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Rwanda: 25 ans plus tard, se remet-on vraiment de la guerre?

Mon rêve, c'est que dans 25 ans, la communauté rwandaise au Québec puisse être connue pas uniquement pour le génocide, mais aussi pour sa volonté de reconstruire son vivre-ensemble.
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Nous omettons souvent de parler de l'impact émotionnel de l'après-guerre, en minimisant l'impact des expériences traumatisantes vécues par les individus sur un plan personnel, interpersonnel et sociétal.
Ibrahim Suha Derbent via Getty Images
Nous omettons souvent de parler de l'impact émotionnel de l'après-guerre, en minimisant l'impact des expériences traumatisantes vécues par les individus sur un plan personnel, interpersonnel et sociétal.

Dans la chambre de bougies de l'oratoire Saint-Joseph, quatre chandelles s'illuminent. Une chandelle pour honorer la vie de ma mère et une autre pour ma grand-mère, qui ont toutes les deux sacrifié leurs vies pour sauver la mienne et celle de mon frère. Une autre chandelle, pour mon grand-père, mes oncles et tantes qui ont péri dans le cauchemar qu'a été 1994. Et enfin, une dernière chandelle, pour renouveler mon engagement à cultiver le pardon pour que l'humanité des Rwandais.e.s de ce monde ne s'éteigne plus jamais.

Le début de mois d'avril marque la commémoration des 100 jours qui ont inscrit mon pays d'origine, le Rwanda, à l'encre indélébile sur les pages les plus obscures de l'histoire de l'humanité. La guerre de 1994 a causé d'innombrables pertes humaines, partout au pays jusqu'aux camps de réfugiés des pays limitrophes.

Une guerre nourrie par le pouvoir viscéral de la peur de l'«Autre»

Plusieurs incidents cette année nous ont prouvé que lorsque la peur est rationalisée dans la conscience humaine, elle peut facilement être instrumentalisée pour légitimer la survie de l'un au détriment de la vie de celui perçu comme l'«Autre».

25 ans après avril 1994, la colère et la douleur se sont estompées en moi, pour faire place à une profonde et inconsolable tristesse.

25 ans après avril 1994, j'ai aussi appris à vivre avec les décombres de la peur. Je suis terrifiée lorsque j'entends le bruit de feux d'artifice, le son émit à la suite de la chute d'un objet ou de la porte du voisin qui claque.

J'ai appris à cohabiter avec une frayeur constante, qui alimente mon imagination ainsi assombrie. J'ai parfois peur que des personnes surgissent dans mon appartement sur Côte-des-Neiges au beau milieu de la nuit. Et je ne peux pas dormir sans veilleuse, à 26 ans.

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25 ans après, se remet-on vraiment de la guerre?

Les périodes d'après-guerre ont bien souvent mis au coeur de leur stratégie la question de la reconstruction économique et de la démobilisation militaire. Comme nous rappelle le Plan Marshall déployé après la Seconde Guerre mondiale en 1947 ou encore le Plan Dodge après la guerre du Pacifique en 1949.

La reconstruction économique de l'Europe s'est fait grâce à l'injection de 16,5 milliards de dollars des États-Unis pour principalement couvrir la reconstruction des infrastructures et relancer l'économie européenne. En ce qui concerne le Japon, après la guerre du pacifique, le Plan Dodge visait essentiellement à restimuler les exportations japonaises et à favoriser l'indépendance économique du Japon.

Seulement, nous omettons souvent de parler de l'impact émotionnel de l'après-guerre, en minimisant l'impact des expériences traumatisantes vécues par les individus sur un plan personnel, interpersonnel et sociétal.

L'impact émotionnel de l'après-guerre

Dans le reste du monde, comme au Québec, nous avons des attentes élevées par rapport à la capacité d'adaptation des personnes qui ont fui et survécu à la guerre. À l'heure actuelle, de la Syrie au Soudan, en passant par la République démocratique du Congo, la question centrale quant aux réfugiés qui arrivent au Québec, est s'ils vont pouvoir contribuer au bien-être économique de notre société.

Nos politiques d'intégration et d'immigration corroborent également le facteur économique. En 2016, on comptait 160 000 immigrants au Québec de la catégorie économique, ce qui constitue la plus importante catégorie d'immigrants, sur 300 000 immigrants totaux. L'une des raisons étant qu'il est plus facile de demander l'asile au Canada si l'on se présente comme étant un atout pour la prospérité économique du pays.

De plus, l'accès aux soins de santé de base a été réduit depuis le projet de loi C-31 qui autorise le gouvernement canadien à ne plus couvrir les soins médicaux aux demandeurs d'asile, notamment les services psychologiques. Pourtant, de nombreux migrants viennent au Canada pour fuir des problèmes sérieux reliés à la persécution, à discrimination, l'instabilité politique et à l'horreur innommable qu'est la guerre.

De plus, la Loi fédérale sur la protection des réfugiés et de l'immigration exige que le demandeur d'asile soit en bonne santé pour pouvoir être sélectionné, faute de quoi son dossier sera rejeté. Nous manquons de reconnaître la complexité des vécus et des histoires des individus ayant fui la guerre afin de simplifier notre processus d'intégration et d'immigration. Car en tant que société, nous mesurons le succès d'individus par leur valeur économique.

