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Humiliée pour mon passé dans la porno, le «pole dance» m'a aidée à me relever

Le harcèlement me faisait sentir comme si je devais constamment m'excuser et jouer la femme qui regrettait d'avoir travaillé dans l'industrie du sexe.
Une performance de pole dancing où l'autrice de ce texte effectue une figure de niveau avancé appelée «choker split».
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Une performance de pole dancing où l'autrice de ce texte effectue une figure de niveau avancé appelée «choker split».

Strip Down, Rise Up, un documentaire de Michèle Ohayon, réalisatrice qui a déjà été nommée aux Oscars, débarque sur Netflix le 5 février. La scène d’ouverture est... vraiment sexy. On y retrouve des femmes caressant leur corps, secouant leurs cheveux et se déhanchant sur une scène en bois, dans la lumière vacillante des bougies.

Le documentaire accompagne des femmes de divers horizons dans le monde du pole dance, un sport toujours en plein essor où plusieurs, moi y compris, trouvent la guérison.

Je suis l’une des femmes de Strip Down, Rise Up. J’y raconte mon histoire. Comment, en 2003, je me suis lancée dans les films pornos alors que j’étais une actrice de 20 ans en difficulté à Los Angeles. Et comment, après ma sortie de l’industrie du sexe, les trolls d’Internet m’ont harcelée, traquée et doxxée pendant des années. J’y confie que le harcèlement me faisait sentir comme si je devais constamment m’excuser et jouer la femme qui regrettait d’avoir travaillé dans l’industrie du sexe.

Il convient de noter ici que la porno est une industrie qui m’a bien payée et m’a traitée avec une sorte de transparence sur les attentes professionnelles que je n’ai pas vue dans les lieux de travail traditionnels.

Près d’une décennie après avoir quitté cette industrie, j’ai découvert le pole dancing et j’ai pu surmonter cette honte intériorisée. Ces espaces d’empowerment féroce des femmes sont devenus un lieu sûr pour moi, un safe space, une forteresse face au mépris de la société pour un choix de travail que j’avais fait il y a longtemps et que je ne regrettais pas vraiment.

Faire face au jugement de ceux qui considèrent le travail du sexe comme immoral était difficile. Après mon passage de six mois dans cette industrie, j’ai travaillé comme serveuse dans deux restaurants tout en suivant des cours dans un collège communautaire. Les hommes que je croisais dans les restaurants me reconnaissaient grâce à mes films. Ils faisaient des commentaires obscènes ou m’attendaient dans le parking pour m’inviter à sortir ou simplement pour me traiter de pute.

“J’avais l’impression que je devais avoir honte de mon passé pour pouvoir faire partie de la société respectable.”

En 2011, je suis partie étudier le droit à Boston. De l’autre côté du pays, à environ 2 500 miles de Los Angeles, je me suis enfin sentie libérée du passé.

Mais peu de temps après avoir commencé ma première année, une base de données de patients d’un centre de dépistage des ITS a été piratée par des partisans de la lutte contre la pornographie, et ces informations ont été diffusées sur Internet.

C’était huit ans après mon passage dans la porno.

Le site a relié mon nom d’interprète à mon vrai nom. Il a publié l’adresse du domicile de ma famille et d’autres informations personnelles. J’étais heureuse qu’ils n’aient pas pu obtenir le numéro de mon appartement à Boston. Mais je savais que c’était encore possible.

J’ai gardé la tête baissée dans la tempête. J’ai continué d’étudier et d’aller courir le matin. Mais quand l’automne s’est transformé en hiver, avec des températures sous zéro, les courses du matin sont devenues trop froides. Je voulais continuer de faire de l’exercice, alors j’ai obtenu un certificat Groupon pour essayer des cours de pole dance.

Dans le sous-sol d’un Gold’s Gym en face de Fenway Park, j’ai regardé des femmes au corps imparfait (selon les standards commerciaux) danser avec confiance, se déshabiller pour révéler des abdominaux avec des vergetures et des cuisses molles qui leur plaisaient clairement. J’ai voulu avoir ce genre de confiance dans mon corps.

Durant les trois années qui ont suivi, je finissais mes études à la bibliothèque de droit vers 18 h, puis je me rendais à vélo au cours de pole dance. Au fil du temps, les femmes avec lesquelles je me suis entraînée - Rachel, une médecin, Julia, une chimiste et Samantha, une strip-teaseuse et ma coach de pole dance - sont devenues mes amies les plus proches. Nous avons créé des routines de pole ensemble le week-end, nous avons passé des heures en studio. Pendant ma première année et demie, les choses se sont très bien déroulées - je construisais ma nouvelle vie d’étudiante en droit et je mettais mon ancienne vie derrière moi.

Mais un jour, pendant ma deuxième année, mon amie Marjan m’a prise à part après un cours. «Hé, c’est inconfortable...» commença-t-elle. Je savais déjà ce qu’elle allait dire.

