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La question identitaire: une marchandise politique et commerciale

La voie à suivre pour tout gouvernement ne consiste donc pas à occulter le caractère distinctif des Québécois, mais à l'affirmer et à le préserver.
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Au Québec, dès que la question identitaire apparaît dans le débat public, la condamnation politicienne prend le relais. Chaque parti s'approprie le discours sur l'identité, moins pour exposer son point de vue que dénoncer celui de l'adversaire.

Des cotes d'écoute aux sondages de popularité, les politiciens ou tous ceux qui s'expriment sur ce sujet sont publiquement jugés. À l'Assemblée nationale comme dans les points de presse, les commentaires sont trop souvent en dessous de l'intelligence de nos élus. Dans ce contexte, si vous mettez en doute la politique d'immigration, les accommodements raisonnables, etc., vous risquez l'anathème.

En Angleterre, tous ceux qui étaient inquiets de l'avenir de leur identité à l'intérieur de l'Union européenne (UE), ceux qui ont voté «leave», ont été traités par la presse européenne de racistes.

On voit bien que sur cette question toute légitime s'exerce une forme de rectitude politique extrême. On méprise ce que dit ou fait l'autre en le salissant, en lui faisant la morale. Bref, on clame que l'adversaire manque de vertu. On prendrait son trou à moins, dirions-nous en bon québécois! Aussi, les Québécois, inquiets de l'avenir de leur identité dans ce contexte, hésitent à prendre la parole parce qu'on ne quitte pas facilement sa zone de confort. Le débat actuel nous renvoie, volontairement ou pas, à nous-mêmes, à ce qui nous apparaît non négociable en matière de langue, culture et système de valeurs.

Par ailleurs, on est invité à se rabattre sur un multiculturalisme idéologique qui nous propose plutôt un «vivre ensemble» dans un Canada où toutes les cultures sont confondues. Or la culture universelle n'existe pas.

La mondialisation culturelle est un leurre, écrivait Denise Bombardier dans Le Journal de Montréal. Car il n'existe pas dans le monde moderne de sociétés sans histoire, sans système de valeurs, sans une vision du monde et une langue propre à l'exprimer. L'échec en Europe du multiculturalisme est facilement reconnaissable dans la montée du communautarisme.

Question identitaire: un fond de commerce

En 1974, Marcel Rioux publiait un petit volume intitulé Les Québécois, dans lequel il écrivait: «Les hommes politiques en place ont découvert... qu'une équipe politique est une marchandise comme une autre et qui obéit aux même lois du marché... La manipulation a remplacé la vieille corruption électorale...». À l'époque, la question identitaire occupait non seulement la scène politique, mais avait aussi une valeur commerciale. Par exemple, rappelons-nous le volume du publiciste Jacques Bouchard publié en 1978, Les 36 cordes sensibles des Québécois. Fondateur de l'agence BCP, devenue Publicis, Bouchard cherchait à décrire les Québécois selon leurs racines catholiques, terriennes, françaises, minoritaires, latines et nord-américaines. Le succès de ses publicités aurait, pour ainsi dire, confirmé la justesse de son propos! Le succès de librairie de ce livre n'est certainement pas étranger aux préoccupations des Québécois puisque la question identitaire fait encore commerce au Québec depuis la publication récente du livre Le Code Québec écrit par Pierre Duhamel, Jacques Nantel et le sondeur Jean-Marc Léger.

À partir de données objectives récoltées par sondage, ce dernier fait ressortir sept traits identitaires des Québécois présentés comme faisant partie de son «ADN». Sept grandes familles de cordes sensibles: quête du bonheur, joie de vivre, préférence pour le consensus, paresse devant l'adversité, relâchement devant l'effort, belles idées mais qu'on ne met pas en application, esprit de clocher, peur de l'échec.

Mais, dans un meuble à sept tiroirs contenant chacun un trait québécois, pourrait-on vraiment se faire une idée précise du meuble lui-même? Or, d'un point de vue ethnographique, la culture est autre chose qu'un agrégat de traits existant simultanément dans une société. L'ethnologie est explicite à ce sujet: «Or, bien qu'il soit légitime de disséquer une culture en de multiples éléments, [encore] faut-il voir encore que ceux-ci en sont des parties constitutives ; l'ensemble est autre chose que la somme de ses parties». Aussi, dans ce cas-ci, il n'est pas sûr qu'on ait véritablement cerné le caractère identitaire du Québécois, mais on a peut-être une meilleure idée du service ou produit qu'on peut lui offrir.

Comment voir autrement?

Revenons au volume de Marcel Rioux. Son intention: faire le portrait ethnographique de l'homo quebecensis, à savoir quelle sorte de spécimen d'humanité les Québécois forment-ils. Pour cela, il a fait le tour de la question en retroussant l'histoire jusqu'à l'arrivée des premiers colons français en 1608. «C'est davantage au niveau de l'ensemble que constitue la société globale qu'il faut chercher la spécificité des Québécois», écrit-il.