Nous voulons des individus en santé, même s'ils ont fui la guerre, prêts à se dépoussiérer de tous traumatismes de guerre et prêt à s'embarquer sur le marché de l'emploi.

Beaucoup de Rwandais s'étant installés au Québec après la guerre ont été contraints de se dépoussiérer de toutes traces de traumatisme pour intégrer le marché de l'emploi, ou pour inscrire leurs enfants à l'école et pour retrouver un semblant de vie normale. En 2006, lors d'un recensement effectué par ministère de l'Immigration et des Communautés interculturelles, nous comptions 2670 de personnes s'étant déclarées d'origine rwandaise au Québec.

Bien que les personnes d'origine rwandaise ont su se fondre dans le moule de nos attentes économiques, beaucoup d'entre eux sont encore profondément marqués psychologiquement et émotionnellement par la ou les guerres dont ils ont été témoins. Beaucoup d'entre eux n'ont pas eu recours à un accompagnement spécialisé après leur arrivée au Québec.

Le travail émotionnel que doit entreprendre une personne qui a survécu à la guerre est colossal, et la priorisation des efforts, une fois arrivée au Québec, sera tournée vers l'adaptation au nouveau contexte social, linguistique et économique et souvent dans une situation très précaire. Le travail émotionnel, dans beaucoup de cas, ne peut pas être une priorité et va être traité par des mécanismes d'adaptations, qui sont parfois inconscients et involontaires, pour protéger la cohésion de l'appareil psychique et faciliter l'adaptation au nouveau contexte externe.

Les formes les plus courantes d'expression des mécanismes d'adaptation sont le refoulement, la dénégation ou le déni.

Comme l'a rapporté une étude sur la santé des survivants de guerre ayant immigré au Canada (Lafrenière, Diallo 2007), les personnes qui ont fui la guerre ne reconnaissent pas ou refusent de reconnaître l'existence d'un événement traumatique et leurs besoins d'aide spécialisée.

À une époque où la société québécoise se sensibilise davantage à la question de la santé mentale, nos politiques d'intégration, devraient tant promouvoir l'essor économique, que prioriser la question du traumatisme chez les personnes immigrantes qui fuient des pays en guerre.

En fait, la question du traumatisme est centrale à la question de réparation. La question de réparation dépasse les frontières du Rwanda, ou du pays d'origine ou la guerre a eu lieu. Au risque de froisser Mr. Legault, dans bien des cas, la religion est un vecteur de rassemblement et dans ce cas-ci, le travail de réparation se fait dans les communautés.

25 ans après, se remet-on vraiment de la guerre?

C'est un travail tant personnel qu'interpersonnel et de société dont nous avons tous la responsabilité. Voici quelques pistes qui pourraient nous permettre de nous engager dans ce travail:

Personnel

  • Se rappeler que notre vie est importante et notre survie l'est tout autant. Se pardonner d'avoir survécu au détriment des autres.

  • Continuer à identifier nos besoins et des ressources auxquels nous avons droit pour nous aider à guérir.

  • Du point de vue de l'Autre, on est l'«Autre». Il faut apprendre à nous connaître et nous comprendre dans notre complexité. Une façon simple serait par exemple de diversifier nos cercles d'amis, car c'est allant à la rencontre de l'autre qu'on ne parviendra plus jamais à être instrumentalisé l'un contre l'autre.

Interpersonnel

  • Créer des espaces pour que les représentant.e.s des communautés se rencontrent, et établissent des facteurs qui permettaient à leur communauté de s'engager dans la réconciliation.

  • Briser l'isolation entre les communautés qui sert à nourrir les différends.

  • Honorer la résilience de notre communauté.

  • Encourager le travail intercommunautaire, pour combattre le fléau qu'est la peur, afin que celle-ci ne se transmette pas de génération en génération.

Société

  • Démystifier le soutien psychologique et rendre cela accessible aux individus qui ont survécu à la guerre.

  • Décentraliser la perception économique que nous accordons uniquement aux immigrants.

  • Reconnaître la complexité du génocide de 1994 (mais aussi des autres guerres de ce monde) que nous aimons réduire à une simple querelle entre Rwandais, sans omettre le tirage de ficelles d'acteurs politiques non rwandais et les intérêts politiques et économiques qui expliquent l'inaction de beaucoup d'États pendant les 100 jours d'ébranlement qu'a connus le Rwanda. L'histoire nous a prouvé à bien des reprises que lorsqu'il y a une inaction de la scène internationale, des intérêts économiques et politiques se font servir, cela en va de même quand dans le cas contraire, il y a une trop glorieuse ingérence.

J'espère pouvoir raconter à mes enfants que malgré le fait qu'ils ne connaîtront jamais une grande partie de leur famille, ils ne devraient pas avoir peur de faire confiance aux personnes qui partagent la même descendance qu'eux.

Mon rêve, c'est que dans 25 ans, la communauté rwandaise au Québec puisse être connue. Pas uniquement pour le génocide, mais aussi pour sa volonté de reconstruire son vivre-ensemble.

Sa volonté à reconnaître l'Autre dans sa douleur. Sa capacité à utiliser le passé comme un repère et non comme un point fixe et inchangé. Je rêve que l'on puisse enseigner au reste du monde, comment déconstruire la peur et l'anxiété que nous évoque cette construction de «l'Autre».

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