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J'ai tout perdu après une inflammation cérébrale. Voici comment je suis redevenue moi-même.

J’ai oublié les prénoms de mes parents et ma couleur préférée. Je ne savais plus marcher, ni même si j’aimais ou non le yogourt.
Meghan Beaudry
Courtoisie/Meghan Beaudry
Meghan Beaudry

J’ai souvent oublié des choses dans ma vie: mes clés, les bonnes réponses aux examens, l’anniversaire de mon amie. Je n’aurais jamais imaginé que j’oublierais comment marcher. Pourtant, c’est précisément ce qui m’est arrivé à l’âge de 27 ans, quand j’ai souffert d’une inflammation du cerveau.

Le jour où mes jambes ont cessé de fonctionner, je venais de terminer une leçon de violon. Mon élève rangeait son instrument en me racontant l’intrigue d’une de ses séries préférées. Quand je me suis levée pour le raccompagner à la porte, mes pieds sont restés cloués au sol. Je ne ressentais aucune douleur dans les jambes, mais elles refusaient de bouger. Marcher n’avait plus rien de naturel, comme si on m’avait demandé d’exécuter une danse que je n’avais jamais apprise.

Mon élève est parti après m’avoir saluée de la main. Le cœur battant, je luttais contre la panique. J’ai réussi à atteindre mon téléphone en traînant des pieds comme si je faisais du patin à glace et j’ai appelé à l’aide. Je tremblais en pressant le téléphone contre mon oreille.

Une affection très grave

Les jours qui ont suivi se résument à un défilé indistinct de consultations aux urgences, de visites médicales et de larmes. J’ai arrêté de compter les injections de médicaments qui ne parvenaient pas à améliorer mon état. Cependant, un souvenir restera à jamais gravé dans ma mémoire: la tristesse dans les yeux de mon médecin lorsque, allongée sur la table d’examen, je l’ai vue se pencher au-dessus de moi pour me dire: «Vous souffrez d’une encéphalite, une grave inflammation du cerveau.»

Elle s’est ensuite tournée vers ma mère qui se tenait dans un coin de la minuscule salle d’examen. Tout bas, comme si elle s’imaginait que je n’entendrais pas, elle lui a soufflé: «C’est très grave. Elle ne s’en remettra peut-être pas.»

En à peine quelques secondes, j’ai oublié comment marcher. Il m’aura fallu des années pour réapprendre.

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Quatre ans plus tôt, on m’avait diagnostiqué un lupus, une maladie chronique auto-immune qui touche principalement des femmes des minorités ethniques. Ce sont vos collègues, vos amies, vos sœurs. Certaines personnes la développent, d’autres non, sans que l’on sache pourquoi, même si l’on soupçonne un facteur génétique. Le lupus, dont les symptômes peuvent être légers ou sévères, s’attaque aux reins, aux poumons, au cœur, etc. Dans de rares cas – comme le mien –, il entraîne une inflammation du cerveau. On l’appelle alors neurolupus ou lupus érythémateux systémique.

Pendant des années, j’ai supporté au quotidien la fatigue écrasante engendrée par cette maladie. Je me levais épuisée, même après douze heures de sommeil. Pourtant, je me forçais à garder le sourire au travail et à donner le meilleur de moi-même pour mes élèves. J’adorais enseigner. J’adorais le violon. Je ne voulais pas laisser le lupus me voler également ma carrière. Toutefois, après des années d’épuisement et de douleur, mon corps a fini par dire stop, le jour où il n’a plus su mettre un pied devant l’autre.

Ma mémoire ravagée

L’inflammation de mon cerveau ne m’a pas simplement fait perdre la capacité de marcher. Elle a ravagé ma mémoire à court et long terme, effacé mon vocabulaire, ébranlé ma perception du temps et de la réalité, annihilé ma personnalité. En bref, tout ce qui faisait mon identité.

