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Dans la peau d'un juré (virtuel) au procès de Guy Turcotte

Pour essayer de comprendre le cheminement de ce jugement dans la tête des onze jurés du procès Turcotte, j'ai élaboré une «hypothèse» en devenant moi-même le juré virtuel n°11. Je m'insinue dans sa peau et me love dans son cerveau. Vous pourrez en faire autant pour élaborer une autre hypothèse. Car, malheureusement pour nous, les vrais jurés vont rester cois.
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Tant de choses ont été écrites sur le procès de Guy Turcotte. Les années se sont aussi égrenées. Pourtant, cette histoire rejoint encore l'actualité. Les multiples facettes en ont été explorées. Et un appel judiciaire prochain le remettra en selle devant les lentilles et les claviers des médias. Quand on prend un peu de recul sur des faits d'actualité, comme le font souvent les vieux, plusieurs aspects s'estompent pour ne conserver que des éléments qui soudain ont une pertinence.

En voici un: «Non criminellement responsable». Le verdict unanime des onze jurés du procès de Guy Turcotte est tombé le 5 juillet 2011 comme une massue. L'opinion publique est offusquée, outrée, indignée, scandalisée et la clameur populaire a résonné comme l'explosion du tonnerre. Selon cette dernière, un acquittement si théorique honore maladroitement la dette d'un homme qui a avoué les meurtres sauvages de ses deux petits enfants. Comment est-ce possible? Il n'en fallait pas plus pour mettre en doute, une autre fois, notre système de justice.

Comment onze jurés, hommes et femmes sains d'esprit, recrutés au sein de notre peuple, peuvent-ils unanimement en venir à une conclusion aussi aberrante? Quant à moi, je refuse de croire dans la stupidité du jugement de ces jurés. Onze personnes honnêtes. Onze cerveaux aux origines diverses. Le juge avait même récusé le douzième.

On a trop peu parlé de la façon dont un jury peut discourir et réfléchir pour accoucher unanimement d'un jugement qui a suscité une colère vindicative populaire. Est-il possible que ces gens, qui ont assisté quotidiennement à la présentation d'autant de témoignages, écouté religieusement les plaidoyers des avocats, réfléchi chaque minute de leurs journées, puissent édifier un tel jugement? Comment une population, informée par bribes via les médias peut-elle être si horrifié et lapidaire à l'égard du même jugement.

Pour essayer de comprendre le cheminement de ce jugement dans la tête des onze, j'ai élaboré une «hypothèse» en devenant moi-même le juré virtuel n°11. Je m'insinue dans sa peau et me love dans son cerveau. Vous pourrez en faire autant pour élaborer une autre hypothèse. Car, malheureusement pour nous, les vrais jurés vont rester cois. Serait-ce imaginable qu'un jour un juré, sous l'anonymat, nous raconte les échanges et les traumatismes qui flottent au-dessus des délibérations.

Un scénario hypothétique

En ce 12 avril, nous étions 144 personnes à être convoquées. Je fus choisi le onzième pour juger Guy Turcotte. Je m'en serais bien passé. Outre le cas Latimer qui a tué en douceur sa fille par amour pour la soustraire à une vie intenable, je ne crois pas que l'on puisse tuer «sauvagement» par amour. Surtout grâce à 19 coups de couteau dans un cas et 20 dans l'autre. Notre meurtrier a privé ses deux enfants d'une vie de bonheur, possiblement valorisante. Il a aussi massacré l'avenir d'une mère et de deux familles.

L'aveu de son crime enlève l'opportunité et l'utilité de tenir un procès sur sa culpabilité. Nous aurons à statuer uniquement sur son état mental. Pourtant, s'il est un sujet où je me sens totalement un cancre, c'est bien celui des troubles de l'humeur, de la psychologie ou de la psychiatrie. Je suis donc coopté et je deviens membre de ce groupe de 12 personnes qui deviendra 11 après une récusation décidée par le juge. Je me dois d'être à la hauteur d'un honnête citoyen qui doit juger un de ces pairs. Pour permettre à la justice d'exister. Le juge nous donne ses directives légales à suivre qui comprennent les 4 choix de culpabilités pour notre décision. Sans l'ombre du doute. Hors de tout doute. Vaut mieux libérer un coupable que de condamner un innocent. Le doute est le compromis de la justice.

