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Idéal national-républicain: quel coût pour la Catalogne?

On devient vite sceptique quant à une prétendue répression politique et culturelle dans ce coin de la péninsule ibérique.
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Dix ans plus tard, je retourne en Catalogne, pays qui serait apparemment réprimé par le centralisme madrilène et écrasé sous le poids du rouleur compresseur espagnol. Or, lorsqu'on arrive à l'aéroport d'El Prat à Barcelone, toutes les enseignes privilégient le catalan. Les messages destinés aux voyageurs sont annoncés d'abord, la langue de Cervantès étant reléguée au même statut que l'anglais, c'est-à-dire celui de langue étrangère. On devient vite sceptique quant à une prétendue répression politique et culturelle dans ce coin de la péninsule ibérique.

Lorsqu'on se promène à Barcelone, l'ambiance est relaxe et gaie. Seul le catalan a pignon sur rue, ses drapeaux flottent partout, que ce soit celui de la Generalitat de Catalunya, la région autonome (bandes horizontales jaunes et rouges) ou celui de la république envisagée: les mêmes bandes horizontales avec l'étoile blanche sur fond bleu en plus. Quelques drapeaux espagnols sont encore hissés.

Je suis allé dans des pays où la répression existe et je n'ai pas le souvenir d'une telle liberté d'expression sur les édifices gouvernementaux.

Sur les édifices gouvernementaux de la Generalitat, on peut lire sur de grandes banderoles déroulées le message suivant: «Libérez nos prisonniers politiques». Je suis allé dans des pays où la répression existe, en Turquie ou à l'est de l'Ukraine, et je n'ai pas le souvenir d'une telle liberté d'expression sur les édifices gouvernementaux. Les quelques leaders indépendantistes qui sont sous les verrous aujourd'hui l'ont été sur l'ordre d'une justice totalement indépendante et non sur l'ordre du pouvoir.

Néanmoins, beaucoup pensent avec raison qu'une sortie de crise devrait être d'ordre politique et non judiciaire. Pour le moment, on assiste à un dialogue de sourds, même si la venue au pouvoir du socialiste Pedro Sanchez a atténué les tensions.

Il serait souhaitable que l'Espagne accepte l'idée qu'on organise un référendum légal, à l'instar du Québec, afin que la question soit tranchée une fois pour toutes.

Deux couples catalans quingénaires de Barcelone parlant castillan entre eux - mais s'exprimant toujours en catalan avec leurs enfants - m'ont assuré que les partisans de l'indépendance ne représentaient pas la majorité dans la population. Ils pensent qu'il serait souhaitable que l'Espagne devienne pragmatique et accepte l'idée qu'on organise un référendum légal, à l'instar de ceux qui ont eu lieu au Québec et en Écosse, afin que la question soit tranchée une fois pour toutes.

Depuis 2014, cette affaire pompe toute l'énergie du pays. Les Espagnols sont excédés par le sécessionnisme catalan qui accapare tous les débats, à l'heure où le pays est menacé par le terrorisme islamique et la crise migratoire.

«Ils ne nous aiment plus et ils commencent à boycotter nos produits», me déclare l'une des deux femmes parlant des «Espagnols». Le prix à payer pour le rêve indépendantiste est trop élevé, même si elle cultive au fond d'elle ce romantisme de voir un jour la Catalogne indépendante. En effet, les conséquences économiques sont considérables. Avec la déclaration d'indépendance en octobre 2017, 4057 compagnies ont quitté cette région séparatiste, soit 20% du PIB catalan.

Depuis que Quim Torra, le nouvel ultra-indépendantiste a été nommé au poste de président de la Généralité par l'Assemblée législative cette année, plus de 100 entreprises ont annoncé leur départ. Le journal El Mundo parle d'une véritable débandade. Par comparaison, 243 entreprises québécoises ont quitté Montréal entre janvier 1977 et novembre 1978 après l'accession au pouvoir des indépendantistes québécois en novembre 1976.

Par ailleurs, une Catalogne indépendante prend le risque de se voir expulsée de l'Union européenne, même si certains espèrent obtenir à moyen terme le soutien de la France, pays influent dont ils se sentent proches culturellement. J'ai dû leur rappeler que la France ne laissait aucune place aux identités régionales et que la Catalogne pouvait s'estimer heureuse d'être dans une Espagne tolérante envers le pluriculturalisme.

On ne fait pas l'histoire avec des «si», mais si la Catalogne s'était unie à une France républicaine et jacobine, elle se serait probablement retrouvée amputée de Barcelone. Elle aurait peut-être aussi vu une partie de son territoire annexée à une entité administrative créée de toute pièce, comme les Français l'ont fait, par exemple, avec l'invention de la région des Pays de la Loire, afin de priver la Bretagne de son moteur économique nantais. Quant à la langue catalane, elle n'aurait pas eu l'importance qu'elle a aujourd'hui.

Le seul intérêt qu'aurait la France serait l'imposition de l'apprentissage du français dans les écoles d'une Catalogne ayant rejoint la francophonie.

Quoi qu'il en soit, on peut comprendre la fierté que les Catalans tirent de leur culture et de leur entreprenariat. Leurs très belles villes et leurs artistes leur assurent une renommée internationale. Néanmoins, leur nationalisme aujourd'hui flirte avec de nombreux courants extrémistes (surtout de gauche radicale).

Un couple d'amis franco-britannique installé à Barcelone depuis une vingtaine d'années pense déménager à Valence, car ils déplorent l'étroitesse d'esprit et le manque de dialogue. «Quand on parle d'immigrants en Catalogne, on parle des Andalous et des Galiciens qui sont venus s'installer ici, comme si la crise des migrants africains ne les concernait pas», me dit Isabelle, qui enseigne le français. «Mon fils subit un lavage de cerveau à l'école publique du quartier. En géographie et en histoire, on ne leur enseigne que la Catalogne, rien de l'Espagne», poursuit-elle.

Les cours en espagnol ne commencent qu'à l'âge de 6 ans avec très peu d'heures, tandis que l'enseignement de l'anglais débute à 3 ans». «Aujourd'hui, j'ai même peur d'afficher mon attachement à l'unité espagnole, car je risque de me mettre à dos de nombreuses connaissances dans cette ville. La situation ne peut que se dégrader. Ceux qui gèrent l'éducation contrôlent l'avenir».

Il est essentiel, pour qu'un pays fonctionne et prospère à long terme, qu'il respecte l'identité de ses différentes composantes historiques. Il serait dommage d'avoir recours au sécessionnisme dès que survient une crise économique ou financière, la solidarité n'étant plus une valeur.

Dans un contexte européen, il est devenu quasi-impossible de se séparer sans l'aval de l'Union européenne. Bruxelles détient la clef de la prospérité économique, que ce soit pour la Catalogne ou l'Écosse; même le Royaume-Uni en est dépendant.

Quand les Catalans vous disent qu'ils ne veulent plus payer pour le reste de l'Espagne, il se peut qu'un jour, ils se retrouvent dans la situation de l'arroseur arrosé.

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