l’encontre d’une culture presque universelle. Dans mon enfance, j’ai eu de nombreux poupons, autant de preuves du fait que l’on attendait de moi que j’aie un jour mes propres enfants.

“On nous apprend, directement ou par divers signaux sociaux, que les petites filles feront des bébés. Souvent, mes poupées formaient des groupes imaginaires, avec celles de mes amies. Plus que de simples jouets, elles nous entraînaient à penser, parler et agir comme des mères.”

Je ne me rappelle pas avoir eu réellement envie d’être mère, mais il était clair pour moi que je le serais un jour. On nous apprend, directement ou par divers signaux sociaux, que les petites filles feront des bébés. Souvent, mes poupées formaient des groupes imaginaires, avec celles de mes amies. Plus que de simples jouets, elles nous entraînaient à penser, parler et agir comme des mères.

Et puis il y a ceux qui pensent que refuser d’avoir des enfants n’est pas seulement une forme d’opposition aux attentes sociales mais une décision contre-nature. Surtout pour les femmes, censées posséder une horloge biologique et un instinct maternel bien ancrés, qui doivent donc forcément avoir ce désir.

C’est vrai pour beaucoup. Je ne peux qu’imaginer la douleur de celles qui veulent tomber enceintes et qui n’y parviennent pas. Certaines de mes meilleures amies ont fini par adopter ou tenter une FIV, après des mois de rendez-vous et de tests médicaux.

Je suis contente qu’il existe de telles techniques pour devenir mère et que ces récits s’inscrivent de plus en plus dans la norme. Pour autant, ils participent à l’incompréhension des gens envers moi. «C’est ce que tu penses aujourd’hui, mais tu pourrais faire congeler tes ovocytes, au cas où. De toute façon, tu pourras toujours adopter», me dit-on.

Cette importance culturelle et individuelle accordée à ma maternité me frustre beaucoup. J’ignore combien de fois je parviendrai encore à sourire et hausser les épaules en entendant ces lamentations: «Tu ne veux pas d’enfants? Mais tu ferais une si bonne mère!»

J’ai mis des années à m’avouer ce que je ressentais. Maintenant, je sais que personne ne pourra me convaincre du contraire. Ce qui ne veut pas dire que je tiens à en parler à la moindre occasion.

«J’enseigne depuis huit ans l’anglais à des lycéens.»
PhotoAlto/Frederic Cirou via Getty Images
«J’enseigne depuis huit ans l’anglais à des lycéens.»

J’en ai assez d’avoir à expliquer que, même si je sais que c’est la bonne décision pour moi, j’éprouve encore parfois une certaine honte. Il est bien trop facile de me donner l’impression que je déçois les gens ou que j’ai choisi un mode de vie contre-nature.

Souvent, j’ai la sensation que je dois justifier mes choix de vie encore plus que les autres, et surtout en tant que femme. Si j’avais des enfants, ma contribution serait évidente: je perpétue la vie. Sans descendance sur laquelle m’appuyer, je ressens une forme de pression à être plus productive et déterminée, à mieux réussir.

“Si j’avais des enfants, ma contribution serait évidente: je perpétue la vie. Sans descendance sur laquelle m’appuyer, je ressens une forme de pression à être plus productive et déterminée, à mieux réussir.”

Je m’entends bien avec les enfants et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles on me dit que je ferais une bonne mère. J’enseigne depuis huit ans l’anglais à des lycéens.

Au cours de ces années, j’ai aimé plus d’un millier d’adolescents, ri à leurs côtés, pleuré sur leur sort, célébré leurs réussites. Je me suis inquiétée pour eux. Ils m’ont beaucoup appris. Je ne suis pas encore arrivée à exprimer tout ce que représentent à mes yeux ceux que j’ai fini par appeler mes chéris.

J’ai aussi créé des relations importantes avec de jeunes enfants. Une fois, la fille d’une amie m’a dit: «J’aime bien M Kerry. Autant que ma couleur préférée.» Le père d’une fillette que j’adore me raconte souvent que «la seule personne qui peut [lui] lire une histoire avant de dormir, c’est [moi]». Et je suis heureuse de connaître, aimer et passer du temps avec ces petits.

Malgré tout, je n’en veux pas moi-même.

Ce que je veux, par contre, c’est qu’on respecte mon choix. Pouvoir dire que je ne veux pas d’enfants sans subir un interrogatoire, être jugée ou qu’on tente de me persuader. Qu’on admette et reconnaisse qu’il s’agit de ma vie, de ma famille, de mon corps. Surtout aujourd’hui, où neuf États américains viennent de voter des lois qui interdisent l’IVG.

“En 2019, les responsables politiques de presque 20% des États de ce pays disent aux femmes ce qu’elles ne peuvent pas faire de leur vie, de leur famille et de leur corps.”

C’est justement le moment d’apprendre à mieux écouter quand une femme exprime ses désirs, qu’elle s’en explique ou non. Alors, faisons-leur confiance: quand elles disent ne pas vouloir d’enfants, c’est qu’elles ont pris une décision éclairée, la plus adaptée pour elles. Dans mon cas, j’adore la vie que je mène. Et je suis convaincue que c’est en poursuivant cette vie sans enfants que je continuerai à être vraiment comblée.

Ce blogue, publié sur le HuffPost américain et le HuffPost français, a été traduit par Maëlle Gouret pour Fast ForWord.

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