Du 18 avril au 30 juin. Du matin au soir. En compagnie des autres jurés, je me suis payé l'écoute d'un nombre considérable de versions, de nuances subtiles, de gros pathos condescendants, de témoignages divergents, d'expertises hallucinantes. Je voyais clairement les manigances habiles des avocats. J'apercevais toute cette foule. Et j'écoutais. J'ai pris des notes. J'analysais. Je ne connais pas beaucoup d'êtres humains qui se sont farci tout ce baratin. Jour après jour. Il fallait me concentrer sur chaque élément. Fallait-il que je comprenne le charabia des psychiatres, qui au surplus se contredisaient? Le juge a même récusé le psychiatre engagé par la couronne. Ce qui signifie qu'il cautionne ceux de la défense. Ce n'était pas ma tasse de thé. Ni celle de mes voisins. Des propos hautement savants qu'il me fallait déchiffrer et évaluer. Au point que ma tête allait exploser. Se peut-il qu'un homme soit troublé, mais sain d'esprit et qu'une minute plus tard, il ne fasse plus la différence entre le bien et le mal. Puis, une fois le crime commis, il redevient sain d'esprit. Difficile à croire ce que son avocat faisait répéter sans cesse à ses experts.

Difficile à croire, mais si c'était vrai... Je dois être honnête et ne pas faire mon idée trop vite. Son avocat en mène large. Je sens son insistance à nous convaincre de sa théorie. Je ne suis pas un fervent de sa thèse, mais il sème un doute dans mon esprit. Maudit doute. Mon jugement devra être hors de tout doute. On nous a souvent répété: HORS DE TOUT DOUTE.

Le psychiatre expert de la couronne en face de moi, le Dr Faucher, était le même que celui de la cause de Simon Marshall. Vous vous souvenez de ce jeune handicapé mental que le jury a déclaré erronément coupable en se basant sur l'expertise de ce psychiatre. Ce fut une erreur judiciaire. Marshall fut acquitté plusieurs années plus tard grâce un test d'ADN. C'était lui le psychiatre. Il a avoué avoir fait une erreur. Mais il a aussi erré dans deux autres procès. Dois-je faire confiance à son expertise? Je ne veux pas faire la même erreur que les jurés de ces procès. Imaginez! Tous les jurés d'un même jury, unanimement, s'étaient trompés. À la lumière d'un psychiatre. C'est donc possible. Puis le juge l'a récusé et nous a demandé de ne pas en tenir compte.

Puis, nous avons discuté entre nous, séquestrés pendant six jours, du matin au soir. Extraordinaire ce qui peut surgir de la tête de 11 personnes. Le gros bon sens. La logique imperturbable. Les convictions à fleur de peau. Les thèses verbeuses. Les mots choisis qui crucifient. Nous avons voté une première fois. Sans unanimité. La psychiatrie n'était pas notre force. Le compromis dans ma tête me faisait pencher pour un homicide involontaire. Comme plusieurs autres du groupe. Inutile de décrire notre épuisement après ces six jours. Et le doute qui m'étreignait. Si la thèse de son avocat était vraie et que, malgré tout, j'approuvais son incarcération. Non, non! Pas question d'erreur judiciaire encore une fois. Maudit doute! Vaut mieux un coupable en liberté que... Je voterai: non-responsable. Sa prison, il la traînera toute sa vie en lui.

Je ne fus pas le seul à réfléchir en ce sens. Finalement, nous avons voté unanimement: non criminellement responsable. Maudit doute!

Aujourd'hui, j'entends la colère du peuple. Il a raison de l'être. Je suis d'accord avec lui. Mais si je devais voter encore une fois aujourd'hui, je voterais de la même façon. Il est facile pour la foule de sortir le glaive de la condamnation et du lynchage... aussi longtemps qu'on n'a pas à voter...

Mais ce n'est là qu'une «hypothèse» comme une autre. Comme j'aimerais connaître le vrai cheminement de la pensée de chacun des jurés. Je comprendrais sûrement mieux le pourquoi et le raisonnement de ce verdict vilipendé. Et peut-être que je me rallierais à leur décision unanime, l'âme en paix, mais en beau maudit contre ce verdict.

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