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Après en avoir eu honte pendant des années, j’ai choisi d’assumer mon bégaiement

Bégayer, c'est apprendre à être à l'aise de montrer sa vulnérabilité, parce quedu moment qu’on ouvre la bouche, notre différence existe.
Geneviève Lamoureux
Courtoisie/Geneviève Lamoureux
Geneviève Lamoureux

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Quand je repense à mon enfance, je n’ai pas de souvenirs que parler ait été simple pour moi. Chaque fois que j’allais parler, ou presque, il fallait que je me prépare, et j’avais peur que ça bloque, que ça ne sorte pas ou que j’aie à répéter. J’ai eu un diagnostic de bégaiement à l’âge de sept ans.

J’ai été suivie en orthophonie à plusieurs reprises et, à mon souvenir, c’était très axé sur la fluidité: on me donnait des techniques pour que je ne bégaie plus, donc j’interprétais ça en me disant que si j’appliquais ce qu’on me montrait, éventuellement, je ne bégaierais plus. J’avais tellement hâte d’être «grande» pour que ce soit réglé.

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On me félicitait quand je ne bégayais pas, donc dans ma tête, ce n’était pas bien quand je bégayais. Je n’ai pas de souvenirs qu’on m’ait fait comprendre que je pouvais bien vivre avec cette réalité. Je crois qu’en général, il y a 20 ans, les orthophonistes étaient moins outillés pour le côté psychologique, il n’y avait pas d’espace pour parler du stress et de la honte que ça peut causer.

J’ai fini par me rendre compte que moi, mon bégaiement ne partait pas. Je me sentais mal, parce que je me disais que c’était moi qui n’arrivais pas à suivre les techniques, donc que c’était ma faute et que je n’étais pas bonne. J’ai même pensé que mes parents avaient honte de moi. C’est en voyant que ça persistait, malgré mes efforts, que j’ai commencé à essayer de cacher mon bégaiement.

“Quand j’étais dans un restaurant, je commandais ce que je pouvais prononcer, et non ce que j’avais envie de manger.”

Il y a un préjugé voulant que ce sont les enfants qui bégaient, et que nécessairement, quand tu es adulte et tu bégaies, c’est parce que tu n’as pas été traité dans ton enfance. C’est faux. Il faut savoir que 75% des enfants qui bégaient récupéreront spontanément une parole fluide après quelques mois, voire un an, avec ou sans intervention orthophonique. Pour le 25% qui reste, le bégaiement persistera.

Tout faire pour le cacher

Jusqu’à l’âge de 22 ans, mon but, c’était que personne ne sache que je bégaie. En faisant tout pour ne pas que ça paraisse, j’ai vécu tellement d’anxiété. J’avais mes techniques pour le cacher: je changeais de mots constamment (je suis devenue un dictionnaire des synonymes!), je ne parlais pas si je sentais que j’allais bloquer et je ne racontais pas d’anecdotes ou n’importe quoi qui était un peu long à raconter.

Quand j’étais dans un restaurant, je commandais ce que je pouvais prononcer, et non ce que j’avais envie de manger. C’était tellement épuisant, ça allait tellement vite dans ma tête, tout le temps. Au secondaire, j’allais même jusqu’à manquer des cours. Quand j’arrivais chez moi et que j’étais avec ma famille, je bégayais à fond la caisse, parce que c’est seulement dans ce contexte que je sentais que c’était correct de le montrer.

En grandissant, ça a été de plus en plus difficile à cacher, mais laisser paraître mon bégaiement était impensable pour moi. J’ai lâché ma première session en arts et lettres au cégep parce que prendre la parole en classe et faire des présentations qui demandaient un français particulièrement soutenu, c’était trop pour moi. C’était ma phobie, alors je suis partie. Je me suis finalement inscrite en sciences humaines en m’assurant de prendre des cours qui n’impliquent pas de prendre la parole en classe.