J’ai oublié les prénoms de mes parents et ma couleur préférée. Un membre de ma famille s’est chargé d’écrire un courriel à mes élèves pour les aider à trouver d’autres professeurs de violon puisque je n’étais plus en mesure de formuler la moindre phrase. Je n’arrivais plus à réfléchir assez clairement pour prendre une décision, même la plus anodine, comme savoir si j’aimais ou non le yogourt. Tout ce qui appartenait au passé datait à mes yeux de la veille, qu’il s’agisse de prendre mes médicaments une heure plus tôt ou les vacances au camping de mon enfance. Ma mémoire à court terme laissait à désirer, au point où je ne pouvais pas lire ni suivre un film, parce que je n’en comprenais pas l’intrigue, aussi simple soit-elle.

Un jour, j’ai été incapable de retrouver le mot «oreiller», si bien que j’ai demandé un «truc pour la tête» à mon aide-soignante. Avec un sourire, elle m’a apporté une brosse à cheveux.

Je me suis mise au lit et ce n’est que huit mois plus tard que j’en suis sortie.

La nuit, je souffrais d’hallucinations: je voyais des points lumineux et colorés danser au plafond et l’air autour de moi se plissait comme les ondes à la surface de l’eau. Je me suis demandé si j’allais mourir, en essayant de refouler la peur qui enflait dans ma poitrine. Si je survivais, serais-je la même qu’avant ma maladie?

Avant cet événement, je savais exactement qui j’étais: une personne déterminée, qui se fixait toujours un objectif. Une femme qui se souciait de son entourage et aimait ses élèves. Une passionnée de lecture, de chiens et de café au caramel. Clouée au lit, incapable de me souvenir de mon passé et de ce que j’aimais manger, je ne savais plus qui j’étais. Mon travail me manquait, jouer du violon aussi. Ce qui me manquait surtout, c’était d’être moi.

“Je redécouvrais les pans d’une identité que j’avais crue perdue à jamais.”

J’avais conscience que rester positive serait la meilleure façon de vaincre la maladie. Du fond de mon lit, je lisais des mèmes sur mon ordinateur et regardais des vidéos de «Weird Al» Yankovic. Avec une aussi piètre mémoire, je pouvais voir les mêmes images en boucle et rire à chaque fois. Pour me remonter le moral, ma famille me lisait des histoires drôles trouvées sur Internet. Je me raccrochais aux seules blagues que j’arrivais à comprendre.

Recouvrer mes souvenirs

Après trois mois d’alitement, les injections d’urgence à l’hôpital et les pilules que je gobais par poignées chaque soir ont commencé à faire effet. Les hallucinations se sont dissipées. J’ai peu à peu reconnu les jours de la semaine et réécouté la musique pop que j’aimais avant de tomber malade. Je me suis souvenue de la façon dont je préparais mon café et j’ai commencé à demander mon t-shirt préféré à mes aides-soignants. Chaque souvenir récupéré m’emplissait de joie. Je redécouvrais les pans d’une identité que j’avais crue perdue à jamais. Mais il me restait encore du chemin à parcourir avant de me sentir de nouveau moi-même.

Quand ma mémoire s’est améliorée, j’ai recommencé à lire, le plus souvent des témoignages de gens ayant survécu à un traumatisme neurologique. J’ai lu des articles sur l’ex-députée Gabby Giffords, qui avait reçu une balle dans la tête mais avait survécu à une tentative d’assassinat, et Voyage au-delà de mon cerveau de Jill Bolte Taylor. Il n’y avait pas grand-chose écrit par les survivants eux-mêmes, mais j’ai dévoré tout ce que j’ai trouvé. Souvent, je ne comprenais certains paragraphes qu’après les avoir lus plusieurs fois, mais je n’en démordais pas. À travers les mots de celles et ceux qui avaient surmonté la même épreuve, je me sentais moins seule. Leurs histoires m’ont donné le courage de me concentrer sur ma convalescence.

J’ai collé sur ma tête de lit une liste de tout ce que je voulais réapprendre. Du vocabulaire. Marcher. Jouer du violon. La notion du temps. Connaître mes goûts. Prendre des décisions. Et puis, de mon lit, je me suis mise au travail.

J’ai calé mon ordinateur sur mon ventre à l’aide d’oreillers afin de pouvoir m’en servir en position allongée. Je me suis forcée à écrire un paragraphe par jour, tous les jours, quel que soit le sujet. J’employais souvent des mots incorrectement ou me trompais de conjugaison à cause de mes problèmes de perception du temps, mais je m’y suis tenue.

