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Je n’ai aucune envie de cuisiner pour ma famille et j'en ai marre de me culpabiliser

Il n'y a rien à faire, rien ne me donne envie de cuisiner. J'ai l'impression d'être une mauvaise mère.
Ronit Plank
Courtoisie
Ronit Plank

Récemment mon mari, nos enfants et moi sommes allés dîner chez une amie. Son intérieur était immaculé. De grosses bougies blanches se consumaient en dansant dans des verrines transparentes et les eaux du détroit de Puget miroitaient devant la fenêtre du salon. Le soleil orangé occupait les derniers lambeaux de ciel bleu avant de disparaître pour la nuit.

Mon amie m’a servi un verre de vin et m’a entraînée dans la cuisine. «Goûte ça et dis-moi ce que tu en penses», m’a-t-elle dit en m’offrant un amuse-bouche de sa création: un cracker maison garni de fromage de chèvre et de jambon, recouvert de pousses de roquette fraîchement coupées dans le jardin et nappé d’un filet de vinaigre balsamique. C’était délicieux et, la bouche pleine, je l’ai félicitée en levant le pouce, avant de le faire de vive voix quand j’ai eu fini.

Mon amie est une hôtesse hors pair, une mère au foyer qui aime s’arrêter sur de menus détails. Une fois de plus, mon cœur s’est serré: j’aurais aimé avoir un petit plat à préparer en vitesse et la confiance nécessaire pour le servir à des invités. J’ai envie de prendre plaisir à cuisiner pour ma famille et mes amis.

Ce n’est pourtant pas faute d’essayer. Je me rends toujours au supermarché avec la ferme intention de me mettre aux fourneaux. Je suis pleine d’espoir, et même stimulée par l’éventail de produits qui m’entoure: des poivrons rouges bien fermes, des salades brillantes, des tomates charnues, des rubans de pâtes fraîches délicatement pliés dans des emballages écrus.

Je peux même m’enthousiasmer pour le saumon pêché à la ligne que me tend mon gentil poissonnier, après l’avoir empaqueté pour moi. Je rentre chez moi avec la même motivation, déballant mes courses avec l’assurance de préparer un bon repas maison pour mes proches mais, dès que le dernier légume est sorti du sac, je quitte immédiatement la cuisine pour vaquer à d’autres occupations.

Je vais chercher le courrier, je plie le linge, je passe des coups de fil, je sors une nouvelle fois promener le chien et, le soir venant, mon enthousiasme a fondu comme neige au soleil.

“Il est 18h30 et je n’ai plus le cœur à laver ni couper des légumes, aussi beaux soient-ils.”

Assaisonner et faire griller du poisson ne me dit plus rien. Je n’ai envie de toucher à aucun des produits que j’ai achetés. Préparer le repas que j’avais imaginé ne m’intéresse pas du tout.

Les choses n’ont pas toujours été ainsi. J’aimais cuisiner avant. Dès l’âge de dix ans, c’est moi qui ai préparé le dîner le soir pour ma sœur et mon père, qui m’élevait. Plus tard, au début de mon mariage, je cuisinais pour mon mari et, après la naissance de mes enfants, pour ma nouvelle famille. J’ai même concocté des petits plats pour plusieurs fêtes que nous avons organisées. Mais, à un moment donné, j’y ai perdu goût.

“J’ai commencé à avoir le sentiment que cuisiner demandait beaucoup d’efforts et laissait beaucoup de place à l’erreur, que c’était un devoir pour lequel je n’étais pas récompensée, ou si peu.”

Prévoir des repas maison, faire les courses et tout préparer prend du temps et, quand on a fini, on se retrouve seulement avec des tas de poêles et de casseroles à laver. Même fait par amour, ça ne me paraît pas en valoir le coup.

Mon problème, c’est que j’ai envie d’y prendre plaisir. Je ne semble pas parvenir à me défaire de la vieille idée qu’on se fait d’une mère et de ce qu’elle devrait être capable de faire. Je continue de penser que pour prouver qu’on est une bonne maman, il faut préparer des repas maison et que si je n’arrive pas à faire ça pour mes enfants, c’est que je ne suis pas à la hauteur.

Si je me montre rationnelle, je sais que l’éducation des enfants ne se résume pas à leur préparer à manger – mon père ne m’a cuisiné que quelques repas pendant toute mon enfance, et c’était malgré tout un super papa –, mais je me culpabilise quand même. Mon mari, encore plus piètre cuisinier que moi, me dit de ne pas m’en faire, que ne pas cuisiner ne fait pas de moi une mauvaise mère et qu’il aime la manière dont je m’occupe de nos enfants. Mais je veux pouvoir être fière de nourrir ceux que j’aime.

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Je veux être cette femme capable de nourrir ses proches. Je sais que prodiguer ce genre de soins à ses enfants est important, or je ne sais pas remplir ce rôle et je me demande ce que cela dit de moi en tant que mère.