À 22 ans, je suis partie un an aux Pays-Bas pour mes études. Comme les cours allaient être en anglais, je me disais que j’aurais plein de trucs pour encore mieux cacher mon bégaiement parce que je pourrais faire semblant de chercher mes mots. Une fois là-bas, j’ai su qu’il y avait beaucoup de séminaires et de présentations orales et j’ai constaté que même en anglais, je bégayais autant qu’en français.

J’ai sérieusement considéré l’option de revenir au Québec, mais je me disais que ça n’avait pas de bon sens: toute ma vie, j’avais été maître de l’évitement, et cette fois, le coût de mon évitement serait tellement cher, parce que non seulement j’avais payé pour être là et j’étais rendue sur place, mais c’était surtout un projet cher à mon coeur.

“J'ai appris à ne pas me définir par mon bégaiement.”

J’ai finalement décidé que j’allais rester aux Pays-Bas pour mes deux sessions, mais je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour m’aider. J’ai consulté une psychologue et j’ai aussi découvert des groupes d’aide. Pour la première fois de ma vie, à 22 ans, je rencontrais d’autres personnes qui bégayaient. Ça m’a vraiment fait du bien, parce qu’on se sent très seul avec ce handicap: 1% de la population adulte bégaie. J’étais vraiment heureuse de rencontrer ces gens-là: ils étaient super cool, riaient, parlaient beaucoup, racontaient de bonnes blagues...

Je me suis dit que moi aussi, je pouvais être tout ça. J’ai compris que je pouvais bégayer tout en étant charmante et drôle, que ça pouvait faire partie de ma personnalité, et que je n’avais pas à le cacher. Bref, j’ai appris à ne pas me définir par mon bégaiement.

Prendre le temps

On vit dans un monde où tout va très vite et où on veut être efficace. Les personnes qui bégaient ont l’opportunité d’enseigner aux gens à être patients. Et même pour moi, c’est un travail de tous les jours d’apprendre à me donner le temps.

Bégayer, c’est aussi devoir apprendre à être à l’aise avec le fait de ne pas correspondre à des standards de rapidité, d’efficacité et d’esthétique dans la majorité de nos interactions. C’est apprendre à être à l’aise à montrer sa vulnérabilité, parce que nécessairement, on ouvre la bouche et notre différence existe, que ce soit dans la rue, dans une soirée, avec des gens que l’on connaît ou non, bref, partout.

J’ai rencontré des orthophonistes qui bégaient et qui ne le cachent pas. Ils m’ont dit que leurs clients trouvent qu’ils se sentent plus près d’eux. J’en suis venue à me dire que moi aussi, je pouvais faire ça. Après deux ans en traduction, je suis retournée aux études et je fais présentement ma maîtrise en orthophonie. C’est sûr que je souhaite travailler avec une clientèle qui bégaie.

Donner une voix aux personnes qui bégaient

Dans le cadre de mon travail à l’Association bégaiement communication, j’en suis venue à coanimer le nouveau podcast «Je je je suis un podcast» avec l’orthophoniste Judith Labonté. Ce projet, c’est quelque chose de gros pour moi. C’est tellement intime, je vais bégayer directement dans les oreilles des gens! Récemment, j’ai eu un moment où je me suis demandé pourquoi je m’étais lancée là-dedans, mais je me suis rappelée pour quelle raison j’avais dit oui au départ.

C’est rare qu’on entend des personnes qui bégaient dans les médias. Souvent, les personnes invitées à parler de cette réalité sont des personnes qui affirment ne plus bégayer et qui se présentent comme des ex-bègues. Moi, je voulais entendre des personnes qui bégaient encore et qui le laissent paraître. On veut leur donner une tribune. La règle d’or de notre podcast, c’était de ne pas recommencer l’enregistrement parce qu’on trouvait qu’on bégayait trop. C’était une seule prise.

Pour moi, entendre des personnes bégayer tout en ayant l’air bien, c’est presque de la thérapie. J’espère que ceux qui l’écouteront se diront que si, en tant que personnes qui bégaient, on a pu faire un podcast, eux aussi, ils peuvent faire plein de choses.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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