IMPEACHMENT - Si Donald Trump survit à son impeachment, il le devra au travail d’un jeune assistant du dernier président républicain à avoir fait face à cette procédure de destitution pour avoir triché en vue de sa réélection: Roger Ailes, le fondateur de Fox News.
Lancée en décembre, la procédure de destitution entre dans une nouvelle phase ce mardi 21 janvier avec l’ouverture du procès devant le Sénat américain: le président Trump est accusé d’avoir utilisé 391 millions de dollars (soit environ 350 millions d’euros) d’argent public pour obtenir un avantage illégal dans sa course à la réélection.
Il y a 45 ans, la même procédure visait le président Nixon pour avoir puisé – aux mêmes fins – des dizaines de milliers de dollars dans ses fonds de campagne.
“Le président Nixon a tenté de corrompre le processus électoral. Ses agents sont entrés par effraction dans le quartier général du Parti démocrate pour lui offrir une longueur d’avance dans les élections. À l’époque, exactement comme le président Trump aujourd’hui, il avait tenté d’étouffer l’affaire. Ensuite, il a préféré démissionner”, a rappelé la représentante démocrate de Californie, Zoe Lofgren, lors des débats à la Chambre des représentants.
Au cours de ses études de droit, alors âgée de 26 ans, Zoe Lofgren avait déjà travaillé sur les “articles of impeachement” (les chefs d’accusation) du président Nixon. “Cette fois, c’est encore pire. Non content d’abuser de son pouvoir, le président Trump a fait appel à un gouvernement étranger pour aider à sa réélection. Il a utilisé l’aide militaire apportée pour combattre la Russie comme moyen de pression au seul bénéfice de sa campagne politique.”
Pourtant, là où Richard Nixon était en chute libre dans les sondages, préférant démissionner avant même que les chefs d’accusation ne soient formellement établis par la Chambre des représentants, Donald Trump ressortira probablement de son procès au Sénat avec, au pire, quelques votes républicains en faveur de sa destitution.
La grande différence entre les deux? La procédure d’impeachment de Nixon a eu lieu avant que Roger Ailes n’ait pu concrétiser cette note de 1970 intitulée “Un plan de médiatisation télévisuelle du GOP” (l’autre nom du parti républicain, NDLR), tandis que celui de Trump survient longtemps après la création de la chaîne de Roger Ailes, Fox News, qui a vu le jour en 1996 pour devenir la chaîne câblée la plus regardée des États-Unis.
“Ils vomissent les mensonges de Trump et les gens avalent tout”
“Fox News et l’écosystème médiatique conservateur ont préparé le terrain pour un démagogue”, explique ainsi Joe Walsh, ancien représentant de l’Illinois qui a passé des années dans cet univers où il était notamment animateur d’un talk-show matinal radiodiffusé. Aujourd’hui, il s’oppose à Donald Trump pour la nomination républicaine aux élections de 2020. “Ils vomissent les mensonges de Trump, et les gens avalent tout.”
En 1974, les grands réseaux de télévision étaient au nombre de trois, et on comptait une douzaine de quotidiens majeurs, dans lesquels le journalisme fondé sur les faits faisait consensus de part et d’autre. En 2019, les journaux sont moins nombreux, mais les médias partisans de la droite se sont multipliés sous la domination de Fox News et servent de caisse de résonance aux allégations de Donald Trump, sans considération pour la vérité.
Richard Nixon a vu sa cote de popularité plonger à 24% après que la Cour suprême des États-Unis a ordonné la publication des preuves enregistrées de sa participation à l’étouffement du scandale du Watergate. Malgré la publication, le 25 juillet, d’une transcription brute et de témoignages corroborant la thèse selon laquelle il aurait tenté de forcer l’Ukraine à causer du tort à son principal opposant politique du Parti démocrate, la cote de popularité de Donald Trump s’est maintenue aux alentours des 40%.
“Si Richard Nixon avait pu compter sur Fox News pour le soutenir, il aurait brûlé les enregistrements”, affirme Douglas Brinkley, historien spécialiste de la présidence américaine. Le mémorandum de 15 pages, annoté personnellement par Roger Ailes au marqueur noir et exhumé des archives de la Nixon Library par le journaliste John Cook, affirme que le peuple américain préfère regarder la télévision parce qu’on y “réfléchit à votre place”, et que la Maison-Blanche devrait pouvoir diffuser des reportages en sa propre faveur, directement depuis les stations locales, sans avoir à collaborer avec les réseaux. “Ceci permet d’éviter la censure, les priorités et les préjugés de ceux qui sélectionnent et disséminent le contenu au sein des réseaux d’information.”
Fox News “entretient une sorte d’univers alternatif” pro-Trump
Roger Ailes est mort en 2017. En 1968, avant de travailler pour Richard Nixon, il était producteur d’un talk-show télévisé. Il n’a cependant pas été en mesure de créer un tel réseau avant d’être écarté de la campagne de Nixon, en 1971. En 1974, il fonde le service d’information Television News Incorporated, basé à Washington, aligné sur une vision politique conservatrice. L’entreprise met cependant la clé sous la porte l’année suivante.