«Un journaliste m’a contactée sur Facebook. Il dit qu’il fait un reportage sur une star porno qui étudie à l’Université de Boston. Il dit que c’est toi. Il m’a envoyé une vidéo d’une minute. D’autres personnes de notre classe ont eu le même message.»

La honte que j’avais repoussée jusque-là est remontée, bouillonnante, à la surface. J’avais l’impression que je devais avoir honte de mon passé pour pouvoir faire partie de la société respectable. Quand je suis allée au cours de pole dance ce soir-là, mes yeux étaient rougis par les larmes.

«Où est ton sourire, bébé?» m’a demandé Rachel avec son fort accent du sud de Boston. J’ai ri. C’était la même question que les réalisateurs de porno avaient l’habitude de poser quand j’étais fatiguée sur le plateau. J’ai pris une profonde inspiration et je lui ai parlé de la menace d’être exposée ainsi.

Rachel a froncé les sourcils en pensant à tout ça. «Mais... on s’en fout», a-t-elle lancé. C’était une déclaration, pas une question. Pour la première fois, je me suis sentie pleinement comprise - pas comme une femme indigne qui doit cacher ses péchés, mais comme une personne au grand cœur avec un rire franc, comme une bonne amie, comme une femme dont le passage dans l’industrie du sexe n’est qu’une partie peu intéressante de sa vie.

Sam m’a serrée dans ses bras. J’ai senti l’odeur de son shampooing et j’ai posé mon menton sur son épaule. «Oublie-les», m’a-t-elle dit. J’ai réalisé que j’avais trouvé ma communauté, que c’est là qu’était ma place.

L’un des passages les plus puissants de Strip Down, Rise Up montre une succession de participantes expliquant qu’après avoir été agressées sexuellement, elle ne sentait plus que leur corps leur appartenait.

Une femme raconte comment, adolescente, elle a fait partie des centaines de gymnastes agressées par le réputé médecin Larry Nasser. D’autres survivantes expliquent comment le pole dancing et l’exploration des mouvements sensuels les ont aidées à reprendre possession de leur corps après des agressions. L’une d’elle souligne que le pole dance et les mouvements sensuels ressemblent à une libération, un lâcher-prise.

La bande annonce de Strip Down, Rise Up:

Pour moi, le pole dance, c’est comme si je m’envolais. Parfois, je le fais presque, quand je balance mon corps à l’envers autour du poteau. J’adore voir mes amies retenir leur souffle quand je fais un nouveau tour. J’adore la façon dont mes cheveux volent derrière moi quand je tourne très vite, et cette sensation de sauter du bord d’une falaise. J’adore la sensation de mon souffle et de mon cœur lorsque j’effectue un «drop split».

Pour d’autres, le pole dance est centré autour des mouvements sensuels. L’activité devient un moyen de reconceptualiser le désir, la force et l’acceptation corporelle hors du regard masculin (ce qui est généralement le cas lorsque les gens pensent au pole dance).

Diplômée en droit et devenue avocate, j’ai travaillé dans le domaine des technologies, j’ai dirigé un cabinet et je dirige maintenant trois studios de pole dancing. Dans chacun de mes studios, j’ai rencontré tellement de personnes qui viennent guérir de quelque chose; des défis d’image corporelle, des agressions sexuelles, un sentiment général que leur corps ne leur appartient pas.

“Tant de gens, tant de nuances de honte - et si peu d’espaces pour explorer la sensualité sans honte, sans excuse, et pour son propre plaisir et l’exploration de soi.”

Le pole dance utilise la sensualité et la force inhérentes à cette pratique - qui a été largement développée par les strip-teaseuses, même si leur apport n’est pas reconnu à sa juste valeur - comme un moyen de récupérer le contrôle de notre corps. Au cours des cinq années où j’ai dirigé et bâti ces studios et les communautés qui les composent, j’ai fini par comprendre que bien des gens - pas seulement des femmes - cache la honte sexuelle comme une sorte de squelette dans leur placard.

Tant de personnes m’ont écrit pour me raconter leurs expériences de ctte honte; honte du travail du sexe, honte d’une agression, honte d’un viol, honte religieuse. Tant de gens, tant de nuances de honte - et si peu d’espaces pour explorer la sensualité sans honte, sans excuse, et pour son propre plaisir et l’exploration de soi.

Partout dans le monde, les communautés de pole dance sont des refuges. Les studios offrent des lieux sûrs pour ce qu’on ne trouve pas ailleurs, c’est-à-dire la découverte de sa sensualité et de sa sexualité. Une composante naturelle et nécessaire de l’identité des gens qui, pour la plupart, reste largement inexplorée. Strip Down, Rise Up emmène les téléspectateurs dans quelques-uns de ces voyages.


Plus de détails sur le film sur www.stripdownriseup.com.

Ce texte initialement publié sur le HuffPost États-Unis a été traduit de l’anglais.

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