La voie à suivre pour tout gouvernement ne consiste pas à occulter le caractère distinctif des Québécois, mais à l'affirmer et à le préserver.

Décortiquant toutes les époques jusqu'à aujourd'hui sur le plan social, politique, économique, religieux et culturel, il s'agit, selon lui, «d'un long processus historique de différenciation et d'affirmation de soi». Et puis, «examiner les différentes appellations», écrit-il, «renseigne aussi sur les groupes dont les Québécois ont voulu se démarquer à travers l'histoire». Ces groupes sont les Français métropolitains, les Anglais de la Conquête, ceux du Haut-Canada puis du Canada, et des Américains. Pendant longtemps, selon différentes appellations (Canadiens, «Canayens», Canadien-français), la différentiation va l'emporter sur l'affirmation de soi, ce qui va provoquer durant plus d'un siècle et demi le repli, le conservatisme et l'isolement de la société québécoise.

À partir des années 1960, cependant, l'affirmation de soi s'impose. «Le terme de "Québécois" a été valorisé au point de devenir une espèce de symbole de l'affirmation de soi, d'autodétermination et de libération», poursuit-il. On assiste alors à une remarquable explosion de la créativité, de la liberté dans tous les domaines, qui ne se dément pas jusqu'à aujourd'hui.

Par contre, on ne peut que constater l'épuisement du débat. D'une part, l'échec des nationalistes de faire accepter le Québec comme société distincte à majorité francophone. Nous en sommes toujours à ce stade du développement d'un «bilinguisme de guichet» et le bilinguisme n'est pas une langue. D'autre part, on se rend compte également que l'idée d'un Québec souverain qui prendrait sa place comme nation parmi celles du monde ne progresse pas.

Pendant ce temps l'homme québécois a beaucoup changé.

Durant les processus d'urbanisation, de modernisation et de sécularisation qui on marqué la vie citoyenne, économique et politique au Québec, Rioux observe dès le début des années 1970 que l'homme québécois a beaucoup changé: il a changé en prenant conscience de son aliénation culturelle, en assumant son exubérance et son caractère expansif, chaleureux, et en abandonnant cette xénophobie par sentiment d'infériorité, par crainte de l'avenir, bien que «les Québécois ne soient jamais tout à fait rassurés sur le sort qui les attend». Depuis que les Québécois ont constaté qu'ils étaient majoritaires, ils ont perdu progressivement leur mentalité d'assiégés.

Le Québécois n'aime pas affronter de plein fouet ses interlocuteurs dans une conversation ou affronter les idées officielles. Il emprunte souvent des voies indirectes pour s'exprimer et contester l'ordre établi. Il utilise l'humour. La pitié et le rire en humour sont deux éléments révélateurs du caractère québécois. Fataliste, le Québécois a vaincu l'hiver. Il n'y a rien à faire, l'hiver revient toujours le hanter. Vaut mieux en rire que d'en pleurer. Rioux dans son volume rappelle que Macluhan a qualifié les Québécois de «hippies» qui viennent de passer du XVIIIe siècle au XXIe siècle. À l'aise avec la communication en utilisant au maximum les technologies, le Québécois est un raconteur.

La spécificité des Québécois, selon Rioux, est le résultat d'une nation ou société globale dans laquelle il a absorbé en peu de temps trois types de sociétés et de mentalités: de l'âge de la paroisse à celui de l'électronique (et l'internet), en passant par le libéralisme concurrentiel et le néolibéralisme. C'est un type d'humanité contrasté où le Québécois peut être à la fois archaïque et futuriste. Le Québécois vit avec des institutions et des valeurs qui appartiennent à des âges différents. Une partie de la population a une vision du monde axée sur la société préindustrielle. En même temps, une partie de plus en plus importante de Québécois est entrée de plein pied dans la «nouvelle culture».

En conclusion, la question identitaire est et restera matière à débat. Ce débat, il faut le voir s'élever, notamment dans la classe politique. Se trompent ceux qui s'imaginent, ce faisant, que le Québec risque de s'enfermer dans un passéisme nostalgique. Les Québécois sont rendus plus loin que ça. Sans nier ou taire leur terre d'appartenance, ils sont et rayonnent partout à travers le monde dans les domaines des arts, de la culture, des affaires, voire du sport. Et l'étranger ne fait plus peur: il est vu comme constituant de son avenir.

La voie à suivre pour tout gouvernement ne consiste donc pas à occulter le caractère distinctif des Québécois, mais à l'affirmer et à le préserver. C'est un préalable à toute prétention à l'universel. Et ce caractère distinctif se manifeste d'abord et avant tout à travers notre langue commune, la langue française.

Ce texte est cosigné par Michel Héroux, Denys Larose et Jean-Noël Tremblay.

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