Personne n’a pourvu à mes besoins de cette manière quand j’étais enfant, et cela m’a manqué. J’aimais manger les petits plats que me mijotait ma mère le week-end, quand je la voyais. Aucun de ceux que je prépare à mes enfants n’est leur préféré, et cela me fait de la peine. C’est triste, mais je vois la cuisine comme une corvée. Encore pire que toutes les autres, à cause des nombreuses étapes requises pour passer de la conception du repas à la table à manger.

Je suis pourtant disposée à faire des efforts. J’atteins régulièrement les objectifs que je me fixe dans d’autres domaines. Mais, la plupart du temps, je semble incapable de trouver et de conserver l’énergie mentale et la détermination nécessaires pour faire les courses et préparer le dîner.

Je pensais qu’avoir des recettes et des ingrédients tout prêts m’inspirerait peut-être, alors je me suis inscrite à un service de kits de repas et j’ai choisi deux plats, à base de pâtes et de poulet. J’ai préparé les pappardelles avec des petits pois et de la ricotta, agrémentées d’un zeste de citron, et j’ai trouvé ça bon, mais pas mes enfants.

Je me suis ensuite essayée à l’appétissant poulet à la méditerranéenne accompagné de riz.

“Je dois admettre que j’ai frémi en lisant: «Dans un saladier peu profond, mélangez les huit premiers ingrédients.» Les huit premiers? Parce qu’il y en avait d’autre? J’étais dépassée.”

J’ai suivi le reste des instructions par effronterie, en grommelant, et j’ai préparé un plat qui ressemblait à peu près à la photo de la recette, puis réussi à le faire goûter à ma famille.

La semaine suivante, je n’ai absolument pas tenu compte des recettes du kit, me contentant de mettre de la viande dans une poêle avec les quelques épices que j’ai toujours utilisées, et j’ai compris que même des ingrédients tout prêts, livrés à ma porte, ne suffiraient pas à me donner envie de les cuisiner.

Il fallait que je me désabonne de ce service avant qu’un autre kit hors de prix fasse son apparition sur le pas de ma porte. Je me suis rendue sur le site internet et, quand l’onglet «Raison» est apparu, je me suis figée. Je ne pensais pas avoir à me justifier. Je me suis sentie embarrassée, comme une petite fille. En colère, même. Pourquoi devais-je leur expliquer le problème? J’ai fixé la case vide d’un regard noir.

Et puis, je l’ai fait. J’ai écrit la vérité: «Je ne suis pas faite pour ce service de livraison. Je ne cuisine pas, rien ne me donne envie de cuisiner.» J’ai appuyé sur «envoyer» et laissé sortir le souffle que je retenais sans en avoir conscience.

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Je me rends compte maintenant que je me suis trouvé des excuses pendant toutes ces années. Mes enfants et mon mari sont difficiles, personne ne veut manger la même chose, j’en ai assez de chercher des idées de repas, et ma préférée: je suis épuisée à force de courir après des petits toute la journée. Sauf que mes enfants sont tous les deux des adolescents aujourd’hui. Ils ne rentrent à la maison que le soir. Je ne peux plus me cacher derrière cette excuse.

Il m’arrivera encore de préparer le repas pour ma famille à l’occasion (nos plats de prédilection, comme les tacos du mardi soir, les hamburgers, le poisson grillé, le gratin de macaronis et mes favoris: les plats commandés), mais je ne me forcerai plus à essayer d’y prendre plaisir. J’en ai fini avec ça, ainsi qu’avec l’idée que je dois maîtriser parfaitement une recette pour être une «vraie» maman.

“Et je ferai tout pour arrêter de me comparer aux autres, surtout en matière de cuisine, car je considère désormais que la maternité est loin de se limiter à cela.”

Je prends soin de mes enfants comme d’autres mamans, mais aussi à ma façon. Je les emmène chez leurs amis, je vais les chercher, je pose mon téléphone quand nous sommes ensemble, je les écoute quand ils me disent qu’ils veulent arrêter tel ou tel sport d’équipe, je m’assois près d’eux dans leur chambre pour discuter avant qu’ils se couchent, et je leur achète des cochonneries à grignoter, sans oublier mes bonbons préférés, quand ils vont dormir chez leurs copains.

Je n’ai peut-être pas de spécialité culinaire, mais j’ai enfin appris à cesser d’interrompre ma fille quand elle me raconte une histoire et, la semaine dernière, j’ai posé les bonnes questions à mon fils au sujet du biome tropical qu’il a créé dans Minecraft. J’assure vraiment.

Je n’aurai probablement jamais envie de cuisiner. J’aimerais en être capable, mais ce n’est pas mon truc. Ce que j’aime, moi, c’est manger. Et j’excelle dans ce domaine.

Cela fait si longtemps que je suis embourbée dans ma haine des fourneaux que je ne sais pas trop comment je vais occuper tout mon temps libre à l’avenir. Sans doute en planifiant mes prochaines commandes de repas!

Ce blog, publié initialement sur le HuffPost américain, et sur le HuffPost français, a été traduit par Laure Motet pour Fast ForWord.

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