En 1996, désormais agent aguerri du GOP disposant du soutien d’un magnat des médias, le milliardaire Rupert Murdoch, Roger Ailes fonde Fox News, donnant naissance à une chaîne fondamentalement républicaine dans le monde encore jeune de la télévision par câble. La chaîne parvient à conquérir son audience en proposant à ses téléspectateurs une perspective ouvertement pro-GOP, là où les autres réseaux et journaux divisent le reste du public par leur attachement à un journalisme plus traditionnel.
La Fox a toujours diffusé une version partisane des événements et amplifié les informations favorables aux républicains, notamment les attaques contre Benghazi et le “scandale” du ciblage sélectif par l’Internal Revenue Service américain (le service chargé de la collecte des impôts) sous la présidence de Barack Obama.
Mais depuis le début de l’administration Trump, le réseau semble aller encore plus loin dans son effort pour étouffer la critique à l’égard du président, notamment celle provenant d’autres républicains.
“Fox est un acteur très important” du soutien dont continue à jouir Trump dans le camp républicain, explique Norman Ornstein, collaborateur du think tank conservateur American Enterprise Institute. “La chaîne crée et entretient une sorte d’univers alternatif dont l’impact résonne avec le noyau dur des soutiens de Donald Trump. Ce qui empêche les élus républicains de se confronter à la vérité.”
Aux heures de grande écoute, lors du prime time du début de soirée et tôt le matin, on peut y regarder des émissions qui couvrent Trump d’éloges tout en attaquant ses détracteurs.
Donald Trump lui-même reconnaît ses attentes envers Fox, même lorsqu’il se plaint que le réseau ne le soutient pas suffisamment. Il l’affirmait encore récemment: “Les émissions pro-Trump sont les seules à réussir sur Fox.”
Fox News n’a pas souhaité répondre à nos questions dans le cadre de ce reportage. La chaîne avait précédemment affirmé au HuffPost ne pas étouffer la critique envers Donald Trump.
Même les conservateurs anti-Trump sont écartés
En tant que premier candidat du mouvement “Tea Party” à remporter une primaire, Joe Walsh s’attendait à figurer en haut de la liste d’invités aux émissions de la Fox. Au contraire, il en a été écarté. “Ils sont au service de Trump. Ils veulent le protéger. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour défendre leur roi”, affirme Walsh.
Selon des membres de sa campagne, une émission de la Fox a bien invité Joe Walsh, mais seulement à condition qu’il accepte de se limiter aux “problèmes” et s’engage à ne pas attaquer Trump. Walsh a refusé. La principale problématique abordée au cours de sa campagne et lors de ses interviews dans les médias est l’inaptitude de Donald Trump à présider les États-Unis. “Je n’accepterai jamais de telles conditions”, a-t-il déclaré. “Je ne jouerai pas le jeu de la Fox.”
Fin août, Joe Walsh a fait une apparition sur Fox Business. L’animateur Stuart Varney a immédiatement commencé à l’attaquer pour ses critiques envers l’actuel président, et l’échange a pris fin lorsque le candidat est parvenu à faire dire à Varney que Donald Trump ne mentait jamais.
Walsh rapporte une situation similaire survenue au Salem Radio Network, qui a pris la main sur l’émission de radio matinale qu’il avait lancée après avoir quitté le Congrès en 2013. En 2017, lors des débats sur la révocation de l’Obamacare (loi américaine sur la protection médicale et l’accessibilité des soins), il lui a été signifié qu’il ne pourrait pas s’exprimer sur la question s’il critiquait la position du président. Ces restrictions se sont amplifiées jusqu’à interdire toute critique à l’égard de Donald Trump, une directive acceptée par certains animateurs du réseau Salem, mais pas par lui. Cet été, Walsh a appris que son contrat avec Salem ne serait pas renouvelé à la fin de l’année. “Chaque semaine, la direction me tombait dessus pour me pousser à soutenir Trump”, a-t-il déclaré.
Phil Boyce, responsable des programmes du réseau Salem, affirme n’avoir jamais demandé à Joe Walsh de ne pas critiquer Trump. Il lui aurait simplement souligné le fait que le “Trump-bashing affecterait ses taux d’écoute” et donc ses revenus. “Il a effectivement perdu la moitié de ses auditeurs”, affirme Boyce.
Il reconnaît qu’un autre animateur hostile au président Trump a lui aussi été renvoyé parce qu’il perdait des auditeurs. Boyce a ajouté n’avoir jamais eu de discussions à ce propos avec d’autres animateurs, tels que Hugh Hewitt, car ces derniers “ont compris tout seuls”. “Notre pays est en pleine guerre des cultures, estime-t-il. Et nous sommes les combattants de cette guerre”.
Cet article a été adapté d’un article original de S.V. Date publié sur le HuffPost américain.
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