Un jour, j’ai réussi à me lever et à atteindre tant bien que mal mon salon. Les muscles atrophiés de mes jambes me faisaient l’effet de bandes de caoutchouc mou. Je n’avais même pas la force de lever les pieds et je les ai traînés pendant des mois. Mon aide-soignante m’a serrée dans ses bras et apporté du café dans ma tasse d’Halloween préférée pour fêter ça. Quand j’ai pris conscience que je n’étais pas en mesure de soulever la tasse, nous avons choisi d’en rire plutôt que d’en pleurer. J’ai passé de longs mois à boire mon café à la paille.

Je ne sais pas si je le dois à mon traitement ou aux efforts que j’ai fournis pour aller mieux, mais j’ai peu à peu renoué avec moi-même. Ma fatigue, constante et imprévisible me privait de physiothérapie. Alors j’ai réappris à marcher seule quand je m’en sentais la force. J’ai progressivement remusclé mes jambes, qui m’ont permis de naviguer entre la chambre, le salon et la cuisine, puis à l’extérieur.

Réapprendre à être moi-même a été un processus physique et mental. J’ai pu mener des conversations qui avaient du sens avec ma famille et mes amis, écrire des lettres de remerciement à mes médecins et à mes infirmières quand mes capacités cognitives et mémorielles se sont améliorées. Le jour où j’ai sorti mon violon de son étui pour la première fois depuis des mois a été l’un des plus heureux de ma vie, même si j’ai dû longtemps me reposer après en avoir joué seulement cinq minutes.

Des années pour remarcher

Certaines choses reviennent plus vite et plus facilement que d’autres. Pendant des années après mon encéphalite, les prises de décisions, en particulier les choix de vie importants, ont été source de difficulté. Il m’a aussi fallu des années pour que le simple fait de marcher redevienne naturel.

Six ans ont passé depuis le jour où j’ai oublié comment marcher. J’ai repris l’enseignement et la pratique du violon. Je vis avec mes deux chiens dans un appartement au premier étage que j’ai peint en rouge, ma couleur préférée. Je suis capable de cuisiner et de prendre soin de moi, et je peux boire du café au caramel tous les jours, sans paille.

“Oublier une réunion ou perdre ses clés plusieurs fois par semaine peut paraître anodin pour beaucoup de personnes; pour moi, c’est peut-être le signe d’une urgence médicale.”

J’ai guéri de mon encéphalite, mais mon lupus n’a pas disparu et je reste plus fatiguée que la plupart des gens de mon âge. Comme le risque de déclencher une nouvelle inflammation n’est pas écarté, je surveille l’apparition éventuelle de troubles de la mémoire ou d’accès de fatigue inhabituels. Oublier une réunion ou perdre ses clés plusieurs fois par semaine peut paraître anodin pour beaucoup de personnes; pour moi, c’est peut-être le signe d’une urgence médicale.

J’ai la chance d’être suivie par un médecin qui prend mes symptômes très au sérieux. Mais, plus que tout, je me réjouis chaque jour d’être redevenue moi-même. Parfois, je m’étonne encore de pouvoir marcher aussi spontanément, je m’émerveille de la magie simple de mettre un pied devant l’autre pour avancer dans la vie.

J’ai aussi conservé mes habitudes d’écriture, et j’y ai gagné quelque chose qui n’existait pas avant ma maladie. J’ai même eu l’occasion de publier des témoignages où je partage mon expérience. Le fait est que nombre de victimes de traumatismes neurologiques n’ont pas la chance de guérir comme je l’ai fait. J’écris parce que j’espère que, quelque part, quelqu’un atteint de la même maladie puisera dans mes mots l’espoir dont il a besoin.

Contre toute attente, je ne me suis jamais sentie plus humaine que durant ces mois alitée, aux portes de la mort. À mesure que je me suis redécouverte, j’ai pris conscience de tout l’amour que me portent ma famille et mes amis. J’ai compris à quel point il est primordial de consacrer notre bref passage sur Terre à aider ceux qui souffrent autour de nous.

À chaque coup dur, je me rappelle que je suis moi et que je suis capable d’aller de l’avant. Car les épreuves de la vie ne se surmontent qu’au jour le jour, pas à pas.

Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Mathilde Montier pour Fast ForWord, pour le HuffPost France.

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